Un pas de plus est franchi vers la réforme du droit de la famille
- Forum
Le 16 décembre 2020
- Mathieu-Robert Sauvé
Le professeur Alain Roy, de la Faculté de droit, est nommé conseiller spécial du gouvernement du Québec en matière de réforme du droit de la famille.
En octobre, le ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette, a nommé Alain Roy conseiller spécial du gouvernement du Québec dans le dossier de la réforme du droit de la famille. Pour le professeur de la Faculté de droit de l’Université de Montréal, ce geste démontre la volonté politique de la Coalition avenir Québec (CAQ) de mettre en branle une réforme qui s’impose depuis trop longtemps.
«Dès l’arrivée au pouvoir de la CAQ, le premier ministre François Legault a affirmé que la réforme du droit de la famille était une priorité de son gouvernement. À mes yeux, la nomination de Simon Jolin-Barrette au ministère de la Justice est un signe qu’il est sur le point de passer aux actes», confie Alain Roy en entrevue cette semaine. Depuis plusieurs années, fait-il remarquer, Simon Jolin-Barrette se montre intéressé par cette réforme. Même lorsque son parti était dans l’opposition, il est intervenu à plusieurs reprises durant les travaux parlementaires en appui à la réforme et il est demeuré en contact étroit avec les experts.
Au cours de rencontres périodiques, le professeur Roy est appelé à échanger avec les décideurs politiques. «Je trouve qu’il est très sain de permettre à un universitaire de discuter des solutions basées sur ses travaux de recherche, sachant que le choix des orientations qui seront privilégiées appartient bien sûr au ministre», commente-t-il.
Son rôle, précise-t-il, consiste à débattre des besoins juridiques en matière de droit de la famille telle qu’elle apparaît dans ses multiples formes en 2020 et d’«alimenter la réflexion» du ministre.
Vingt ans de travail
L’intérêt d’Alain Roy pour le droit de la famille remonte à plus de 20 ans, tant dans ses travaux de recherche que dans son enseignement. Il a présidé le Comité consultatif sur le droit de la famille, qui, au terme de deux ans de travail, a déposé son rapport le 5 juin 2015. L’État a, depuis, changé de mains et la réforme semblait être une patate chaude qui embarrassait le législateur. L’arrivée au pouvoir de la CAQ a donné un nouvel élan au projet. La prédécesseure de Simon Jolin-Barrette au ministère de la Justice, Sonia LeBel, a d’ailleurs orchestré une consultation nationale sur la réforme en 2019.
Quel axe de la réforme semble le plus urgent pour le juriste? Tout dépend de là où l’on porte le regard, mais la question du statut des conjoints de fait est fondamentale. «On ne peut pas imaginer un nouveau droit de la famille où l’union de fait ne fait pas l’objet de dispositions spécifiques. Actuellement, la famille est définie dans le Code civil à partir de la filiation et du mariage. Alors que plus du tiers des couples vivent en union de fait, cette définition me semble anachronique.»
La pandémie pourrait accentuer les effets malheureux de cette lacune sur les conjointes de fait. Comme le mentionnait le professeur Roy dans un entretien précédent, les pertes d’emplois occasionnées par les mesures de confinement pourraient nuire à l’égalité des sexes. «Le plus souvent, c’est la femme qui est la moins bien payée dans le couple. En se retirant du marché du travail, elle perd une bonne partie de ses revenus alors que l’homme continue de s’enrichir. En cas de rupture, la femme se trouvera en mauvaise posture financière», dit-il en spécifiant que cette analyse prospective ne s’appuie pas sur des données probantes, puisque la pandémie n’est pas terminée.
Autre urgence: revoir le droit de l’enfant
Les médias ont rapporté plusieurs cas de maltraitance d’enfants au cours des derniers mois. La réforme tant attendue peut-elle faire quelque chose pour contenir ce phénomène? «Ici, on entre dans une sphère où plusieurs systèmes juridiques interviennent. La maltraitance relève à la fois de la Loi sur la protection de la jeunesse du Québec et du Code criminel du Canada.»
Cela ne signifie pas que le Code civil n’a pas à se prononcer haut et fort sur les valeurs qui doivent prévaloir en matière d’autorité parentale, poursuit-il. «Comme le recommandait le Comité consultatif, on pourrait avantageusement indiquer dans le Code civil que l’autorité parentale exclut l’usage de toute forme de châtiment corporel. Ce serait là un message fort qui permettrait de déclarer solennellement qu’au Québec il est inacceptable de porter atteinte tout autant à l’intégrité physique des enfants qu’à celle de tout autre sujet de droit, et ce, peu importe le contexte applicable.»
En ajoutant la responsabilité de conseiller spécial du gouvernement à son agenda déjà chargé, Alain Roy n’a pas un automne de tout repos. Mais il considère qu’il est de son devoir de participer à la vie publique quand on fait appel à son expertise. «Je crois que notre position d’universitaire nous amène à être des acteurs de changement social. Quand l’occasion se présente, il ne faut pas rester dans sa tour d’ivoire», conclut-il