La recherche de contacts pour sauver des vies
- Salle de presse
Le 4 juin 2020
- Jeff Heinrich
Dans une émission en direct, trois professeurs de l'UdeM discutent des conséquences d'une nouvelle application pour téléphone intelligent conçue à Mila pour retracer l'exposition à la COVID-19.
Il existe de nombreuses façons de lutter contre la COVID-19: en respectant des mesures de distanciation sociale, en limitant les voyages à l’étranger, en renforçant les soins médicaux, etc. Mais l'une de celles dont on parle le plus souvent ces jours-ci est d'ordre technologique: les applications pour téléphones intelligents.
Partout dans le monde, les gens utilisent de plus en plus les applications de recherche des contacts pour savoir s'ils ont côtoyé une personne infectée par le virus, quand et où, et pour prendre les mesures appropriées afin de s'assurer que le virus ne se propage pas davantage. À Montréal, des chercheurs dirigés par Yoshua Bengio, professeur au Département d'informatique et de recherche opérationnelle de l'Université de Montréal, ont mis au point une application gratuite appelée COVI qui, selon eux, permettra d'atteindre cet objectif en combinant l'épidémiologie, la cryptographie, l'éthique, le droit, la psychologie et l'intelligence artificielle.
Non encore approuvée, COVI ne ressemble à aucune autre technologie similaire déployée dans d'autres pays, selon ses développeurs. Elle permettrait de calculer les niveaux de risque des utilisateurs plusieurs fois par jour, leur faisant savoir s'ils représentent un danger pour les autres. De plus, les données recueillies dans leurs téléphones avec leur consentement seraient agrégées et transmises aux autorités de santé publique, qui pourraient alors cartographier les «points chauds», soit les endroits où le virus est le plus présent. Les données ne seraient conservées que pendant 90 jours et pourraient être supprimées sur demande directement par les utilisateurs.
Un débat déjà public
L'application a déjà suscité un débat: sera-t-elle vraiment efficace? Les données des utilisateurs seront-elles sécurisées? Y aura-t-il suffisamment de personnes qui l'adopteront pour que les données soient vraiment significatives? Pour répondre à ces préoccupations et parler de l'utilité de COVI et des applications de recherche de contacts en général, Yoshua Bengio et deux autres professeurs de l'UdeM ‒ Benoît Mâsse (santé publique) et Pierre Trudel (droit) ‒ ont participé à une discussion en direct le 3 juin, diffusée sur la page Facebook de l'Université.
Modérée par la commentatrice politique Marie Grégoire, avec des questions supplémentaires soumises par écrit par le public en ligne, cette rencontre d'une heure a couvert un large éventail de sujets. Yoshua Bengio et ses collègues ont discuté de la recherche de contacts sous trois angles: technologique, sanitaire et juridique. Leur consensus: une fois déployée et correctement règlementée, l’application COVI pourrait être une arme solide dans l'arsenal de la société pour lutter contre la COVID-19 et finalement sauver de nombreuses vies.
«Toutes les technologies ne sont pas égales, tant en termes de respect de la vie privée qu'en termes d'efficacité, a déclaré le professeur Bengio, directeur scientifique de Mila, l’Institut québécois d’intelligence artificielle. Ce que nous devons souligner, c'est qu'avec des applications comme COVI nous pouvons sauver des vies de manière très significative. Si les gens l’utilisent, s'ils comprennent comment ils peuvent aider leur communauté de cette façon, alors cela peut vraiment faire une énorme différence.»
Une aide à la recherche manuelle
Combinées avec la recherche manuelle ‒ par laquelle les équipes de santé publique reconstituent les mouvements des patients atteints de la COVID-19 en les interrogeant et en déterminant avec qui ils ont été en contact ‒, des applications comme COVI aideraient les gens à évaluer la probabilité qu'ils transmettent le virus à d'autres, a dit M. Mâsse, professeur au Département de médecine sociale et préventive de l'École de santé publique de l'UdeM.
«La seule façon de se sortir de cette pandémie est d'obtenir l'aide du grand public», a-t-il indiqué. Et des applications comme COVI peuvent contribuer de manière importante à la participation des gens. Ce n'est pas en agissant chacun de notre côté que nous gagnerons cette bataille. Si l'application n'est pas adoptée par un nombre suffisant de personnes, nous devrons soit attendre un vaccin, soit continuer à traiter les gens plus longtemps.»
Pour Pierre Trudel, spécialiste juridique des changements technologiques au Centre de recherche en droit public de l'UdeM, «ces applications promettent de remplacer l'enfermement physique par une meilleure façon d'évaluer le risque qui permet aux gens d'exercer leurs droits et libertés ‒ y compris de mouvement. Le défi au Canada sera de mettre à jour les lois sur la protection des données afin de s'assurer que les informations des personnes sont réellement sécurisées».
Visionnez la discussion.
Les questions du public suscitent des réponses rapides
Les questions soumises du grand public ont abondé durant la discussion de mercredi, dont beaucoup étaient d'ordre technique. En voici quelques-unes, ainsi que les réponses données par le professeur d’informatique Yoshua Bengio.
L’application COVI a-t-elle déjà été testée dans la communauté?
