La mesure des changements climatiques entre les mains de résidants du Nord-Ouest canadien

Back Bay, à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest

Back Bay, à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest

Crédit : Getty

En 5 secondes

Des chercheurs en géographie de l’UdeM et de l’Université Wilfrid-Laurier formeront six Autochtones pour entretenir les instruments qui mesurent les gaz à effet de serre dans le nord-ouest du Canada.

«C’est incroyable l’énergie et le temps qu’on dépense pour entretenir nos instruments installés dans le Grand Nord, s’exclame le professeur Oliver Sonnentag, du Département de géographie de l’Université de Montréal. On arrive du Sud pour faire nos recherches, puis on repart, alors que les communautés locales sont directement touchées par les changements climatiques qu’on observe. Avec le projet financé par le Centre des compétences futures, on a l’occasion de changer notre façon de faire de la recherche dans ces régions.»

Le professeur Sonnentag étudie les conséquences du réchauffement climatique et du dégel du pergélisol dans l’écozone de la taïga des plaines, dans les Territoires du Nord-Ouest. Les sols de la région stockent de vastes quantités de carbone. Le dégel du pergélisol pourrait toutefois libérer ce carbone et le transformer en gaz à effet de serre, notamment en dioxyde de carbone et en méthane. On assisterait alors à une boucle de rétroaction qui aggraverait le réchauffement planétaire.

Pour comprendre le processus et mesurer les échanges d’énergie et de gaz entre la surface terrestre et l’atmosphère, l’équipe d’Oliver Sonnentag a installé six tours de micrométéorologie dans le nord-ouest du pays, achetées et exploitées en partie grâce à un programme de subventions d'infrastructure multi-institutionnel dirigé par l’Université Wilfrid-Laurier. Les instruments de ces tours d’une quinzaine de mètres mesurent, à petite échelle, l’absorption et l’émission des gaz par la végétation. «On peut alors calculer la différence entre les deux processus pour un écosystème de quelques centaines de mètres carrés», dit-il.


Un accès limité et compliqué par la COVID-19

Les sites de recherche sont dans des régions isolées. La tour la plus au nord, par exemple, est située près de la communauté d’Inuvik, à une centaine de kilomètres de la mer de Beaufort.  

Quatre ou cinq fois par année, l’équipe d’Oliver Sonnentag doit traverser le pays pour faire l’entretien des instruments alimentés par l’énergie solaire et le vent. «On y va pour effectuer de petites réparations, calibrer les instruments ou télécharger des données. Il nous faut deux jours et demi pour nous rendre à Inuvik seulement!» fait remarquer le professeur.

Avec le début de la pandémie l’an dernier, l’équipe a perdu son accès aux sites de recherche, puisque l’entrée dans les Territoires du Nord-Ouest a été restreinte pour freiner la propagation de la COVID-19. «Nos sites sont presque abandonnés. Je me suis dit qu’il fallait en profiter pour trouver une nouvelle façon de gérer cette portion de notre programme de recherche avec les communautés autochtones de la région», mentionne le chercheur.

Un changement concret

En collaboration avec l’Université Wilfrid-Laurier, Oliver Sonnentag a validé auprès des communautés locales, des divers organismes et du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest la faisabilité d’un projet de formation sur mesure. «On parle beaucoup de cocréation, de cogestion de la recherche ainsi que des enjeux d’équité, de diversité et d’inclusion. Mais comment y arriver concrètement? se demande-t-il. On ne peut pas justifier la traversée continuelle du pays si des gens habitent tout près de nos installations et qu’on peut les former.»

Aujourd’hui, grâce au financement du Centre des compétences futures, son équipe embauche un professionnel de recherche spécialisé en micrométéorologie basé à Yellowknife. Ce professionnel coordonnera une équipe de six Autochtones venant des trois communautés à proximité des sites de recherche.

Les six nouveaux employés vont recevoir une formation théorique et pratique. Celle-ci touchera aux effets des changements climatiques et du dégel du pergélisol ainsi qu’aux techniques d’entretien des instruments, notamment des panneaux solaires qui alimentent les sites de recherche.

«Ce financement arrive à point parce que, avec nos subventions de recherche habituelles, on se rend sur place, mais on n’a pas l’option de former les gens sur le terrain. On va pouvoir concevoir la gestion du programme de recherche avec les communautés autochtones. C’est fondamental», conclut Oliver Sonnentag.

Pourquoi s’intéresser aux régions boréales et arctiques?

Le pergélisol retient actuellement le carbone stocké dans les tourbières des plaines arctiques. On ignore encore les répercussions réelles d’un dégel de la région arctique boréale sur les changements climatiques.

On sait toutefois que le réchauffement climatique du Nord-Ouest canadien est environ deux fois plus rapide que la moyenne planétaire. On sait aussi que les gaz à effet de serre potentiellement libérés sous l’action du dégel n’ont pas été pris en compte par la majorité des modèles internationaux d’évolution du réchauffement des températures.

Grâce à ses recherches, le professeur Oliver Sonnentag participe à plusieurs projets nationaux et internationaux, notamment l’Arctic-Boreal Vulnerability Experiment de la NASA, le Permafrost Network et le Global Water Futures. Ces réseaux visent à évaluer l’effet des changements climatiques sur les régions circumpolaires.