L’impression 3D au service de la santé dentaire des morses en milieu zoologique

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  • Le 26 novembre 2020

  • Martin LaSalle
Lakina, une femelle morse de quatre ans de l'Aquarium du Québec, affiche sa nouvelle couronne dentaire fabriquée par une imprimante 3D.

Lakina, une femelle morse de quatre ans de l'Aquarium du Québec, affiche sa nouvelle couronne dentaire fabriquée par une imprimante 3D.

Crédit : Claire Grosset

En 5 secondes

Les vétérinaires Claire Grosset et Yvan Dumais de l’UdeM ont posé sur une femelle morse de quatre ans une couronne prothétique fabriquée à l’aide d’une imprimante 3D afin de protéger ses défenses.

Lorsqu’il est dans son habitat naturel composé de glace, de terre et de roc, le morse s’appuie sur ses défenses pour se hisser hors de l’eau et se mouvoir. Tel que l’indique son nom latin, Odobenus rosmarus, il «marche sur ses dents».

Mais il arrive que les défenses du morse se fissurent ou se brisent lorsqu’il vit dans un milieu reconstitué par l’homme, comme un aquarium fait de béton, de métal et d’autres matériaux choisis pour résister à ce mammifère pouvant peser plus d’une tonne.

Pour protéger ses défenses et lui éviter des abcès dentaires, les spécialistes en médecine vétérinaire privilégient l’installation de couronnes métalliques conçues sur mesure et qui permettent d’éviter une extraction dentaire ‒ une intervention plus invasive et risquée. Mais jusqu’à maintenant, on n’avait pas déterminé quel métal présentait les meilleures caractéristiques pour durer et résister à l’usure et à l’oxydation par l’eau salée.

Or, l’Aquarium du Québec a été le théâtre d’une première le 29 septembre dernier: une femelle morse de quatre ans pesant plus de 400 kg s’est fait poser une couronne prothétique en alliage chrome-cobalt fabriquée par imprimante 3D et dont la solidité avait été évaluée au préalable.

La fabrication de la couronne prothétique est le fruit du travail d’une équipe de chercheurs composée de Vladimir Brailovski, professeur en génie mécanique à l’École de technologie supérieure, du Dr Yvan Dumais, clinicien-enseignant en dentisterie vétérinaire à l’Université de Montréal, et de la Dre Claire Grosset, professeure en médecine zoologique à l’UdeM et vétérinaire à l’Aquarium du Québec. La cimentation, qui s’est faite en moins de cinq minutes, n’a nécessité aucune anesthésie grâce à la collaboration de l’entraîneuse Kléo Carrier.

Quand le génie et la médecine vétérinaire ne font qu’un

La Dre Claire Grosset

Crédit : Aquarium du Québec

Les Drs Dumais et Grosset ont fait appel au professeur Brailovski afin qu’il désigne le métal le plus résistant parmi ceux déjà utilisés dans la fabrication de ce type de couronne.

«L’alliage chrome-cobalt s’est avéré le plus biocompatible et résistant et, puisqu’il était impossible de fabriquer des couronnes d’une aussi grosse dimension à l’aide d’un four, c’est la technologie de l’impression 3D qui s’est imposée», raconte Claire Grosset.

En novembre 2019, les cliniciens de la Faculté de médecine vétérinaire de l’UdeM ont fait des impressions des défenses de Lakina, la femelle morse. Ces impressions ont permis au laboratoire dentaire de faire des copies de défenses qui ont ensuite été numérisées afin de fabriquer les prothèses au moyen d’un appareil EOS M280, une imprimante 3D qui recourt à la fusion par laser sur lit de poudre métallique.

«Comme de petites erreurs peuvent survenir entre la prise de l’empreinte et l’impression 3D, le professeur Brailovski et ses étudiants ont conçu trois couronnes ‒ chacune permettait un jeu variant de 0,25 à 0,45 mm entre la dent et la couronne ‒ pour s’assurer qu’elle se fixe parfaitement à la défense du morse», explique la Dre Grosset.

Les vétérinaires ont ainsi pu choisir celle qui convenait le mieux à la «patiente» sans lui causer d’inconfort.

Entraîner un morse à rester immobile

Cette prouesse technologique n’aurait pu être réalisée sans le concours des entraîneurs de l’Aquarium du Québec, qui ont appris à Lakina à améliorer sa capacité à rester immobile tout au long du processus ‒ de la prise d’empreinte de ses défenses à l’installation de la couronne qui pouvaient prendre jusqu’à cinq minutes.

Pour augmenter graduellement la durée d’immobilité requise, les entraîneurs ont utilisé une technique de renforcement positif à l’aide de proies appétissantes ou de sons et de jouets qu’affectionne l’animal, à raison de quatre séances d’entraînement par jour pendant 11 mois!

«Tout comme les otaries et les phoques, le morse est un pinnipède qui s’acclimate bien à la présence humaine, qui adore l’entraînement et y participe volontairement, affirme la vétérinaire spécialisée en médecine zoologique. Jamais on n’affame ou ne punit l’animal au cours de l’entraînement biomédical.»

Près de deux mois après l’intervention, Lakina se porte bien et la couronne ne présente aucun signe d’usure.

«Ce projet d’impression 3D pourrait ouvrir la voie à de futures applications du procédé, comme des couronnes dont la partie distale serait remplaçable sur les morses ou d’autres types de prothèses résistantes à l’eau salée pour les animaux aquatiques», conclut la Dre Grosset.

17 morses en milieux zoologiques en Amérique du Nord

Les morses ont un statut de conservation préoccupant au Canada en raison de facteurs humains et du réchauffement climatique. Aujourd’hui disparue, une colonie de morses peuplait le golfe du Saint-Laurent au 18e siècle.

Afin de sensibiliser le public à leur sauvegarde et pour en apprendre davantage sur cette espèce, des établissements zoologiques hébergent des morses et contribuent à leur reproduction. La population de l’Aquarium du Québec compte 3 morses parmi les 17 animaux actuellement recensés en milieux zoologiques en Amérique du Nord.  

  • Anatolie Timercan et Morgan Letenneur, tous deux étudiants à l'École de technologie supérieure, posent devant l'imprimante 3D qui a permis de créer la couronne de Lakina.

    Crédit : Vladimir Brailovski