Des scientifiques au cœur de la lutte contre le coronavirus

  • Forum
  • Le 21 mai 2020

  • Dominique Nancy
C’est l’effervescence dans les laboratoires. Partout sur la planète, des scientifiques s’activent jour et nuit pour combattre la pandémie.

C’est l’effervescence dans les laboratoires. Partout sur la planète, des scientifiques s’activent jour et nuit pour combattre la pandémie.

Crédit : Getty

En 5 secondes

La causerie virtuelle du 12 mai a réuni des experts du Québec et de l’Université de Montréal qui ont discuté de questions sur la pandémie de COVID-19.

Des antiviraux à l’injection de plasma sanguin en passant par les vaccins et la collaboration internationale pour combattre la COVID-19, des sujets d’ordre planétaire sur la maladie ont été présentés à la causerie virtuelle du Cœur des sciences de l’UQAM.

Quelles sont les pistes les plus prometteuses? Quand les premières solutions verront-elles le jour? La collaboration internationale actuelle permettra-t-elle d’écourter les délais? Que font le Québec et le Canada? Voilà les principales questions abordées au cours de cette rencontre qui a réuni le 12 mai des  experts du Québec et de l’Université de Montréal.

«Depuis le début de la pandémie, la science n’a jamais été aussi présente dans notre quotidien. On n’a jamais autant vu de scientifiques dans les médias et cela démontre à quel point la science est importante [dans nos vies]», a signalé la directrice du Cœur des sciences, Sophie Malavoy, qui a animé par Zoom la causerie avec trois spécialistes des sciences de la santé: Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec et directeur des Fonds de recherche du Québec (FRQ); Nathalie Grandvaux, professeure au Département de biochimie et médecine moléculaire de l’Université de Montréal, chercheuse au Centre de recherche du CHUM et codirectrice du Réseau québécois COVID; et Hugo Soudeyns, directeur du Département de microbiologie, infectiologie et immunologie de la Faculté de médecine de l’UdeM et directeur du pôle d’excellence Maladies infectieuses et soins aigus du CHU Sainte-Justine.

Collaboration scientifique sans précédent

Rémi Quirion a résumé les activités des Fonds de recherche du Québec dans le combat contre la COVID-19 en soulignant qu’il y a en ce moment énormément de travaux qui sont menés de front partout dans le monde. «Les chercheurs sont habitués à collaborer, mais cette fois l’ampleur de la coopération scientifique internationale est exceptionnelle et sans précédent. On parle de science ouverte, c’est-à-dire que les données sont disponibles et partagées à l’échelle de la planète, a-t-il dit. Par exemple, le virus a été séquencé en laboratoire en Corée du Sud et l’information a rapidement été accessible sur les sites Web de sorte que tous les chercheurs québécois qui travaillent dans ce domaine pouvaient voir si le virus avait ou non beaucoup de mutations. Plusieurs sites à travers le monde répertorient aussi tous les essais cliniques par rapport à la COVID-19.»

Bref, il y a une grande effervescence dans les laboratoires et plusieurs chercheuses et chercheurs québécois ont été très médiatisés. «J’espère que la science va demeurer aussi présente quand le sport va revenir!»

Le Canada et le Québec sont en effet très actifs. Le gouvernement fédéral a investi massivement dans la recherche et les innovations liées à la pandémie, comme l’a mentionné Rémi Quirion. Un partenariat avec l’Organisation mondiale de la santé a été mis en place afin d’accélérer la mise au point de traitements. De nombreux appels de projets visant à mieux comprendre le mécanisme d’action du virus ont également été lancés, notamment par Génome Canada et les Instituts de recherche en santé du Canada.  

