Des dragons témoins des changements climatiques
- Forum
Le 19 août 2020
- Mathieu-Robert Sauvé
Claire Grosset étudie les reptiles comme espèces sentinelles témoignant des changements climatiques.
Les reins des reptiles pourraient être des indicateurs des changements climatiques. En étant soumis à la sécheresse et à des températures excessives, certains lézards développeraient une insuffisance rénale. «Ce sont des animaux qui adaptent leur température corporelle à celle de l’environnement et ils sont donc sujets aux variations de température et d’humidité», explique Claire Grosset, professeure à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal.
Depuis 12 ans, la jeune femme se spécialise dans les soins et l’étude des animaux exotiques. Un de ses projets de recherche vient de se voir attribuer une subvention de 132 000 $ sur cinq ans du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, incluant une somme accordée dans le cadre d’un programme de soutien aux jeunes chercheurs. Il porte sur la mise au point d’un dispositif peu invasif afin d’évaluer la fonction rénale chez les reptiles affectés par les changements climatiques. «Avec une simple prise de sang, nous pensons pouvoir évaluer la santé de l’animal, en lien avec le niveau de détérioration du milieu naturel», précise la Dre Grosset, qui occupe le poste de vétérinaire en chef de l’Aquarium du Québec.
Une étude préliminaire, déjà entamée, porte sur une colonie de dragons barbus (Pogona vitticeps), un saurien venu d’Océanie qui s’adapte bien à la captivité. On applique une méthode de diagnostic éprouvée chez les oiseaux, mais qui n’avait jamais été tentée sur cette classe d’animaux.
Même si le dragon barbu est un lézard qui vit en milieu désertique en Australie, on pense qu’un tel test pourrait être applicable dans d’autres écosystèmes. «Rien n’empêche que notre méthode puisse être utilisée auprès des tortues des bois ou des tortues peintes, qu’on rencontre à l’état sauvage au Québec», ajoute la chercheuse.
Les zoos, arches de Noé
En plus de ses responsabilités universitaires, Claire Grosset veille aux soins des morses, des ours polaires et des poissons et crustacés marins de l’Aquarium du Québec. Elle souligne que les établissements zoologiques – il y en a plusieurs milliers dans le monde – font œuvre utile en matière de conservation. «Certaines espèces qui ont frisé la disparition ont été réintroduites dans leur écosystème réhabilité grâce aux soins prodigués dans les zoos», fait-elle valoir, mentionnant le sphénodon, en Nouvelle‑Zélande.
Même si sa charge de travail à ce titre est surtout d’ordre clinique, elle profite de la proximité de cette collection vivante pour mener différentes recherches. Un de ses projets porte sur le bar rayé, un poisson commun dans l’estuaire du Saint-Laurent. Ces travaux font progresser les connaissances en médecine vétérinaire, souvent limitée dans l’esprit de la population aux chiens et aux chats.
Comme elle l’écrit avec deux autres auteurs dans un article paru dans la revue Veterinary Clinics of North America: Exotic Animal Practice, la médecine vétérinaire a beaucoup progressé depuis 10 ans en matière d’animaux exotiques. «De nouvelles technologies sont en cours d'élaboration pour faciliter la détection ciblée des métabolites par les vétérinaires. Des techniques nouvelles, des biomarqueurs et des changements cliniques liés à la maladie ont été décrits chez des espèces aviaires, des mammifères, des poissons, des reptiles et des amphibiens.»
Passion reptiles
Le poste de professeure spécialisée en médecine zoologique semble fait sur mesure pour la Dre Grosset, originaire de France. Dès l’école vétérinaire, elle a observé avec fascination le développement des reptiles. Après avoir terminé sa formation vétérinaire dans son pays d’origine en 2008, elle effectue un internat en médecine zoologique à l’Université de Montréal, puis une résidence en médecine et chirurgie des animaux exotiques de compagnie à l’Université de Californie à Davis, aux États-Unis. Elle travaille depuis 2015 à Saint‑Hyacinthe, en collaboration avec son prédécesseur, le Dr Stéphane Lair, professeur en santé de la faune.
Elle a signé plus de 50 articles dans des revues scientifiques sur des thèmes aussi variés que les soins aux morses, les effets des radiations sur les animaux vertébrés, les fractures des oiseaux de proie et les tumeurs chez le rat de compagnie. Elle a reçu au passage plusieurs prix pour la qualité de son travail, dont le plus récent (2019) de l’Association of Avian Veterinarians. Ce prix souligne sa «contribution exceptionnelle et son engagement à faire progresser le bien-être et la préservation des oiseaux».