Une meilleure santé sociale, un pas à la fois

En 5 secondes Une étude s’intéresse aux liens entre la marche quotidienne et les relations sociales de parents québécois.
Julie Karmann considère que favoriser la marche, c’est investir dans la cohésion sociale, qui fait partie de la santé sociale.

Ce n’est plus à démontrer: marcher favorise la santé physique et la santé mentale. Mais qu’en est-il de la santé sociale? La marche pourrait-elle aussi améliorer nos liens sociaux?  

C’est la question que se pose Julie Karmann, candidate au doctorat dirigée par Yan Kestens, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. Architecte paysagiste, elle étudie la manière dont les environnements peuvent «prendre soin des gens», non seulement de leur corps, mais aussi de leurs relations. 

En urbanisme, on parle souvent d’environnements «marchables», c’est-à-dire de lieux qui encouragent la marche grâce à des trottoirs sécuritaires, une circulation routière atténuée, des destinations accessibles à pied. D’emblée, on a tendance à dire qu’un quartier où il fait bon marcher est aussi un quartier plus sociable. Or, ce lien n’a jamais été formellement établi dans la littérature scientifique. 

Et puis, si c’est le cas, est-ce vraiment le mouvement qui crée ces liens sociaux?

De la sociabilité à la «socialité» 

Pour creuser la question, la doctorante a choisi de dépasser les approches purement quantitatives qui mesurent la marche et la vie sociale avec des corrélations et des questionnaires pour revenir à l’essence même de l’expérience marchée. Elle s’intéresse ainsi dans ces travaux à la microéchelle des interactions humaines, à savoir ce qui se joue dans l’expérience vécue des marcheurs, au jour le jour. 

Plutôt que de parler de sociabilité, concept cher à la sociologie, elle s’appuie sur celui de «socialité», issu de l’anthropologie. La sociabilité décrit les relations directes entre les personnes – discuter, se fréquenter, faire ensemble une activité. La socialité, quant à elle, renvoie à la coprésence, soit des liens plus subtils qui perdurent au-delà d’une interaction en face à face. 

«Par exemple, la coprésence peut se traduire par le souvenir d’un ami qui prolonge le lien à travers le temps et l’espace, précise Julie Karmann. En ce sens, la coprésence – et les relations associées qui caractérisent la socialité – ne nécessite pas d’unicité de temps ou d’espace, certaines relations se déroulant de manière asynchrone ou à distance.» 

Marcher dans la même rue, croiser un visage familier ou simplement habiter un quartier de la même manière seraient ainsi autant d’occasions d’être ensemble, même sans échanger un mot. 

 

Créer un lien de différentes façons 

Menée auprès de familles montréalaises, l’étude de Julie Karmann a mis en évidence que la marche favorisait la socialité à travers trois processus interdépendants. 

  • L’incorporation de l’environnement: marcher, c’est apprendre à connaître son quartier et ses rues, ainsi que les visages qui le peuplent. «Cette familiarité engendre un sentiment de sécurité et d’appartenance, qui est une première forme de lien social», note Julie Karmann.
  • Les rencontres: croiser des voisins, échanger un salut ou un sourire, reconnaître quelqu’un. «Autant de microrencontres qui tissent, peu à peu, une trame sociale invisible mais essentielle», dit la chercheuse.
  • Les marches partagées: marcher avec son enfant, un voisin ou simplement parmi d’autres dans une rue animée crée des bulles sociales éphémères d’où se dégage une ambiance parfois comparable à un «esprit de village qui est source de liens».  

Julie Karmann tient toutefois à mettre en garde quant à la généralisabilité de son étude, la marche étant une «activité très culturelle qui est sensible au contexte».

 

Un intérêt pour la santé publique 

Julie Karmann le rappelle, l’Organisation mondiale de la santé définit la santé comme «un état de complet bien-être physique, mental et social». Or, cette dimension sociale de la santé est plus fréquemment mise de côté, alors qu’elle s’avère cruciale pour la résilience des communautés. 

«Les crises récentes, de la pandémie de COVID-19 à l’ouragan Katrina, l’ont montré, soutient-elle. Les communautés les plus soudées, celles où les liens sociaux sont forts, sont celles qui s’en sortent le mieux.»  

La chercheuse considère ainsi que favoriser la marche, c’est investir dans la cohésion sociale, qui fait partie de la santé sociale. D’où l’intérêt de créer davantage d’environnements marchables (des rues apaisées, des commerces de proximité, des espaces verts, des écoles accessibles à pied, etc.), mais aussi d’encourager la marche dès le plus jeune âge, en intégrant par exemple des activités piétonnes dans les milieux scolaires et communautaires. 

La doctorante indique que certains pays, comme la Suède, poussent l’idée plus loin et vont jusqu’à lancer des campagnes hivernales pour inciter les gens à se sourire dans la rue afin de contrer l’isolement saisonnier, optimisant ainsi l’expérience sociale de la marche.  

Un rappel que la marche n’est pas qu’un déplacement: c’est aussi un acte de présence au monde et aux autres. 

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