Électrification du parc automobile au Québec: un défi de taille pour le réseau électrique

En 5 secondes L'alourdissement constant des voitures pourrait faire bondir la demande d’électricité au-delà des prévisions d'ici 2040, selon une étude dirigée par le professeur Normand Mousseau, de l’UdeM.

Si l'électrification du parc automobile québécois s’avère incontournable pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, le poids croissant des véhicules pourrait faire grimper la demande d’électricité bien au-delà des prévisions.

C’est ce que mettent en lumière les travaux de Frédérik Lavictoire et Simon Brassard, réalisés sous la direction du professeur Normand Mousseau, du Département de physique de l’Université de Montréal, et dont les résultats ont été récemment publiés dans la revue Sustainable Futures.

Des véhicules de plus en plus lourds

Selon les données analysées par les chercheurs, chaque véhicule vendu au Québec s'alourdit en moyenne de 11 kg par année depuis plus d'une décennie.

En effet, de 2011 à 2021, le poids moyen d’un véhicule automobile est passé de 1566 à près de 1700 kg. Les nouveaux véhicules qui prennent la route pèsent en moyenne 135 kg de plus que la moyenne du parc existant, tandis que ceux qui sont retirés de la circulation sont 104 kg plus légers.

Résultat: chaque véhicule acheté aujourd'hui pèse environ 110 kg de plus que celui qu'il remplace. Avec 60 000 véhicules qui s'ajoutent chaque année au parc automobile québécois, l'addition risque de devenir salée pour l’entretien du réseau routier… et pour le réseau électrique.

De plus, les petits utilitaires sport, qui représentaient 12,6 % du parc automobile en 2011, ont connu une progression fulgurante pour atteindre 28,3 % en 2021, devenant la catégorie dominante de véhicules sur les routes dès 2020. Pendant ce temps, le nombre de compactes a reculé de 28,5 à 25,4 % et celui des berlines et des minifourgonnettes a chuté de 19,7 à 14,6 %.

Une facture qui pourrait grimper de plusieurs centaines de millions de dollars

Les conséquences de cette tendance sur le réseau électrique seront considérables, selon les chercheurs.

Leurs projections indiquent que la demande d’électricité pour les véhicules électriques passerait de 0,24 térawattheure (TWh) en 2021 à 29,03 TWh en 2040, dans un scénario où l'alourdissement des véhicules se poursuit au rythme actuel.

Pour mettre ces chiffres en perspective, cela représente environ 13,6 % de la demande totale d'électricité enregistrée au Québec en 2019. D'ici 2030, alors que le gouvernement vise deux millions de véhicules électriques sur les routes, la consommation atteindrait 7,68 TWh, ce qui concorde avec les estimations d'Hydro-Québec de 7,8 TWh pour 2032.

Mais c'est surtout l'hiver québécois qui pose un défi de taille. Normand Mousseau insiste sur l'enjeu de la puissance électrique lors des grands froids.

«En contexte hivernal, il faut diminuer la demande en électricité parce qu'elle implique un coût important: lors des périodes de pointe, il en coûte de 150 à 200 $  pour produire chaque kilowatt additionnel, mentionne-t-il. Avec un parc entièrement électrifié en 2040, la puissance moyenne nécessaire pour une journée à -20 °C atteindrait 5261 mégawatts (MW) de plus, soit 12,1 % de la pointe hivernale enregistrée en 2022.»

«Si l’on augmente la pointe d’un gigawatt avec un parc automobile électrique qui continue à s’alourdir, on parle de quelques centaines de millions de dollars de plus pour produire cette électricité», ajoute Normand Mousseau.

Cette réalité s'explique par les particularités du climat québécois: les températures froides réduisent l'efficacité des batteries, augmentent la friction des pneus et accroissent la densité de l'air, autant de facteurs qui font grimper la consommation. À titre d’exemple, en janvier, avec une température moyenne de -10,3 °C, la consommation mensuelle d’électricité du parc automobile grimperait à 3,1 TWh, comparativement à seulement 1,9 TWh en août. À -20 °C, la puissance nécessaire double pratiquement par rapport à une journée d'été.