Le Québec s’est engagé pour sa part très rapidement dans des initiatives ciblées. En voici quelques-unes présentées par M. Quirion:

  • Financement d’une compagnie québécoise axée sur l’élaboration de vaccins afin d’avoir la capacité d’en produire éventuellement (participation du ministère de l’Économie et de l’Innovation);
  • Lancement d’un essai clinique à l’Institut de cardiologie de Montréal sous la direction du professeur Jean-Claude Tardif, de la Faculté de médecine de l’UdeM. L’étude ColCorona évalue la colchicine comme traitement potentiel pour réduire les complications inflammatoires graves observées chez les patients atteints de la COVID-19 (investissement initial du ministère de la Santé et des Services sociaux);
  • Formation du Réseau québécois COVID, codirigé par Nathalie Grandvaux, afin de coordonner les efforts de recherche dans le cadre de la pandémie (FRQ);
  • Conception d’une biobanque de la COVID-19 par un groupe de travail constitué d’équipes de recherche de toute la province, dont celles du CHUM et de l’UdeM. L’objectif est de collecter, stocker et partager des échantillons biologiques (sang, plasma et cellules) et des données de patients infectés avec les équipes scientifiques. «Il s’agit d’un projet d’envergure auquel participe un vaste réseau d’hôpitaux de la province et, si possible, qui devrait s’étendre à l’échelle pancanadienne», a indiqué M. Quirion;  
  •  Mise sur pied de divers projets innovants de recherche sur les personnes âgées, la santé mentale et l’éducation numérique;
  • Évaluation éthique ainsi que de l’acceptabilité sociale des technologies numériques, dont la reconnaissance faciale et la géolocalisation, pour lutter contre la pandémie (projet de recherche de l’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’intelligence artificielle et du numérique financé par les FRQ).

M. Quirion a aussi rappelé l’importance de la méthode scientifique, c'est-à-dire de suivre les étapes, sans en brûler aucune, malgré les pressions actuelles sur la communauté de chercheurs pour produire des résultats rapidement. «Il faut continuer de prendre le temps de bien faire les choses», a-t-il déclaré en prévenant que «ce n’est pas demain matin qu’on va fabriquer un vaccin!»

Le scientifique en chef du Québec s’est dit content de l’engagement des chercheurs et chercheuses et de tout le travail accompli. «S’il y a une leçon qu’on doit retenir, c’est qu’il faut continuer à investir dans la recherche fondamentale, car, malheureusement, il y aura d’autres virus et pandémies. On se doit d’être mieux préparé.»

Où en est-on avec les antiviraux?

Nathalie Grandvaux

À la question «Où en est-on avec les antiviraux?» posée par Mme Malavoy à Nathalie Grandvaux, cette dernière a fait un bilan de la situation en replaçant d’abord le SRAS-CoV-2, le virus à l’origine de la COVID-19, dans un contexte global afin de mieux comprendre les stratégies antivirales qui sont à l’étude présentement. «Le SRAS-CoV-2 est l’un des coronavirus dont certains étaient connus, a-t-elle précisé. Il y a des coronavirus saisonniers, qui causent des rhumes, ainsi que celui du syndrome respiratoire du Moyen-Orient ‒ le MERS ‒ et le syndrome respiratoire aigu sévère ‒ le SRAS. Le MERS est en circulation, mais dans une zone géographique très restreinte. Le SRAS a été responsable d’une épidémie en 2003. Dans les deux cas, les épidémies sont contrôlées beaucoup plus facilement, car les maladies associées sont si graves qu’il est possible d’isoler les patients très rapidement. Tout cela pour vous dire que la communauté scientifique travaille déjà à étudier des virus respiratoires.»

Selon Mme Grandvaux, pour combattre la COVID-19, il faut trouver une ou des molécules qui permettent d’augmenter la réponse antivirale, donc les mécanismes de défense contre le virus, mais en même temps qui peuvent diminuer l’inflammation liée à une «tempête cytokinique» et les dommages que le virus provoque dans les poumons, ce qui entraîne chez certains une défaillance des poumons et d’autres organes.

