Émilie Castonguay, agente de joueurs
- Revue Les diplômés
Le 21 octobre 2020
- Martin LaSalle
Émilie Castonguay est la seule Canadienne agente certifiée pour représenter les hockeyeurs de la LNH. Le parcours de cette diplômée est atypique, mais il n’est certainement pas le fruit du hasard.
Le mardi 6 octobre 2020 restera gravé à tout jamais dans la mémoire du hockeyeur-vedette de l’Océanic de Rimouski Alexis Lafrenière: il a été le premier joueur à être sélectionné au repêchage de la Ligue nationale de hockey (LNH), et ce, par les Rangers de New York.
Ce fut une journée tout aussi mémorable pour son agente, l'avocate Émilie Castonguay, diplômée de l'Université de Montréal, qui est la seule agente de hockeyeurs au Canada certifiée par l’Association des joueurs de la LNH et la deuxième en Amérique du Nord!
Pour Émilie Castonguay, le hockey et le droit sont des prédispositions quasi génétiques.
D’abord le hockey: toute jeune, elle est admirative de son père, Gérard Castonguay, qui joue le soir dans une ligue récréative. Vers l’âge de quatre ou cinq ans, elle manifeste le désir d’aller le voir à l’aréna, mais en raison de l’heure du match, sa mère lui fait croire qu’elle peut le regarder à la télé… «Pendant un an, j’ai cru que mon père jouait pour le Canadien, rigole-t-elle. C’est comme ça que je suis devenue partisane du Bleu-blanc-rouge.»
Et le droit? Après avoir eu ses trois filles, sa mère, Danielle Roy, entreprend des études de droit, déterminée à devenir avocate. «Elle nous emmenait à ses cours du soir et nous nous installions dans le fond de la classe pour dormir», se rappelle Émilie Castonguay. Pas étonnant qu’elle et sa sœur aînée, Valérie, optent pour le droit lorsque vient l’âge de fréquenter l’université.
Hockeyeuse d’abord
À sept ans, Émilie Castonguay souhaite jouer au hockey. Ses parents hésitent, puis lui procurent un équipement trop grand (et qui ne sent pas bon!). Son père la conduit à un premier entraînement. «Je me suis changée dans l’auto, car il n’y avait pas de vestiaire pour les filles et mon père me disait comment m’habiller tout en tenant le volant», relate-t-elle.
En donnant ses premiers coups de patin, elle tombe sur la glace. «Je me suis relevée et je n’ai plus jamais cessé de patiner!» Après les ligues mineures, elle joue au secondaire dans l’équipe du Collège Notre-Dame, puis dans celle du Collège Jean-de-Brébeuf. Le talent de l’attaquante no 11 est tel qu’elle reçoit une bourse grâce à laquelle elle fera partie, de 2005 à 2009, des Purple Eagles de l’Université de Niagara, à Buffalo, la première division de hockey féminin de la National Collegiate Athletic Association (NCAA).
Le calibre élevé de la ligue fait réaliser à la jeune femme qu’elle devra faire une croix sur une carrière de hockeyeuse. «À Brébeuf, je jouais dans le premier trio et j’étais capitaine de l’équipe; dans la NCAA, j’ai aussi été capitaine de mon équipe, mais j’étais sur la troisième ligne, illustre-t-elle. Il y avait des joueuses de stature olympique dans mon équipe et je constatais que je n’allais ni me rendre aux Jeux olympiques ni jouer dans la LNH: je traînais aussi des blessures et mon corps me disait d’arrêter.»
Sur les traces de sa mère et de sa sœur
Travailleuse acharnée tant sur la glace qu’en classe, Émilie Castonguay obtient un diplôme en finance-marketing de l’Université de Niagara. Elle refuse toutefois de faire le deuil du hockey, car elle a un nouvel objectif en tête… «J’avais tellement étudié la game… À la fin de l’adolescence, je jouais à la directrice générale d’équipe et je m’amusais à jongler avec les salaires, se souvient-elle. Et lors du lock-out de 2005 dans la LNH, je me suis intéressée à la convention collective des joueurs.»
Si son désir d’étudier en droit est motivé par l’idée de représenter un jour les joueurs de la LNH, il est une autre raison – plus intime – qui l’incite à suivre cette voie. Le 23 mai 2008, sa sœur Valérie meurt dans un accident tragique. Âgée de 25 ans, l’étudiante de l’UdeM venait de terminer son barreau… «Elle n’a jamais su qu’elle avait réussi son examen, révèle Émilie Castonguay. Nous avons reçu ses notes deux semaines après son décès.»
Déterminée à honorer sa mémoire, Émilie Castonguay amorce ses études de droit en 2010. «Tout au long de mon parcours, j’ai eu un soutien incroyable de l’Université de Montréal, confie la diplômée. Les professeurs avaient beaucoup aimé Valérie, car elle était très engagée dans la communauté.» La famille a d’ailleurs créé la bourse Valérie-Castonguay, destinée à un étudiant ou une étudiante de premier cycle.
Son carburant: aider
Après avoir rencontré Pierre Gauthier, qui était alors directeur général du Canadien de Montréal, Émilie Castonguay effectue un stage à Momentum Hockey, une firme québécoise de représentation d’athlètes appartenant à Christian Daigle. Après ses études, celui-ci l’embauche en 2013. Depuis, la femme de 36 ans est devenue vice-présidente et directrice des affaires juridiques et des «opérations hockey». Outre Alexis Lafrenière, elle veille notamment sur les intérêts d’Antoine Roussel (des Canucks de Vancouver), de Mathieu Joseph et Cédric Paquette (du Lightning de Tampa Bay), de Pierre-Olivier Joseph (des Penguins de Pittsburgh) et de Marie-Philip Poulin (une ex-Canadienne de Montréal).
«Il n’y a pas de semaine type: on s’occupe des 75 joueurs de l’agence et on leur offre des services en continu, explique Émilie Castonguay. On effectue le suivi avec la LNH pour certains, on accompagne ceux qui passent des midgets à la Ligue de hockey junior majeur du Québec…» Le niveau de jeu est si élevé que les agents de jeunes joueurs voient à tout pour que leurs protégés puissent se consacrer exclusivement à leur sport.
«Les gens oublient que, même si les athlètes sont bien traités, leurs conditions de travail sont difficiles, et ils ont aussi des droits, insiste Émilie Castonguay. Il y a des injustices dans n’importe quel milieu de travail, la LNH comprise. Je veux apporter ma contribution parce que les joueurs nous font vivre de grandes émotions et il faut prendre soin d’eux!»
D’ici une dizaine d’années, l’agente d’athlètes souhaite élargir son champ d’action aux États-Unis et à l’Europe, où les talents pullulent. Et elle aimerait aussi travailler avec des athlètes olympiques.
«Ces athlètes n’ont pas une vie facile, ils se donnent entièrement à leur discipline dans l’ombre et on les acclame une fois tous les quatre ans, puis on les oublie, conclut-elle. Même les médaillés d’or ont une vie difficile: lorsqu’ils se retirent, ils n’ont souvent rien devant eux, et surtout pas l’argent qu’ils mériteraient. Je veux changer cela.»