Lâcher l’école à cause d’une peine d’amour!

  • Forum
  • Le 14 mai 2021

  • Mathieu-Robert Sauvé
Crédit : Getty

En 5 secondes

Les garçons ne décrochent pas pour les mêmes raisons que les filles, révèle une étude de deux chercheuses en psychoéducation de l’UdeM qui présentaient leurs résultats au 88e Congrès de l’Acfas.

Véronique Dupéré

Chez les filles, c’est le plus souvent des problèmes de nature relationnelle qui précipitent le décrochage scolaire avant l’obtention du diplôme d’études secondaires; les garçons, eux, ont tendance à suspendre leurs études à la suite de conflits avec une personne d’autorité. Ce sont des observations que rapportent deux chercheuses de l’Université de Montréal après avoir scruté le parcours de centaines de jeunes de milieux défavorisés de la région montréalaise. Avec la doctorante Éliane Thouin, Véronique Dupéré, professeure à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal, a présenté une conférence sur ce sujet au 88Congrès de l’Acfas, le 4 mai.

«Il n’y a pas nécessairement de cas types, mais je peux donner l’exemple d’une adolescente qui a une aventure amoureuse avec le meilleur ami de son ancien copain. Ça provoque des tensions dans le réseau d’amis; pour éviter de les subir, la jeune fille ne veut plus retourner à l’école», illustre la professeure. Un exemple similaire chez les garçons? Un adolescent s’oppose à son enseignant et se montre impoli; il est envoyé chez le directeur, avec qui il est agressif, et est suspendu. À l’échéance de la suspension, il ne se représente plus à l’école. La désignation de ces «stresseurs précipitant le décrochage» n’est pas nouvelle. Elle a fait l’objet d’une étude publiée dans le Journal of Abnormal Child Psychology en 2019. Ce qui est nouveau, c’est l’analyse du parcours de 545 adolescents et adolescentes de 16 et 17 ans, qu’on a retrouvés quatre ans plus tard. Il a été possible d’interroger la plupart d’entre eux (386 jeunes) afin de connaître leurs choix de vie. «Nous voulions documenter leur passage à l’âge adulte en nous intéressant notamment à la diversité des parcours. Sont-ils sur le marché du travail? Sont-ils retournés aux études? Nous leur avons posé la question», commente Mme Thouin, qui est en fin de parcours doctoral.

Travail, études ou «déconnection»

Éliane Thouin

Les chercheuses ont pu établir que la moitié des jeunes (49 %) ont repris leurs études ou ne les ont pas quittées, alors que plus du tiers (36 %) des répondants sont sur le marché du travail. Une importante proportion (15 %) n’étudient pas ni ne travaillent, ce qui leur vaut l’épithète de «déconnectés».

Dans le groupe des travailleurs, un profil ressort clairement: les personnes qui se disent satisfaites de leur choix. «Ce sont des hommes en très large proportion (75 %), signale Éliane Thouin. Ils sont bien payés, disposent d’horaires convenables, etc. On pense aux métiers de la construction. Mais ce n’est pas le seul secteur.»

Tout en étant fière de ce résultat inédit, la chercheuse tient à souligner le caractère fragile de cette situation. «Nous ne voulons pas faire la promotion du décrochage en laissant entendre que de nombreux jeunes hommes sont satisfaits de leur sort après avoir quitté l’école. D’abord, ils ne représentent que 10 % de notre échantillon. De plus, ils sont dans un secteur qui est très sensible aux fluctuations économiques. Et s’ils tombent en chômage, ils sont souvent désavantagés par rapport à une main-d’œuvre plus qualifiée», reprend-elle.

Autre catégorie qui pose problème: les «déconnectés». Il s’agit d’une majorité de filles: 62 % contre 38 % de garçons. «Cette surreprésentation s’explique dans de nombreux cas par les responsabilités de soins des jeunes mères envers les enfants notamment. Avec un bébé dont il faut s’occuper, il est difficile de poursuivre ses études», dit Mme Thouin.

À suivre

L’étude longitudinale de Véronique Dupéré continue de fournir des données permettant de suivre le parcours des élèves. On sait qu’un bon nombre de jeunes retournent aux études après avoir vadrouillé quelques années, mais on n’a pas encore examiné cette question en profondeur.

Il est très important, aux yeux d’Éliane Thouin, de tenter de mieux comprendre les facteurs qui entourent le décrochage scolaire, car, dit-elle, le Québec présente le plus haut taux d'abandon des études au Canada. «Cette réalité amène de multiples problèmes d’intégration dans le marché du travail, ce qui a des conséquences sur la vie personnelle et la vie familiale», indique la doctorante.

Au cours des dernières semaines, les chercheuses ont retrouvé les jeunes à l’âge de 24 ans, soit huit ans après les premières entrevues, afin de documenter justement leur entrée dans le marché du travail. C’est donc une histoire à suivre.

Sur le même sujet

éducation ACFAS recherche