Mieux voir un trouble souvent invisible
- UdeMNouvelles
Le 15 octobre 2020
- Martine Letarte
Le 16 octobre est la Journée internationale de sensibilisation au trouble développemental du langage. Ce trouble qui passe souvent inaperçu peut être lourd de conséquences.
François Gosselin a reçu son diagnostic de trouble développemental du langage (TDL) vers l’âge de trois ans. «Le TDL, auparavant appelé dysphasie, dure toute la vie et il peut comprendre des difficultés à s’exprimer et à comprendre plus ou moins graves», explique Geneviève Côté, orthophoniste et chargée de clinique à la Clinique universitaire en orthophonie et en audiologie de l’École d’orthophonie et d’audiologie de l’Université de Montréal.
Le jeune homme a fait ses études primaires et secondaires dans une classe spécialisée de langage qui permet aux élèves d’acquérir des compétences et des connaissances du programme de formation de l’école québécoise en tenant compte de leur rythme d’apprentissage. Dans cet environnement bienveillant, il n’a pas vraiment pris conscience de son TDL. La réalité l’a frappé de plein fouet lorsqu’il a quitté les bancs d’école pour commencer à travailler comme aide-serveur dans un restaurant.
«Une fois, mon patron m’a demandé d’aller chercher un sac de nourriture au sous-sol, raconte François Gosselin. Il avait parlé rapidement et quelqu’un d’autre avait dit quelque chose en même temps, c’était un milieu stressant, tout allait vite, j’étais anxieux. Je n’avais pas compris ce que le patron voulait. J’ai donc décidé de remonter trois sacs différents.»
C’est lorsque son patron, ignorant son trouble, a crié après lui de façon méprisante en voyant les trois sacs que François Gosselin s’est dit qu’il ne pourrait pas continuer comme ça. Il a donc pris conscience, à 21 ans, des conséquences de son TDL sur sa vie et il a décidé de changer le cours des choses.
Une longue rééducation
D’abord, François Gosselin est allé consulter une orthophoniste. «Je n’ai pas eu les services dont j’avais besoin dans le public, alors j’ai dû aller dans le privé pour entreprendre une rééducation qui s’est étalée sur des années, précise-t-il. J’étais comme un analphabète. Oui, je pouvais parler et écrire un peu, mais si je me comparais à quelqu’un de mon âge, je n’étais pas fonctionnel.»
Avec son plan d’intervention en main, il est retourné à l’école, aussi dans le privé. «C’est là que je me suis senti soutenu, affirme-t-il. J’étais dans un petit établissement, où je fonctionnais à mon rythme avec du soutien personnalisé. C’est ce qui a fait diminuer mon anxiété et qui m’a permis d’avancer.»
Parti d’un niveau de troisième année du primaire, il est maintenant, à 28 ans, sur le point d’obtenir son diplôme d’études secondaires. Il commencera bientôt un diplôme d’études professionnelles en décoration intérieure et présentation visuelle. C’est une nouvelle vie qui s’offre à lui après toutes ces années d’efforts.
«Mon TDL ne paraît plus maintenant dans mon quotidien, mais c’est tout le travail que j’ai fait en rééducation qui m’a permis de mieux me débrouiller», mentionne-t-il.
«Le TDL est un handicap invisible parce que les enfants apprennent souvent très jeunes à compenser et plusieurs se débrouillent très bien, soutient Geneviève Côté. Mais il n’en demeure pas moins que ces jeunes doivent faire ces efforts d’adaptation tous les jours pour avoir une qualité de vie.»
Vers une meilleure sensibilisation
Le TDL touche pas moins de sept pour cent des Québécois. Ces personnes peuvent obtenir des services à la Clinique universitaire en orthophonie et en audiologie de l’École d’orthophonie et d’audiologie de l’UdeM. Les étudiants et étudiantes en stage en orthophonie, supervisés par des professeurs et des cliniciens, évaluent leurs besoins, leurs forces, leurs difficultés et les répercussions du TDL dans leur vie.
«Nous accueillons beaucoup d’enfants, mais lorsque nous voyons des adultes, c’est souvent parce qu’ils retournent étudier et qu’ils vivent des difficultés», remarque Geneviève Côté.
Après l’évaluation des besoins, le plan d’intervention proposé les aide à cibler ce qu’ils doivent travailler pour être plus fonctionnels dans leur vie étudiante, professionnelle, sociale et amoureuse.
«Plusieurs recommandations peuvent être faites à l’entourage de la personne qui vit avec un TDL, que ce soit ses proches, ses professeurs ou son employeur, indique Geneviève Côté. Par exemple, faire des phrases plus courtes, utiliser un support visuel ou encore lui laisser du temps pour s’exprimer malgré ses difficultés. Toutes ces stratégies peuvent grandement améliorer la vie de la personne.»
La Semaine québécoise du trouble développemental du langage a d'ailleurs lieu en ce moment.
Un projet de recherche pour faciliter le passage au milieu du travail
Mieux comprendre les compétences à développer chez les gens atteints d’un TDL sur les plans du langage, de la communication et des habiletés sociales afin qu’ils puissent intégrer plus facilement le monde du travail. C’est l’objectif d’une nouvelle recherche à laquelle participe Stefano Rezzonico, professeur et chercheur à l’École d’orthophonie et d’audiologie de l’UdeM. L’équipe dirigée par Noémie Auclair-Ouellet, de l’Université McGill, travaille en collaboration avec les centres de services scolaires de Montréal et de la Seigneurie-des-Mille-Îles.
«Le passage au milieu du travail est extrêmement complexe pour les gens qui ont un TDL parce que les compétences communicationnelles exigées dans une logique de productivité changent énormément par rapport à ce qui est demandé à l’école, où les enseignants sont plutôt dans la bienveillance», dit Stefano Rezzonico.
Par contre, il fait remarquer que ce ne sont pas toutes les personnes avec un TDL qui ont des difficultés à intégrer le monde de l’emploi.
«En comprenant mieux quelles sont les compétences requises pour une intégration réussie au marché du travail, nous pensons que les enseignants et les orthophonistes pourront mieux soutenir ces jeunes dans leur développement», souligne M. Rezzonico.
Si beaucoup de recherches se font maintenant auprès des enfants avec un TDL, peu encore sont entreprises du côté des adolescents. «On en est encore aux balbutiements et je crois que c’est important d’aller au-delà de l’enfance parce que l’adolescence est une phase importante dans la construction de son identité et le langage contribue à savoir qui l'on est», illustre le professeur.
Le Réseau provincial de recherche en adaptation-réadaptation soutient financièrement ce projet pour deux ans.