Vers de nouvelles éclosions de rage au sud du Nunavik?

  • Forum
  • Le 25 février 2021

  • Martin LaSalle
Des chercheurs craignent que le variant arctique du virus de la rage migre au sud du 55e parallèle à la faveur d’interactions plus fréquentes entre les renards roux et les renards arctiques au nord, où ils sont de plus en plus en compétition pour se nourrir.

Des chercheurs craignent que le variant arctique du virus de la rage migre au sud du 55e parallèle à la faveur d’interactions plus fréquentes entre les renards roux et les renards arctiques au nord, où ils sont de plus en plus en compétition pour se nourrir.

Crédit : Getty

En 5 secondes

La professeure Cécile Aenishaenslin préconise l’établissement d’un système de surveillance pour détecter rapidement de nouvelles éclosions de rage chez les renards au sud du 55e parallèle au Québec.

Éradiquée dans plusieurs pays d’Europe, la rage du renard persiste toujours au nord du 55e parallèle au Québec, soit au Nunavik. La maladie est endémique chez le renard arctique, c’est-à-dire qu’elle y sévit en permanence à différents degrés selon les années.

Or, des chercheurs et des observateurs sur le terrain craignent que le variant arctique du virus de la rage migre vers les régions plus au sud à la faveur d’interactions plus fréquentes entre les renards roux (Vulpus vulpus) et les renards arctiques (Vulpus lagopus) au nord, où ils sont de plus en plus en compétition pour se nourrir.

À la demande du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec, la professeure Cécile Aenishaenslin, de la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, et des membres du Groupe de recherche en épidémiologie des zoonoses et santé publique ont effectué une étude pour évaluer la faisabilité d’établir un système de surveillance dans les régions que la rage du renard arctique est susceptible d’atteindre.

Trois vagues historiques de rage au Québec

Cécile Aenishaenslin

Pour évaluer la situation, Mme Aenishaenslin et ses collègues ont scruté les données de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), à qui incombe, depuis 1926, d’analyser les carcasses d’animaux sauvages et domestiques ayant succombé à la maladie.

Entre 1926 et 2017, 6814 cas ont été déclarés au Québec, dont la moitié touchaient des canidés sauvages (renards roux et arctiques, loups et coyotes). L’étude a permis de mettre en évidence trois vagues de la maladie chez les populations de renards au Québec.

Une première vague est survenue de 1956 à 1958, puis une deuxième s’est étendue de 1960 à 1979, avec 1230 cas. Finalement, une troisième vague s’est échelonnée de 1986 à 1997, pour un total de 1702 cas de rage chez les renards.

«La première vague semble avoir été causée par des renards arctiques infectés qui se sont introduits au sud du 55e parallèle», écrivent les chercheurs.

Un risque réel sur un vaste territoire

Or, entre 2000 et 2017, 62 renards morts de la rage ont été enregistrés. Parmi ces bêtes, les deux tiers provenaient du Nunavik, où la maladie est endémique, tandis que les 20 autres ont été trouvés en Abitibi-Témiscamingue et sur la Côte-Nord.

Tous attribuables au variant arctique, «ces 20 récents cas laissent croire que la maladie pourrait s’étendre au sud de la zone endémique, estiment les cosignataires de l’étude. Cette incursion de la rage [au sud du 55e parallèle] demeure une menace dans un contexte où les changements climatiques peuvent accroître les déplacements des renards roux et des renards arctiques dans l’axe nord-sud».

Après avoir recensé les cas de rage survenus dans 259 municipalités et communautés situées dans les régions de l’Abitibi-Témiscamingue, de la Côte-Nord, de la Mauricie et du Saguenay–Lac-Saint-Jean ainsi qu’en Jamésie dans le Nord-du-Québec, les chercheurs n’ont pu établir les secteurs où il faut prioriser l’établissement d’un système de surveillance des nouvelles éclosions.

«L’exercice s’avère difficile, car l’ensemble de ces régions à surveiller couvrent 1 495 246 km2 et les animaux morts de la rage analysés par l’ACIA sont principalement ceux avec lesquels des humains ont pu être en contact», explique Cécile Aenishaenslin.

Pour une surveillance préventive et citoyenne

Pour mettre sur pied un système de surveillance qui permet de détecter le variant de façon préventive, la professeure propose de «recourir à la science citoyenne, par l’entremise d’un réseau d’observateurs sensibilisés dans ces régions – chasseurs, passionnés de nature et autres – assisté d’un dispositif permettant de rapporter les cas en temps réel».

Selon Cécile Aenishaenslin, la prévention de la rage n’est pas seulement une question de santé publique, elle concerne aussi la santé animale. Rappelant que tous les mammifères sont susceptibles d’être infectés par le virus et que de nombreux animaux d’élevage sont morts lors des éclosions historiques de la maladie après avoir été infectés, elle prône une prévention qui protégera les populations animales tant domestiques que sauvages.

Enfin, un système de surveillance plus poussé de la rage permettrait également, et surtout, d’éviter les morsures par un animal rabique – un accident traumatisant en soi! – et de devoir vacciner toutes les personnes ayant été en contact avec un animal atteint de la maladie.

Sur le seul plan financier, il en coûte environ 1500 $ pour vacciner une personne ayant été en contact avec un animal porteur du virus, sans compter les efforts à déployer pour retrouver les gens qui ont pu être en contact avec l’animal et la personne en question…

Les cas de rage chez l’humain sont très rares au Québec

Les cas de rage chez l'humain sont extrêmement rares au Québec. Le dernier cas recensé dans la province remonte à octobre 2000: un enfant de neuf ans est décédé d’une encéphalite rabique après avoir été mordu, sans s’en apercevoir, par une chauve-souris enragée. Il s’agissait du premier cas de la maladie transmise à l’humain depuis 1985.