Les enfants sont plus ingénieux qu’on le croit

En 5 secondes Utiliser de la mousse comme éponges, des souches comme poupées et des feuilles pour communiquer, les jeunes chimpanzés se révèlent des technologues et des communicateurs avisés, démontre une étude.
L'étude explore les compétences en fabrication d’outils de jeunes chimpanzés sur le site de recherche de Ngogo. Sur la photo, Freddie, un chimpanzé de cinq ans, manipule une branche.

Les jeunes chimpanzés se montrent remarquablement créatifs, inventant des outils et améliorant ceux que les adultes utilisent. Et ce savoir-faire technique pourrait bien être la clé d’une meilleure compréhension du rôle des enfants dans l’évolution de toutes les cultures, y compris la nôtre.

C’est la conclusion à laquelle est arrivée une équipe de scientifiques dirigée par une anthropologue de l’Université de Montréal dans une nouvelle étude.

Publiée dans la revue Scientific Reports du groupe Nature, cette étude explore les compétences en fabrication d’outils de trois douzaines de jeunes chimpanzés sur le site de recherche de Ngogo, dans le parc national de Kibale, une vaste région boisée du sud-ouest de l’Ouganda qui abrite une importante population de chimpanzés vivant à l’état sauvage.

«Cette étude porte sur l’évolution de la culture chez les humains par l’intermédiaire des chimpanzés comme modèle de comparaison, et le message à retenir est que les enfants pourraient être des acteurs plus importants de l’évolution culturelle qu’on le pensait auparavant», dit Iulia Bădescu, professeure agrégée au Département d’anthropologie de l’UdeM.

Elle explique que, «à leur stade de développement, les enfants ont la liberté d’être créatifs et d’explorer. Ils peuvent expérimenter avec des outils et des objets, et cela conduit à des façons novatrices de les utiliser. Cela introduit de la variation dans le répertoire de compétences que les adultes peuvent ensuite adopter, et c’est ainsi que la culture évolue».

En Ouganda, où elle a passé une grande partie de son temps à étudier les chimpanzés, la chercheuse a observé que les jeunes se servaient de mousse comme d’une éponge pour absorber et boire de l’eau par exemple.

«On ne pense pas souvent aux enfants comme des innovateurs dans la technologie, mais ils peuvent l’être, poursuit Iulia Bădescu. Pour quiconque s’intéresse à la culture, quelle que soit sa discipline, ces observations et ces résultats devraient être très intéressants.»

L’origine de l’innovation

Dans son étude, réalisée avec des scientifiques de l’Université d’Århus (Danemark), de l’Université de Toronto et de l’Université Yale, Iulia Bădescu souligne que l’innovation alimente l’évolution culturelle, mais qu’on sait encore peu de choses sur ses origines développementales ou sur le rôle des individus immatures dans la production de nouveaux comportements.

Durant 15 mois répartis entre 2013-2014 et 2018, la chercheuse a examiné 67 utilisations d’objets par 36 chimpanzés juvéniles et infantiles (Pan troglodytes schweinfurthii) de Ngogo. Près de la moitié de ces usages étaient atypiques, déviant des comportements observés chez les adultes.

Dans 94 % des cas, il s'agissait de nouveaux usages ou de modifications de comportements adultes ou encore de l’application d’outils connus dans de nouveaux contextes. Trois comportements ont été classés comme des innovations: jouer avec une «poupée» (une souche d’arbre transportée comme s’il s’agissait d’un bébé), utiliser une touffe de mousse pour boire de l’eau et découper des feuilles pour signaler le désir d’être porté.

D’autres jeunes employaient des bâtons pour sonder des rayons de cire et en extraire du miel ou pour déterrer et consommer des termites. Ils se servaient aussi d’outils dans des contextes sociaux – par exemple pour le «toilettage à la feuille» – à la manière des adultes, mais selon leurs propres variations.

Un «indice d’exploration»

Pour évaluer les différences individuelles, Iulia Bădescu et son équipe ont élaboré un «indice d’exploration» intégrant la fréquence, la diversité et le caractère atypique des usages d’objets. Neuf jeunes chimpanzés ont présenté des scores particulièrement élevés. 

Les femelles et la progéniture de mères ayant eu plusieurs petits ont obtenu des résultats supérieurs, ce qui montre l’influence positive du sexe et du soutien social des mères expérimentées et des frères et sœurs.

«Ces résultats indiquent que les individus immatures produisent de la nouveauté aux marges du comportement typique de l’espèce, mais varient dans leur propension à innover», concluent les coauteurs de l’étude.

Ils écrivent encore qu’«un environnement social permissif favorisant le jeu avec des objets pourrait être la clé des trajectoires développementales de l’innovation en offrant un contexte génératif de variation comportementale sur lequel l’apprentissage social et la sélection peuvent agir. Si elles sont retenues et transmises, même des innovations rares chez les jeunes pourraient contribuer à enrichir l’évolution culturelle».

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