Santé humaine et santé animale, même combat!
- Forum
Le 26 novembre 2019
- Mathieu-Robert Sauvé
Le vétérinaire Jakob Zinsstag était de passage à l’Université de Montréal pour prononcer une conférence sur le concept Une seule santé.
«Je m’occupe des hommes, pas des chiens», s’est fait répondre le Dr Jakob Zinsstag lorsqu’il a voulu obtenir l’approbation d’un ministre du Tchad, pays aux prises avec de nombreux cas de rage, pour une campagne de vaccination canine.
Il faut parfois passer par les animaux pour obtenir des résultats en santé humaine, a fait valoir le chercheur suisse. Après avoir reçu les autorisations nécessaires du ministre de l’Agriculture, l’équipe a vacciné quelque 2000 chiens dans la capitale, N’Djamena, ce qui a permis de réduire presque à zéro les cas cliniques chez l’humain. On recensait annuellement 300 cas de transmission de rage par les chiens.
«Il peut être rentable de bien connaître les foyers d’infection avant de s’attaquer aux maladies humaines», a dit le chercheur de passage à l’Université de Montréal pour présenter une conférence sur le concept Une seule santé le 20 novembre dernier.
Dans le cas présent, quand on sait que 90 % des cas de rage sont consécutifs à des morsures de chien (on compte plus de 60 000 décès par rage annuellement dans le monde), on diminue les risques en vaccinant les animaux. Pour réussir ce type d’opération, la collaboration de la communauté est essentielle. Et celle-ci a pleinement participé à la campagne africaine; des photos montrent des enfants transportant dans leurs bras leur animal favori aux lieux de vaccination.
Brucellose
Ce n’est là qu’un exemple de la vision globale des chercheurs et spécialistes de la santé publique engagés dans ce mouvement international qui commence à prendre de l’ampleur. «Une seule santé, c’est un concept à la fois nouveau et presque évident», a indiqué Yanick Villedieu, animateur de cette conférence-midi à laquelle prenaient part également Michèle Bouchard, professeure à l’École de santé publique de l’UdeM, Christian Baron, professeur à la Faculté de médecine de l’Université, et David Kaiser, médecin à la Direction régionale de santé publique de Montréal. La tenue de la conférence a été rendue possible grâce à l’appui du Groupe de recherche en épidémiologie des zoonoses et santé publique de la Faculté de médecine vétérinaire dans le cadre du projet Construire l’avenir durablement, mis sur pied par l’UdeM avec la collaboration de HEC Montréal et Polytechnique Montréal.
Une autre zoonose à laquelle s’est attaqué le Dr Zinsstag en 2011 est la brucellose, causée par un virus présent chez les animaux d’élevage. Avant d’établir des mesures de prévention chez l’humain au Kirghizstan, l’équipe a mené une recherche épidémiologique auprès de milliers de bêtes ‒ moutons, chèvres, bovins ‒ pour constater que le principal vecteur de propagation de la maladie était le mouton. On a donc combiné un traitement préventif chez l’animal et un traitement curatif chez l’humain pour obtenir un effet mesurable et durable.
Encore là, les communautés humaines, nomades et presque privées de soins médicaux, ont été mises à contribution avec succès. «Le concept d’une seule santé n’a de sens que s’il met ensemble médecins, vétérinaires et membres de la communauté», a résumé le Dr Zinsstag. Or, les chercheurs sont souvent réticents à s’associer aux non-chercheurs dans leurs projets scientifiques, a-t-il déploré.
Santé et développement durable
Pour le microbiologiste Christian Baron, la résistance aux antibiotiques qu’on observe dans nos hôpitaux est indissociable de ce «travail en silo» qui nous fait oublier que l’humain fait partie du règne animal. Il ne faut pas s’étonner de voir ce phénomène prendre de l’ampleur compte tenu des quantités astronomiques d’antibiotiques utilisées dans l’élevage. «On a retrouvé des bactéries résistantes aux antibiotiques dans le sol gelé depuis 30 000 ans», a-t-il mentionné, illustrant que le phénomène n’était pas apparu subitement.
Directrice du Département de santé environnementale et santé au travail de l’UdeM, Michèle Bouchard a aussi livré un plaidoyer en faveur de l’interdisciplinarité. «La santé humaine est liée à celle des animaux. Une meilleure collaboration est nécessaire entre les sciences de la santé et les sciences sociales pour permettre une coconstruction du savoir.»
Diffusée en direct sur la page Facebook de l’Université de Montréal (et encore disponible pour visionnement), la conférence a été suivie par des gens d’Europe et d’Afrique. Le Dr Zinsstag avait répondu à l’invitation de sa collègue canadienne la Dre Hélène Carabin, présente à la conférence. Il y a quelques mois, Forum a fait état des recherches de Mme Carabin.