Le microbiome, entre compétition et coopération

En 5 secondes Le professeur Adrian Serohijos a élaboré une nouvelle approche pour mieux observer et quantifier les interactions entre microbes au sein d’une communauté.

Dans leur milieu naturel – que ce soit l’intestin, les rivières ou les sols –, les microbes évoluent constamment, les différentes espèces entrant en compétition ou coopérant entre elles. La complexité de ces interactions est difficile à reproduire en laboratoireDe plus, «la description de ces interactions est souvent faite à l'échelon des espèces. Mais cette description est incomplète parce que les espèces sont elles-mêmes hétérogènes», résume Adrian Serohijos, professeur au Département de biochimie et médecine moléculaire de l'Université de Montréal. Chercheur multidisciplinaire, Adrian Serohijos s’intéresse à l’évolution des systèmes biologiques à différentes échelles, de la molécule à la cellule.

Or, la compréhension de cette évolution des bactéries est primordiale dans la lutte contre l’antibiorésistance. Dans une étude parue dans Nature Communications, le professeur, son étudiante Melis Genel et plusieurs autres collègues explorent ces interactions inter- et intraespèces dans l’estomac de la souris. 

Suivre la descendance d’une bactérie

«Dans l’environnement, les microbes existent comme une collection d’organismes de différentes espèces, qui coopèrent ou entrent en compétition. Nous voulions quantifier ces coopérations et compétitions avec une matrice qui inclurait la description de ce qui se passe à l’intérieur même d’une espèce», explique Adrian Serohijos. Autrement, la description restait incomplète.

L’équipe de son laboratoire a ainsi conçu une expérience qui permettrait d’observer le comportement de la bactérie E. coli et sa descendance dans quatre groupes de souris: un groupe stérile, un groupe ayant un microbiome réduit après un traitement antibiotique, un groupe ayant un microbiome inné et un groupe témoin. «Nous voulions décrire ce qui se passe de manière quantitative pour pouvoir prédire le comportement des composants du système et leur évolution dans le temps», indique le chercheur. 

Pour suivre l’évolution, l’équipe a utilisé une technique qu’elle avait mise au point auparavant, qui permet d’insérer un fragment aléatoire d’ADN dans la même région du génome de chaque cellule. «C’est comme si l'on donnait à chaque cellule son propre numéro d’assurance sociale», compare Adrian Serohijos. Ce fragment se transmet ensuite à travers les générations. «En séquençant ce “code-barres”, on peut établir le lien de parenté de chaque cellule. On peut donc voir l’évolution de chacune à haute résolution et ce qui se passe lorsqu’une bactérie envahit l’intestin», poursuit-il.

Cette technique a permis à l’équipe de suivre et de placer sur une échelle de temps les interactions à l’intérieur de l’espèce (la bactérie E. coli en l’occurrence), mais aussi avec les autres bactéries de l’intestin. «Certaines espèces qui coopèrent positivement peuvent, avec le temps, entrer en compétition», soulève le professeur. 

L’équipe a pu observer une grande hétérogénéité: «Notre principal résultat est d’avoir découvert que ces interactions ne sont pas du tout homogènes, et tout cela peut se mesurer, dit Adrian Serohijos. C’est important parce que le microbiome, qu’il soit dans le sol ou dans l’intestin, détermine votre santé. Cette description à haute résolution est importante pour définir la stabilité et la composition du microbiome en fonction du temps.»

Une approche applicable à d’autres systèmes

Un autre résultat notable de cette étude réside dans l'élaboration d'une approche informatique et théorétique qui pourrait être utilisée dans des contextes différents. Dans une prochaine publication, le chercheur rendra la méthode accessible aux biologistes.

«Même si le système ici décrit est l’intestin, le cadre mathématique imaginé et ce genre d’expérience peuvent être applicables à d’autres types de microbiomes, dans le sol par exemple», affirme le professeur Serohijos. Après E. coli, l’équipe répétera l’expérience avec d’autres types de bactéries et compte également la transposer pour étudier le microbiome des biofilms bactériens, ces matrices construites par les bactéries qui se lient à différentes surfaces. «Dans le contexte de la résistance aux antibiotiques, c’est important à comprendre», signale-t-il.

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