Trois scénarios pour l'avenir

Devant ce constat, les chercheurs ont modélisé trois scénarios pour la période 2021-2040. Dans le premier, ils laissent la tendance d'alourdissement se poursuivre sans intervention. Dans ce cas, la masse moyenne du parc automobile atteindrait 2114 kg en 2040, avec une demande d’électricité de 29,03 TWh et une puissance de pointe hivernale de 5261 MW.

Dans le deuxième scénario, on ne permet l'augmentation de poids que pour compenser la transition des véhicules à essence vers l'électrique. Les véhicules électriques sont naturellement 23 % plus lourds que leurs équivalents à essence, soit environ 344 kg supplémentaires en raison des batteries.

Dans le troisième scénario, on propose de geler le poids moyen des véhicules à celui de 2021, soit 1566 kg. Les résultats montrent que cette mesure permettrait de réduire la demande électrique de 17,6 % en 2040, qui passerait de 29,03 à 23,91 TWh. La puissance requise lors d'une journée à -20 °C chuterait de 5261 à 4332 MW.

Cette économie de près de 6 TWh équivaut aujourd'hui à environ 3 % de la production totale d'Hydro-Québec. Surtout, elle éviterait de devoir construire des infrastructures coûteuses qui ne serviraient que quelques heures par année, lors des pointes hivernales. En 2035, dans le scénario sans restriction, la puissance moyenne nécessaire à -20 °C atteindrait 3232 MW, ce qui représente 40,4 % de toute la puissance supplémentaire projetée dans le plan d'action d'Hydro-Québec pour cette année-là.

«L’électrification du parc automobile entraînera un coût de système qui devra être assumé et, selon nous, la réduction du poids moyen des véhicules est l'une des solutions à explorer», affirme Normand Mousseau.

Des solutions règlementaires à envisager

Comment imposer une telle réduction de poids? Les auteurs de l’étude proposent plusieurs pistes.

La première consiste à réduire directement le poids des batteries, un défi technologique majeur, mais réalisable à mesure que les technologies progressent, estiment-ils. «Entre 2017-2018 et 2021-2022, les batteries ont d'ailleurs été améliorées pour augmenter l'autonomie, mais cette amélioration s'est malheureusement accompagnée d'un alourdissement des véhicules», remarque Normand Mousseau.

La solution la plus réaliste passerait par une modification de la norme véhicules zéro émission, un outil règlementaire déjà en place. «On demanderait ainsi aux constructeurs de respecter un poids moyen particulier, à défaut de quoi ils devraient compenser le poids additionnel en payant une amende ou une taxe», poursuit-il. Ce mécanisme, qui s'est avéré efficace pour stimuler la production de véhicules électriques, pourrait être adapté pour contrôler le poids des véhicules.

«Tesla, par exemple, a bénéficié des transferts de crédits permis par cette norme, ce qui démontre qu'il est possible de faire assumer le coût des choix de conception par les constructeurs plutôt que par l'ensemble des consommateurs d'électricité», illustre-t-il.

Au-delà de la question énergétique, Normand Mousseau rappelle qu'il faudra également tenir compte de l'usure prématurée des routes attribuable au poids croissant des véhicules, ainsi que de la gravité accentuée des accidents impliquant des véhicules de plus en plus lourds.

Une problématique qui dépasse le Québec

Malgré le recul récent du gouvernement québécois sur l'interdiction de vente de véhicules à essence d'ici 2035, Normand Mousseau reste confiant quant à l'avenir de l'électrification.

«D'un point de vue mondial, la pression est là: l'électrification des véhicules routiers se fera», déclare-t-il. Le chercheur estime que, en reportant l'électrification, «le Québec se met temporairement la tête dans le sable, mais qu'il ne pourra pas éternellement refuser l'accès à des véhicules électriques plus performants et moins chers, comme ceux fabriqués en Chine».

Il soulève également un enjeu économique de taille.

«Depuis 20 ans, on laisse les autres pays développer les technologies vertes… Que produirons-nous dans 20 ans si on laisse les autres nous devancer? Il y a aussi un risque économique important à ne pas peser sur l'accélérateur», conclut-il.

Partager

Demandes médias

Université de Montréal
Tél. : 514 343-6111, poste : 67960