Procès en ligne: le non-verbal, même à travers l’écran

Printemps 2020. Les procès, comme presque toutes les autres sphères de la vie, basculent en virtuel par nécessité. «Il fallait bien continuer malgré la pandémie. Mais maintenant, que fait-on? Il faut avoir une meilleure vue d’ensemble», croit Vincent Denault, professeur à l’École de criminologie de l’Université de Montréal.
Le chercheur s’est donc penché sur l’expérience des procès virtuels des décideurs québécois durant la pandémie pour explorer les défis rencontrés. À l’automne de la même année, il leur a fait parvenir un sondage en ligne pour mieux comprendre l’influence des facteurs extralégaux durant les procès tenus à distance.
Le sondage, auquel ont répondu 56 décideurs québécois, portait sur différents thèmes (crédibilité et préparation des témoins, conséquences de la pandémie sur les procès), mais les résultats publiés dans la revue International Criminology portent plus particulièrement sur le non-verbal dans le contexte des procès virtuels .
Toujours là, mais différent

Depuis plusieurs années, Vincent Denault s’intéresse à l’influence des préjugés et stéréotypes sur la perception du non-verbal dans les procès, soit tout ce qui se passe au-delà des mots, de l’ambiance de la cour à la ponctualité des témoins en passant par l’attitude attendue de ceux-ci. «Le détournement du regard n’est pas un signe fiable de mensonge, mais ce genre de croyance peut fausser l’issue d’un procès», précise-t-il.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, en passant au virtuel, le non-verbal n’a pas disparu pour autant. «De manière générale, il n’y a pas moins de non-verbal dans les procès en ligne. Il est plutôt différent», remarque le professeur.
Par exemple, en virtuel, juge comme témoin ne sont pas perçus dans leur «entièreté». L’expérience des parties est de plus modifiée à l’extérieur de la cour, qui confère une ambiance et une solennité aux procédures. «Lorsqu’on entre à la cour, l’environnement, le décorum, le temps qui passe, les odeurs influencent l’expérience», estime-t-il. Et si certains éléments non verbaux deviennent invisibles en ligne, d’autres s’ajoutent: une qualité de l’image et du son variable, un arrière-plan éclectique… On pourrait ainsi être surpris par un témoignage livré d’une voiture, «mais pour certains, c’est l’endroit le plus calme pour le faire», observe-t-il. À l’inverse, le juge peut être influencé par son propre environnement lorsqu’il préside un procès devant son ordinateur personnel. «Tout cela peut jouer sur la perception du juge», résume Vincent Denault.
Accès élargi, vraiment?
Les procès en ligne existaient bien avant la pandémie, qui a toutefois contribué à les normaliser sous prétexte qu’ils rendaient la justice plus accessible. «Mais il faut aller plus loin dans notre réflexion. Oui, un juge nous entend, mais le sentiment d’écoute et le ressenti ne seront pas nécessairement les mêmes», dit Vincent Denault. Les facteurs à considérer dans la décision de tenir un procès en virtuel ou non sont multiples. «Le débat ne doit pas se limiter à ce qui est communément présenté comme une question d’argent et d’accessibilité», ajoute-t-il. Des répondants et répondantes évoquent notamment que la complexité du cas et son urgence doivent être prises en considération.
Si la majorité des décideurs ont trouvé leur expérience en ligne positive, le chercheur – comme des répondantes et répondants – souligne l’importance d’aller au-delà de l’anecdote, puisque cette forme pourrait défavoriser les personnes moins familières avec la technologie.
En explorant plus en détail les réponses, Vincent Denault a constaté que les expériences des participants et participantes variaient grandement. «La façon dont est perçu le non-verbal est différente d’un décideur à l’autre; voilà un autre exemple qui montre que cela peut jouer de manière différente lorsque vient le temps d’évaluer la crédibilité de quelqu’un», indique-t-il.
En présence comme à distance, le non-verbal peut donc influencer le déroulement d’un procès, pour le meilleur et pour le pire. «Ce que j’avance, c’est que le non-verbal, peu importe le moyen de communication, fait partie de l’expérience humaine. Il faut donc travailler pour amoindrir les préjugés et stéréotypes qui ont une incidence sur l’issue des procès», souhaite-t-il.