Non. En fait, il faudrait d'abord obtenir l'autorisation du gouvernement avant de pouvoir déployer ce type d'application.
Un projet pilote serait-il utile pour voir comment l‘application fonctionne dans une «zone chaude» comme Montréal-Nord?
Oui, mais nous aurions une plus grande fiabilité statistique si elle était testée dans un certain nombre de communautés et même dans tout Montréal.
Quelle est la précision de la technologie Bluetooth utilisée par COVI? Peut-elle pénétrer les murs?
Oui, un contact peut être enregistré entre voisins de deux appartements distincts s'ils sont proches du mur.
Les données recueillies seront-elles un jour vendues à des tiers?
Non, bien sûr que non, cela serait interdit.
L'application COVI pourrait-elle dire à quel point il serait risqué de rendre visite à un ami?
Non, nous avons conçu la technologie de manière qu'elle ne permette jamais de faire cela. C'est une question de protection de la vie privée.
Qui a financé la recherche sur COVI?
Le gouvernement fédéral. Mila lui-même a des partenaires privés, mais leur financement est destiné à d'autres travaux.
Pour que COVI soit efficace, combien de personnes devraient l'utiliser?
Avec l'IA [intelligence artificielle], nous avons besoin de beaucoup moins d'utilisateurs que les applications standards ‒ peut-être seulement 20 % de la population ‒ pour que l'application ait un effet significatif.
À propos de COVI
Pour développer l'application, Yoshua Bengio et son équipe ont travaillé en étroite collaboration avec les ministères canadiens de la Santé, de la Justice ainsi que de l'Innovation, des Sciences et du Développement économique, le commissaire à la protection de la vie privée du Canada et la conseillère scientifique en chef du Canada. L’application COVI sera gérée par COVI Canada, une organisation à but non lucratif, et les données collectées ne pourront être utilisées à des fins commerciales. COVI est la seule application au monde qui est approuvée par l'Unesco.
L'application fournira:
- Des notifications automatisées: la possibilité d'utiliser des appareils mobiles pour informer automatiquement un réseau de contacts passés d'un résultat positif à la COVID-19, avec une technologie de pointe pour protéger la vie privée des personnes.
- L'évaluation des risques personnels: grâce à un outil alimenté par l'IA, la technologie permettra d'évaluer un niveau de risque pour chaque utilisateur en fonction de son état de santé, de ses symptômes et de ses rencontres avec d'autres personnes.
- Des recommandations personnalisées aux utilisateurs: informations et conseils personnalisés selon les meilleures pratiques médicales afin d'encourager une action responsable.
- Des paramètres épidémiologiques agrégés pour aider les autorités sanitaires à comprendre la maladie et à optimiser les stratégies individuelles et collectives à l’échelon local.
L'application fonctionne de cette manière:
- Les utilisateurs seront invités à saisir volontairement des informations telles que l'âge, les problèmes de santé antérieurs et les symptômes afin de fournir une évaluation des risques et d’obtenir des recommandations personnalisées.
- L'application sur l'appareil d'un utilisateur se connecte à l'application sur l'appareil d'un autre utilisateur lorsqu'ils sont proches l'un de l'autre à peu près au même moment. L'application crée une «correspondance» unique qui relie ensuite les deux utilisateurs de manière non identifiable et permet aux informations fournies sur le risque estimé de circuler entre les appareils des deux utilisateurs, par un protocole cryptographique et un serveur sécurisé qui n'a pas accès aux mouvements et aux contacts des personnes.
- Lorsqu'une personne est officiellement déclarée positive, les autorités sanitaires envoient un message avec un mot de passe unique à l'utilisateur COVID-positif, qui peut alors consentir à partager les informations diagnostiques (non identifiantes) avec les contacts stockés dans son application.
- Le niveau de risque personnel des utilisateurs qui ont déjà été en contact étroit avec une personne COVID-positive est alors mis à jour, avec de nouveaux conseils sur les précautions ou les actions requises (par exemple isolement ou tests) afin de les orienter vers un comportement qui les protégera.
Les avantages pour les Canadiens sont notamment les suivants:
- Une surveillance de la propagation du virus à l'aide de technologies permettant de gagner en rapidité et en efficacité, de briser les chaînes d'infection et de devenir collectivement plus intelligent en matière de contagion.
- Des informations actualisées sur le niveau d'exposition et de risque personnel, permettant aux gens de faire de meilleurs choix pour eux-mêmes, leurs familles et leurs communautés.
- Des conseils personnalisés et des recommandations d'actions pour les utilisateurs dans leur vie quotidienne et dans les mesures d'isolement, notamment pour permettre d'assouplir les mesures générales tout en veillant à ce que les personnes à haut risque reçoivent des conseils personnalisés pour appliquer des directives plus strictes de la part des autorités.
- Des données et des informations en temps utile pour soutenir la réponse de santé publique et atténuer les répercussions sociales et économiques de la pandémie en concentrant les mesures de confinement et les tests sur les personnes pour lesquelles ils sont le plus nécessaires.
Relations avec les médias
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Jeff Heinrich
Université de Montréal
Tél: 514 343-7593