Mieux vivre avec l’aphasie
- UdeMNouvelles
Le 22 mai 2025
- Catherine Couturier
Se joindre à une chorale peut-il aider les personnes aphasiques? C’est ce que la professeure et orthophoniste Carole Anglade cherche à savoir.
«Qu’est-ce qui fait qu’une personne vit mieux qu’une autre avec son aphasie? Ce n’est pas lié au degré d’aphasie», estime Carole Anglade, professeure à l’École d’orthophonie et d’audiologie de l’Université de Montréal. La chercheuse, qui est devenue orthophoniste après avoir rencontré une personne aphasique, explore dans un projet de recherche les effets de la participation à une chorale communautaire chez les individus ayant une aphasie qui résulte d’un accident vasculaire cérébral (AVC). «Les bienfaits du chant choral sont connus, mais nous voulons les mesurer chez les personnes qui ont un trouble acquis de la communication», précise-t-elle.
Ce projet de recherche, mené à Montréal avec la professeure Édith Durand, de l’Université du Québec à Trois-Rivières, est chapeauté par SingWell-Aphasia, un réseau de recherche basé à Toronto qui s’intéresse aux vertus du chant chez les gens aphasiques, et porté par la professeure Anna Zumbansen, de l’Université d’Ottawa. La collecte de données aura lieu dans quatre villes, dont Montréal.
Difficultés de communication et isolement
En ce mois de l’ouïe et de la communication, rappelons que l’aphasie est un trouble acquis de la communication qui entraîne des difficultés à parler, comprendre, lire et écrire. «Le langage est un code arbitraire; les personnes aphasiques ont de la difficulté à retrouver le code, même si elles ont accès au concept. Tout est là dans “l’entrepôt”, mais elles sont plus ou moins capables d’accéder à la “boîte”», compare Carole Anglade. L’aphasie peut donc se traduire par des difficultés à divers degrés à l’oral, à l’écrit ou dans la compréhension.
Dans ce projet de recherche, la professeure s’intéressera en particulier à l’aphasie causée par un AVC. En effet, près de 30 % des personnes qui subissent un AVC souffriront d’aphasie, le plus souvent transitoire; «mais plus l’AVC est majeur, plus il y a de risques que l’aphasie soit importante et durable», poursuit-elle.
Ces troubles de la communication ont des répercussions sur la vie sociale des gens aphasiques, qui se trouvent alors isolés. «Oui, ça prend des soins de santé, mais les activités porteuses de sens sont tout aussi essentielles parce qu’elles permettent d’avoir une meilleure qualité de vie. C’est pourquoi les associations communautaires, comme l’Association québécoise des personnes aphasiques ou le Théâtre Aphasique à Montréal, jouent un grand rôle», affirme la chercheuse.
La chorale comme bouée de sauvetage
Pour ces personnes ayant de la difficulté à s’exprimer ou à comprendre ce qu’elles lisent ou entendent, la chorale communautaire devient une occasion de socialiser, de stimuler ou de réactiver certains éléments linguistiques. «Chanter en groupe, c’est moins difficile que de parler. Ça permet d’interagir socialement en évitant la barrière linguistique», explique Carole Anglade, qui observe un engouement du milieu communautaire pour cette activité.
Dans cette étude, qui se déroulera à Montréal, Ottawa, Toronto et Tampa, en Floride, l’équipe de recherche observera des groupes de chanteurs durant 12 séances sur 12 semaines. Les volontaires seront évalués avant leur participation à la chorale, pendant et après.
L’équipe évaluera les effets de l’activité sur l’humeur et la communication, de même que sur la cohésion du groupe. Pour ce faire, chaque séance sera filmée pour mesurer l’amélioration de l’engagement des chanteurs. Parce que mener des études auprès de personnes aphasiques comporte des défis supplémentaires, le recours à des outils traditionnels (entrevue, questionnaire) étant difficile.
Début des activités
Un premier groupe à Montréal a déjà entamé les activités de chant, alors que le deuxième, qui servira d’ici là de groupe témoin, amorcera ses répétitions à l’automne. «On veut distinguer si l’amélioration de l’humeur est liée à la chorale ou à un autre élément comme l’arrivée de l’été, le fait de participer à notre recherche, etc.», note Carole Anglade.
Le recrutement à Montréal, déjà terminé, a été un succès grâce à la collaboration précieuse des organismes communautaires et d’Élodie Joyal, étudiante de maîtrise en sciences de l’orthophonie et de l’audiologie. Seize personnes se sont portées volontaires, alors qu’on espérait recruter treize participants par ville. Un succès, surtout dans le contexte où le recrutement est plus ardu parce que ces personnes utilisent peu les réseaux sociaux et évitent même les moyens de communication traditionnels comme le téléphone ou le courriel, et qu’elles sont souvent isolées.
«Élodie a été sensationnelle dans le recrutement; c’est vraiment important d’avoir quelqu’un qui est capable de mettre les participants à l’aise lorsqu’on travaille avec des gens qui ont des difficultés de communication», souligne la professeure, qui rappelle également le rôle essentiel des associations dans cet écosystème.