L'investissement social ne défavorise pas les plus démunis dans les États-providence de l’OCDE
- UdeMNouvelles
Le 23 mars 2021
- Martin LaSalle
Le politologue Alain Noël, de l’UdeM, déconstruit la thèse selon laquelle certains investissements dans les programmes sociaux profitent aux plus aisés et désavantagent les plus démunis de la société.
L’éducation et la formation continue, les services et le soutien aux familles ainsi que l’aide à l’emploi ont été les trois principaux secteurs dans lesquels les États-providence dits «classiques» ont élaboré des politiques d’investissement social au cours des dernières décennies.
Or, certains chercheurs estiment que ces politiques sont non seulement insuffisantes, mais qu’elles découlent d’un compromis par lequel ces nouveaux investissements sociaux ont pu être faits en réduisant les budgets alloués à la protection du revenu des moins nantis.
Mais est-ce bien le cas?
Dans un article publié dans la revue Socio-Economic Review, le politologue Alain Noël déconstruit cet argument en mesurant les investissements sociaux destinés au soutien à l’emploi et aux services de garderie effectués entre 1990 et 2009 par 18 États membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont le Canada et ses provinces.
«Les mesures de soutien à l’emploi et aux services de garderie sont deux missions relativement nouvelles dans ces États, et mon objectif était de vérifier si elles reflètent la politique habituelle de l'État-providence classique ou si elles sont le fruit d’un détournement des modèles établis», explique le professeur du Département de science politique de l’Université de Montréal.
Comparer des données… comparables
Il a mis à l’épreuve cette «hypothèse du compromis» en analysant la relation entre les dépenses consacrées à ces deux missions sociales durant cette période et l’engagement de chacun des pays à offrir de façon continue un revenu minimal adéquat aux personnes les plus vulnérables.
Toutefois, les données sur les revenus d’aide sociale n’ont pas été faciles à comparer, car l’aide offerte par les pays prend différentes formes, comme les prestations directes, les crédits d’impôt, l’aide au logement et l’assurance médicaments.
Aussi, Alain Noël a utilisé un dénominateur commun basé sur l’ensemble des mesures de soutien du revenu auxquelles ont droit les moins nantis en fonction de trois ménages types: une personne seule, un couple et un ménage avec un enfant.
Il a aussi pris en compte diverses données de l’OCDE relatives aux pays analysés, dont la présence des syndicats et l’orientation politique des partis qui se sont succédé au pouvoir pendant les 20 années étudiées.
Premier constat: les États n’ont pas été plus généreux envers les personnes pauvres.
«Sans surprise, il y a eu un déclin marqué – surtout de 1990 à 2005 – des revenus d’aide sociale dans tous les pays, bien qu’il existe de grandes disparités: d’un côté on a les États-Unis, qui n’offraient pratiquement rien d’autre que des bons alimentaires, et de l’autre la Norvège, où les personnes vulnérables avaient un revenu au-dessus du seuil de pauvreté», fait remarquer Alain Noël.
Au cours de la même période, les investissements sociaux relatifs à l’emploi et aux garderies étaient en croissance dans l’ensemble des pays, mais ils ne représentaient qu’une infime fraction de l’ensemble des dépenses sociales – l’essentiel étant surtout alloué à la santé et aux retraites.
Les gouvernements sociaux-démocrates plus généreux
Les données révèlent que, durant les décennies 1990 et 2000, les États-providence libéraux ou conservateurs – telles l'Italie, la Suisse et l'Espagne – ont déployé des efforts limités quant aux deux types d’investissement social analysés, tandis que les États-providence sociaux-démocrates – le Danemark, la Suède, la Finlande et la Norvège – ont été les plus généreux en donnant une priorité à la garde des enfants.
«Dans l'ensemble, les partis sociaux-démocrates ont été des chefs de file au chapitre des investissements sociaux, conclut M. Noël. Ils ont commencé plus tôt, ont dépensé davantage et ont privilégié des options plus progressistes. Et d'après les données comparatives, ils ne l'ont pas fait aux dépens de ceux et celles qui sont dans le besoin.»