Comment accompagner les émotions liées aux changements climatiques?
- UdeMNouvelles
Le 6 mai 2025
- Virginie Soffer
L’écoanxiété gagne du terrain, mais reste mal comprise. Une revue de la littérature explore comment mieux accompagner les émotions liées à la crise climatique.
«Quand j’ai réalisé l’ampleur des changements climatiques, j’ai eu une vraie crise existentielle, confie Amélie Gauthier. Je me suis demandé ce que je pourrais faire pour la surmonter.» C’est au fil de ses études en psychoéducation qu’elle a trouvé un début de réponse: en s’intéressant aux émotions que ces constats suscitent, on peut ouvrir des voies d’accompagnement.
Tristesse, impuissance, colère, espoir… Face aux bouleversements environnementaux, les émotions se bousculent. Avec Pierrich Plusquellec, professeur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal, la doctorante a ainsi mené une vaste revue de la littérature sur les façons qui permettent d’accompagner au mieux ces émotions liées aux changements climatiques. Tous deux ont présenté leurs résultats au 92e Congrès de l’Acfas le 5 mai.
Nommer l’écoanxiété, élargir la palette émotionnelle
Si les premiers écrits évoquant un malaise émotionnel face aux défis climatiques remontent à la fin du 20ᵉ siècle, un tournant majeur s’est opéré avec les travaux du philosophe australien Glenn Albrecht. «En 2007, il publie une typologie de syndromes de santé mentale associés à l’état de notre planète, qu’il a appelés “syndromes psychoterratiques”. Cette typologie incluait notamment l’écoanxiété, définie comme une anxiété face à un environnement incertain et changeant, et la solastalgie, soit un sentiment de deuil et de nostalgie lié à la perte d’un milieu naturel significatif pour une personne. Cette publication a déclenché un fort engouement pour ce sujet dans les milieux de recherche et dans le grand public», explique Amélie Gauthier.
Mais l’émotion en cause n’est pas seulement l’anxiété, qui va au-delà de la peur. Comme le souligne la doctorante, «on trouve toute une palette d’émotions associées aux changements climatiques. On peut penser au désespoir, à la tristesse, à l’impuissance, mais aussi à l’enthousiasme parce que parfois il y a l’idée de se rallier». La colère est fréquente, tout comme le sentiment d’être seul à s’inquiéter. L’émotion la plus partagée reste toutefois l’impuissance: «Les gens ne savent pas quoi faire, ils ont l’impression que leurs actions ne vont pas valoir grand-chose», dit-elle. Pourtant, ces émotions sont encore rarement accompagnées.
Une revue de la littérature pour faire le point
C’est pour mieux comprendre ce qui existe en matière d’interventions psychosociales qu’Amélie Gauthier a entrepris une revue de la littérature scientifique. En scrutant trois grandes bases de données (PubMed, PsychInfo et Web of Science), elle a ciblé 1217 articles, pour n’en retenir au final que 20 qui répondaient à ce critère: des études portant précisément sur des interventions destinées aux personnes vivant des émotions liées aux crises climatiques et non à un évènement climatique extrême, comme une inondation, ayant entraîné une réaction post-traumatique.
Les données empiriques sont rares, souvent qualitatives, et peu d’interventions ont été évaluées de façon rigoureuse avec des données probantes.
Des groupes de parole à l’art en passant par la thérapie
Première approche mise en évidence: les groupes de discussion. Ces espaces permettent aux participants d’exprimer librement leurs émotions, sans tabou ni jugement. «Ce sont les interventions les plus évaluées, souvent avec des données mixtes – quantitatives et qualitatives. Elles montrent que parler de ses émotions dans un cadre sécuritaire peut vraiment aider à se sentir mieux», indique Amélie Gauthier.
Autre piste, plus individuelle: la thérapie d’acceptation et d’engagement. Inspirée des thérapies comportementales et cognitives, elle propose de reconnaître ses émotions – même les plus inconfortables – et d’agir en accord avec ses valeurs.
La création artistique émerge aussi comme un outil puissant. Deux études de cas recensées, l’une en poésie et l’autre en peinture, ont montré que l’expression artistique des émotions liées aux changements climatiques permet de leur donner un sens.
Enfin, certaines interventions mettent l’accent sur la mise en récit, c’est-à-dire la capacité à raconter ce qu’on vit, à relier les émotions individuelles à une histoire collective. Ainsi, «dans la communauté des Iñupiat en Alaska, il y a une incertitude croissante chez les gens quant à l’avenir en raison de la disparition de leur territoire sous l’effet de l’érosion côtière et de la montée des eaux, dont certaines parties abritent des lieux sacrés. Confrontée à ces bouleversements, la communauté a réagi en intégrant ces transformations dans ses récits, en les associant à des esprits et des forces surnaturelles», illustre la jeune femme.
Un appel à innover en intervention
Pour l’instant, peu d’interventions sont validées scientifiquement. «On sait que plus de 60 % des Québécois ressentent des émotions liées aux changements climatiques. Il faut que les disciplines en intervention – psychoéducation, travail social, psychologie, éducation – s’en occupent. Et qu’on élabore des approches rigoureuses, adaptées au terrain», mentionne Amélie Gauthier.
Elle insiste aussi sur l’importance de former les intervenants à reconnaître leurs propres émotions face à la crise climatique. «Comment intervenir quand on n'a pas encore pleinement reconnu ces émotions-là, qu'elles existent, qu'on n'est pas tout seul à les ressentir et qu'elles peuvent être très inconfortables? On risquerait de faire porter le poids de cette prise de conscience à la personne aidée», ajoute-t-elle.
La doctorante conseille qu’on cesse de mettre nos émotions associées au climat dans une boîte. Au lieu de les nier ou de les pathologiser, elle propose qu’on les écoute, qu’on leur donne une place dans l’espace public et dans les pratiques d’accompagnement.