L’IA se met au service de la gestion de la pandémie

  • Forum
  • Le 19 août 2020

  • Mathieu-Robert Sauvé
«Au Canada, aux États-Unis et en Europe, des voix s’élèvent pour protéger la vie privée des gens. À mon avis, nous avons les moyens de respecter ces valeurs tout en limitant la propagation de l’épidémie», indique le professeur Morales.

«Au Canada, aux États-Unis et en Europe, des voix s’élèvent pour protéger la vie privée des gens. À mon avis, nous avons les moyens de respecter ces valeurs tout en limitant la propagation de l’épidémie», indique le professeur Morales.

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En 5 secondes

Manuel Morales a participé à une réflexion sur la gouvernance technologique menée par un groupe d’experts internationaux.

Santé Canada a lancé le 30 juillet l’application Alerte COVID, qui vous avise si une personne que vous avez côtoyée durant les deux dernières semaines a subi un test positif au coronavirus. Actuellement limitée à l’Ontario, cette application fera peut-être bientôt son entrée au Québec et dans le reste du pays.

«Si une technologie existante peut contribuer à la gestion du risque pandémique, nous avons la responsabilité, comme société, d’explorer son utilisation», dit Manuel Morales, professeur au Département de mathématiques et de statistique de l’Université de Montréal et spécialiste de l’intelligence artificielle (IA). Avec une quinzaine de chercheurs européens et nord-américains (dont un autre représentant de l’UdeM, Bryn Williams-Jones, de l’École de santé publique), le chercheur membre de l’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’intelligence artificielle et du numérique a participé à un exercice de réflexion sur la gouvernance lancé par la Human Technology Foundation. Au terme des travaux qui se sont étendus sur plusieurs semaines, l’équipe interdisciplinaire a produit en mai 2020 un rapport intitulé Gouverner la technologie en temps de crise, qui se veut une «aide à la décision dans le cadre de la COVID-19».

Pour les auteurs, qui proposent des recommandations afin de mettre en œuvre un système de gouvernance efficace pour des solutions de traçage numérique relatives à la COVID-19, il importe de «passer d’un mode de gestion de catastrophe sanitaire à un processus de gestion de risque à moyen terme». L’État a un rôle essentiel à jouer dans la mise en place du cadre règlementaire dans lequel les technologies sont appelées à se développer.

Acceptabilité sociale

Manuel Morales

Si des États comme la Chine et la Corée du Sud n’ont pas eu la même sensibilité que l'Occident vis-à-vis des enjeux éthiques et du respect de la vie privée au moment de suivre l’évolution de la contagion par l’intermédiaire de dispositifs électroniques personnels, il en va autrement des pays dont les lois protègent les renseignements personnels. «Au Canada, aux États-Unis et en Europe, des voix s’élèvent pour protéger la vie privée des gens. À mon avis, nous avons les moyens de respecter ces valeurs tout en limitant la propagation de l’épidémie», indique le professeur Morales.

Selon lui, il existe déjà une culture et un cadre règlementaire dans lesquels les individus consentent à partager certaines de leurs données personnelles en échange d’un service ou d’une information. Historique de navigation, utilisation de logiciels de cartographie en ligne, données de géolocalisation par exemple, le partage de renseignements se fait de façon régulière sur Internet. Il n’y a pas de raison de se priver d’informations personnelles qui pourraient servir la santé collective. «Des technologies et protocoles rendent anonymes et sécurisés le partage et l'exploitation de ces informations tout en permettant d’en tirer des avantages collectifs. Il suffit de rester vigilant quant aux enjeux et risques qui y sont associés, bien sûr», résume-t-il.

Il n’est pas exclu que des rappels de consignes à suivre soient envoyés à un téléphone dont l’utilisateur a côtoyé sans le savoir des personnes malades dans les jours précédents («Soyez prudent», «Lavez-vous les mains»). Si cet utilisateur présente des symptômes comme la fièvre ou la toux, des messages plus impératifs s’imposeraient («Restez chez vous»); les recommandations seraient ainsi personnalisées et régulièrement mises à jour.

Mathématiques et modélisation

C’est son expertise en modélisation mathématique et statistique qui a permis au professeur Morales d’être invité à se joindre au groupe de réflexion de la Human Technology Foundation. Depuis une dizaine d’années, ses travaux portent sur les applications des mathématiques et de la statistique dans le secteur bancaire et dans les assurances. Il applique des méthodes d’apprentissage automatique et d’intelligence artificielle à des réalités du monde de la finance. Il a, notamment, été scientifique en chef à la Banque Nationale du Canada au moment où celle-ci a effectué un virage numérique vers l’IA.

Sa contribution dans le rapport produit a principalement porté sur la dimension de la modélisation des données mathématiques derrière les applications de traçage numérique. «Ça a été une expérience formidable de réunir des gens de plusieurs pays autour de cet intérêt commun visant à mettre sur pied une stratégie proactive de gouvernance. Je crois que cet exercice est un outil important dans la prise de décision dans un contexte de crise sanitaire. Cela nous permet d’être mieux préparés pour faire face à la nouvelle réalité où la technologie peut jouer un rôle important.»