L’ennemi de 200 nanomètres de diamètre a transformé le monde. Même si son génome est semblable à celui du SRAS, ce pathogène est complètement nouveau. Le combattre ressemble par bien des aspects à un travail de moine. C’est comme chercher une aiguille dans des milliers de bottes de foin! «Les stratégies thérapeutiques à l’étude ont pour but soit d’accroître les réponses de l’organisme, soit de réduire les dommages collatéraux liés à l’inflammation tissulaire», a mentionné Mme Grandvaux avant d’expliquer les deux principales façons de fabriquer des antiviraux.

Il y a des antiviraux, comme c’est le cas pour la trithérapie contre le VIH, qui visent les mécanismes du virus afin de freiner sa multiplication. Une autre approche est celle axée sur l’élaboration de molécules qui pointent vers des mécanismes présents dans plusieurs virus. Enfin, plus récemment, une approche qui intéresse d’ailleurs beaucoup le groupe de recherche de Mme Grandvaux est la conception de molécules qui ciblent les mécanismes de défense de l’être humain afin de favoriser son combat contre le virus. «On parle donc de molécules qui ciblent l’hôte, a dit Nathalie Grandvaux. Comme il s’agit de mécanismes qui se recoupent souvent dans la lutte contre plusieurs virus, on espère pouvoir mettre au point des antiviraux à plus large spectre.»

Ici, le souci des scientifiques est d’être prévoyants en vue d’une prochaine pandémie. «Si le prochain fléau est causé par un virus qu’on ne connaît pas encore, comme celui qui vient de nous arriver, on aura ainsi peut-être une chance de limiter sa portée», a indiqué Mme Grandvaux.

Récemment, des résultats très intéressants ont été obtenus au cours d’un essai clinique multicentrique réalisé à Hong Kong où étaient combinés le lopinavir et le ritonavir associés à un antiviral à large spectre, la ribavirine, et à l’interféron bêta chez des patients avec des symptômes de COVID-19 modérés, a signalé Nathalie Grandvaux. «Mais on est loin de régler le problème des patients gravement atteints», selon la chercheuse. Mme Grandvaux a également parlé de l’essai clinique lancé au Québec pour tester l’effet anti-inflammatoire de la colchicine et dont on attend des résultats impatiemment. La molécule testée, en raison de ses pouvoirs anti-inflammatoires, pourrait réduire le risque de complications pulmonaires liées à la COVID-19.  

«Des centaines d’essais cliniques sont en cours avec des molécules connues et permettront d’y voir plus clair prochainement, a affirmé Nathalie Grandvaux. En parallèle, il y a énormément de tests effectués dans les laboratoires de recherche afin d’étudier d’autres options qui nous permettraient d’attendre l’arrivée d’un vaccin en diminuant les symptômes des gens gravement malades afin qu’ils puissent passer à travers la maladie.»

Partout, le constat est le même: il faudra un certain temps avant de disposer de traitements ou de vaccins efficaces. Pour un vaccin, c’est encore plus compliqué! «Cela fait plus de 30 ans que des chercheurs travaillent sur un vaccin contre le VIH», a rappelé le directeur du Département de microbiologie, infectiologie et immunologie de la Faculté de médecine de l’UdeM, Hugo Soudeyns. On attend encore.

La course contre la montre

Hugo Soudeyns

Est-ce qu’on a une idée du temps qu’il faudra pour concevoir un vaccin contre la COVID-19? Hugo Soudeyns a abordé la fameuse question que tout le monde se pose. «On parle de 18 à 24 mois, ce qui serait déjà un tour de force», a-t-il dit en évoquant le long et laborieux processus de mise au point d’un vaccin préventif mais aussi sa grande efficacité. «La vaccination a permis d’éviter des centaines de millions de décès, ne serait-ce qu’au 20e siècle. Ainsi, certaines maladies infectieuses comme la poliomyélite, la variole, le tétanos et la rougeole sont disparus ou pratiquement disparus de nos jours.»

