Astronomie: démêler un flux en spirale de braises poussiéreuses
- Salle de presse
Le 16 septembre 2020
- UdeMNouvelles
Une équipe internationale d’astronomes réussissent à capturer le mouvement en spirale de la poussière provenant du système stellaire binaire Wolf-Rayet 112.
Grâce à près de deux décennies d'imagerie dans l'infrarouge moyen provenant des plus grands observatoires du monde, une équipe internationale d'astronomes a réussi à capturer le mouvement en spirale de la poussière provenant du système stellaire binaire Wolf-Rayet (WR) 112.
L'analyse de ce flux de poussière désigne WR 112 comme une usine à poussière très efficace qui produit chaque année une masse terrestre entière de poussière, révèlent les astronomes dans une étude publiée aujourd'hui dans la revue Astrophysical Journal.
La formation de poussière dans l'espace est typiquement observée dans les doux écoulements des étoiles froides ayant une masse semblable à celle du Soleil. Elle est quelque peu inhabituelle dans l'environnement extrême des étoiles massives et de leurs vents violents.
Cependant, des choses intéressantes se produisent lorsque interagissent les vents rapides de deux étoiles massives d’un système stellaire binaire.
«Lorsque les deux vents entrent en collision, c'est l'enfer», a dit Anthony Moffat, astronome de l'Université de Montréal et membre de l'équipe de recherche, qui a découvert les spirales de poussière de WR 112 pour la première fois en 2002 avec son collègue de l'UdeM de l'époque Sergey Marchenko.
«Il y a une émission massive de rayons X de gaz de choc, a mentionné Anthony Moffat, ainsi qu’une quantité étonnamment importante de particules de poussière d'aérosol à base de carbone nouvellement formées dans ces binaires où l'une des étoiles a évolué pour brûler de l'hélium, qui produit 40 % de carbone dans leurs vents.»
Ce processus de formation de poussière de binaires est exactement ce qui se produit dans WR 112. C'est un phénomène qui a été observé dans d'autres systèmes, dont WR 104, par le coauteur de l'étude actuelle, Peter Tuthill, de l'Université de Sydney. WR 104, en particulier, montre une élégante traînée de poussière ressemblant à une «roue d'épingle» qui trace le mouvement orbital du système stellaire binaire central.
La nébuleuse de poussière autour de WR 112 est beaucoup plus complexe. Pendant des décennies, les observations sur plusieurs longueurs d'onde ont donné des interprétations contradictoires de l'écoulement de poussière et du mouvement orbital de WR 112. Puis, en octobre 2019, après presque 20 ans d'incertitude, les images de l'instrument COMICS ‒ du télescope Subaru du Japon, basé à Hawaii ‒ ont fourni la dernière pièce, inattendue, du puzzle.
«Nous avons publié une étude en 2017 sur WR 112 qui indiquait que la nébuleuse poussiéreuse ne bougeait pas du tout; j'ai donc pensé que notre observation COMICS le confirmerait», a déclaré l'auteur principal de l'étude, Ryan Lau, de l'Institut des sciences spatiales et astronautiques de l'Agence japonaise d'exploration aérospatiale.
«À ma grande surprise, l'image COMICS a révélé que l'enveloppe poussiéreuse avait bougé depuis la dernière image que nous avons prise avec le VLT [Very Large Telescope] en 2016. Cela m'a tellement troublé qu’après mes observations je n’ai pas réussi à dormir. J'ai continué à feuilleter les images jusqu'à ce que je comprenne finalement que la spirale semblait tomber vers nous.»
Ryan Lau a montré ses travaux à Peter Tuthill et à son étudiant Yinuo Han, de l'Université de Sydney, tous deux experts en modélisation et en interprétation du mouvement des spirales poussiéreuses de systèmes binaires comme WR 112. «J'ai partagé avec eux les images de WR 112 et ils ont pu produire un modèle préliminaire étonnant qui a confirmé que le courant de spirales poussiéreuses tourne dans notre direction le long de notre ligne de visée», a raconté Ryan Lau.
Modèle animé de la nébuleuse spirale de poussière autour de WR 112 (à gauche) et les observations correspondantes réelles (à droite).
Ce modèle animé montre l'effet de l'angle de vue sur l'apparition de la spirale de poussière.
En effet, les images du modèle de l'équipe ont mis au jour une remarquable ressemblance avec les images réelles de WR 112. Les modèles et la série d'images observées ont révélé que la période de rotation de cette spirale poussiéreuse «en bordure» (et la période orbitale du système binaire central lui-même) est de 20 ans. L'aspect est radicalement différent selon qu'on la regarde de face ou de côté, ce qui reflète l'importance de l'angle de vision de WR 112.
Avec l'image révisée de WR 112, l'équipe de recherche a pu déduire la quantité de poussière que ce système binaire est en train de former.
«Les spirales sont des modèles répétitifs, donc, puisque nous comprenons combien de temps il faut pour que s’effectue un tour complet de spirale poussiéreuse ‒ environ 20 ans ‒, nous pouvons déterminer l'âge de la poussière produite par les étoiles binaires au centre de sa spirale, a expliqué Ryan Lau. Il y a de la poussière fraîchement formée au centre même de la spirale, alors que la poussière que nous voyons s'éloigner de quatre tours de spirale a environ 80 ans.
«Par conséquent, a-t-il poursuivi, nous pouvons essentiellement établir sa durée de vie le long du flux de poussière en spirale révélé par nos observations. J'ai donc pu repérer les images où se trouve la poussière formée à ma naissance: en ce moment, elle se trouve quelque part entre le premier et le deuxième tour de spirale.»
À leur grande surprise, les astronomes ont découvert que WR 112 est une usine à poussière très efficace qui produit de la poussière à un rythme équivalant à celui de la production annuelle d'une masse terrestre entière de poussière. Cela était inhabituel compte tenu de la période orbitale de 20 ans de WR 112; les producteurs de poussière les plus efficaces dans ce type de système stellaire binaire WR ont tendance à avoir des périodes orbitales plus courtes, de moins d'un an, comme WR 104 avec sa période de 220 jours.
WR 112 démontre donc la diversité des systèmes binaires WR capables de former efficacement de la poussière et met en évidence leur rôle potentiel en tant que sources importantes de poussière non seulement dans notre galaxie, mais aussi dans les galaxies au-delà, estiment les chercheurs.
Enfin, ont-ils dit, ces résultats démontrent le potentiel de nouvelles découvertes grâce à l'imagerie multipôle dans l'infrarouge moyen par l'instrument MIMIZUKU de l'observatoire Atacama de l'Université de Tokyo, qui doit commencer à fonctionner bientôt au Chili.
«Les résultats de notre étude dans l'infrarouge moyen ont pu être obtenus grâce notamment aux plus grands observatoires du monde et préparent le terrain pour la prochaine décennie de découvertes astronomiques avec des télescopes de 30 m et le futur télescope spatial James-Webb de la NASA», a conclu M. Lau.
À propos de cette étude
L’étude intitulée «Resolving decades of periodic spirals from the Wolf-Rayet dust factory WR 112», par Ryan Lau et ses collaborateurs, a été publiée le 16 septembre 2020 dans l'Astrophysical Journal.
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Julie Gazaille
Université de Montréal
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