Au vu de toutes les incertitudes relatives aux propriétés du SRAS-CoV-2, plusieurs pistes vaccinales sont envisagées. Certains se penchent sur un vaccin à partir d’un germe vivant et atténué, c’est-à-dire un germe portant des mutations qui le rendent moins virulent. D’autres favorisent le recours à une fraction de germe inactivé. Une autre méthode poursuivie est le vaccin composé d’acides nucléiques, par exemple de l’ARN.  

Chaque type de vaccin est produit de manière spécifique, mais sa fabrication suit, en général, les mêmes étapes. «Toutes ces approches doivent être décidées de façon préliminaire et sur le plan clinique, a expliqué Hugo Soudeyns. À l’heure actuelle, plus d’une centaine de candidats sont à l’étude dans différents laboratoires à travers le monde.»

Les chercheurs commencent par sélectionner l’immunogène, soit la portion du virus qui déclenche une réponse immunitaire. On entre alors dans la série de phases d’essais cliniques (phases I, II et III), qui mobilisent un grand nombre de patients et où le mot d’ordre est la sécurité. Toutes les phases sont surveillées comme le lait sur le feu. «Ces phases représentent la plus grande partie du temps de production», a souligné M. Soudeyns.

C’est à ces étapes que les scientifiques déterminent chez l’humain l’innocuité d’un vaccin. «On ne veut surtout pas que celui-ci aggrave la maladie, a mentionné M. Soudeyns. Il est donc très important de procéder de manière rigoureuse, à double insu et de recourir à suffisamment de patients pour s’assurer qu’il n’y a pas d’effets secondaires graves, mais également pour établir le dosage idéal. Dans certains cas, il faut plusieurs doses.»

Au cours de la phase III, étape finale avant la production, l’efficacité du vaccin est évaluée. «Si on trouve un vaccin qui remplit toutes ces conditions, on pourra passer alors à la production, a dit Hugo Soudeyns. Mais ce n’est pas aussi évident que cela en a l’air. Dans le cas de la COVID-19, on parle de vacciner la boule au complet! C’est tout un défi industriel. Il faut construire des usines ou reconvertir des usines afin de produire le vaccin en très grande quantité. Cela prend du temps et des investissements importants.»  

En situation de pandémie, l’une des stratégies pour raccourcir le processus de développement vaccinal est de sélectionner plusieurs immunogènes et de combiner différentes étapes. Plusieurs groupes de chercheurs essaient divers candidats de front et effectuent leurs tests de sûreté et d’efficacité en parallèle plutôt que séquentiellement afin d’accélérer le processus de recherche. «Ultimement, cela pourrait diminuer les délais», a estimé le professeur Soudeyns.

Il s’est dit optimiste, puisqu’il y a déjà un vaccin contre le coronavirus canin. «On sait donc qu’il sera fort possible de procéder aussi à une vaccination chez l’humain.»

De nombreuses questions sur la mise au point d’un vaccin et la compréhension de l’immunité dans le cas de la COVID-19 demeurent encore sans réponse. Est-ce que les gens qui récupèrent de la maladie sont immunisés? Ceux qui ont des symptômes plus graves sont-ils davantage immunisés comparativement aux gens asymptomatiques? Quel est le rôle du système immunitaire dans les problèmes cardiovasculaires liés à la COVID-19? Pourquoi si peu d’enfants sont-ils malades bien qu’ils soient contagieux et infectés? Est-ce une capacité liée à leur tissu pulmonaire? «C’est dans la réponse à ces questions qu’on pourrait découvrir la clé qui nous permettrait de vaincre cette maladie», a conclu M. Soudeyns.

Cette causerie en ligne était organisée par le Cœur des sciences de l’UQAM en partenariat avec les Fonds de recherche du Québec et l’Acfas et avec la collaboration du magazine Québec Science.

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