Nouveau chancelier de l’UdeM, Frantz Saintellemy souhaite inspirer les jeunes
- UdeMNouvelles
Le 1 octobre 2021
- Martine Letarte
L’entrepreneur Frantz Saintellemy devient le nouveau chancelier de l’UdeM, où il souhaite bâtir des ponts avec les jeunes.
Frantz Saintellemy a quitté le quartier Saint-Michel pour poursuivre des études qui l’ont mené jusqu’au prestigieux Massachusetts Institute of Technology, à Boston. Après ses succès dans le domaine du numérique, l’entrepreneur est toujours très actif en affaires, mais il trouve aussi le temps de redonner à sa communauté. En plus d’avoir cofondé avec sa femme, Vickie Joseph, le Groupe 3737, un incubateur accélérateur pour les entrepreneurs issus de la diversité, il vient tout juste d’accepter le rôle – engagement bénévole – de chancelier de l’Université de Montréal.
Rien ne prédestinait Frantz Saintellemy à devenir président du conseil d’une des meilleures universités du monde. Lorsqu’à l’âge de huit ans il a quitté avec sa famille son Haïti natal pour s’installer dans le quartier Saint-Michel, il a dû faire preuve de résilience, car il ne parlait pas bien français. Pour cette raison, il a été placé en classe d’accueil.
Or, dans la cour de récréation, il était celui qui défendait les plus vulnérables et ralliait ses camarades en organisant les parties de soccer et de ballon-chasseur. L’enseignant Gérard Jeune, avec qui Frantz Saintellemy est demeuré ami, a remarqué son leadership et l’a mis au défi – en créole – de mettre les bouchées doubles pour s’améliorer rapidement en français et en anglais et augmenter ses notes. S’il obtenait de meilleurs résultats, il le prendrait dans sa classe de troisième année en janvier pour éviter d’accumuler du retard dans ses études.
«Je n’ai pas perdu de temps, je me suis mis à écouter Passe-Partout, Goldorak, Sesame Street et j’y suis parvenu», raconte Frantz Saintellemy au cours d’une longue entrevue au campus MIL. À ses yeux, un individu ne peut pas réussir seul. «On est le produit de sa communauté. Gérard Jeune a été l’un des premiers à croire en mon potentiel et je me considère comme un produit de mon environnement, où plusieurs personnes m’ont tendu la main à un moment ou un autre de ma vie.»
Depuis, plus rien n’a pu l’arrêter.
De Saint-Michel à la Silicon Valley
Entrepreneur, philanthrope, membre de conseils d’administration, mari, père et, maintenant, chancelier de l’UdeM, Frantz Saintellemy a toujours eu besoin de mener plusieurs projets en même temps pour réussir. Jeune, il se dépêchait toujours à faire ses devoirs dans l’autobus scolaire pour passer ses soirées à jouer au soccer. Ce sport l’a même fait voyager en Europe pour des tournois. Ses expériences sportives lui ont fait découvrir un autre monde et lui ont ouvert l’esprit sur l’importance d’avoir des objectifs. Athlète d’élite, il se devait d’être efficace et de faire les bons choix pour réussir dans ses études.
Lorsqu’il a regardé les options qui s’offraient à lui pour ses études universitaires, c’est l’Université Northeastern, à Boston, qui a attiré son attention. Le programme de génie informatique lui permettait d’être en alternance études-travail.
«Je cherchais le chemin le plus rapide pour me rendre sur le marché du travail afin de pouvoir pratiquer mon métier le plus vite possible, dit-il. Cette université me permettait de commencer à travailler dès ma première année d’études et me créditait presque tous mes cours de cégep.»
Pour l’aider à payer les droits de scolarité, l’établissement américain lui accorde des bourses d’excellence en raison de ses résultats scolaires. «Nous avions une famille riche d’enfants – nous étions 13 au total, ce qui fait que nous devions travailler très fort pour tout. Tous mes frères et sœurs étaient studieux et avaient de forts caractères. Il y avait une saine compétition entre nous: il nous fallait prendre notre place. Nous avons tous fait des études universitaires. L’éducation était un levier extraordinaire.»
Il appartient donc à la première génération de sa famille à avoir eu accès aux études universitaires. Son parcours de formation lui a permis d’accéder au plus haut niveau dans l’industrie des technologies de pointe, ce qui l’a conduit vers une carrière florissante à Boston et dans la Silicon Valley, en Californie. Il s’est fait un nom grâce à sa créativité, son esprit d'initiative et sa capacité à résoudre des problèmes complexes.
Coup de pouce aux entrepreneurs de la diversité
C’est une histoire d’amour qui a ramené Frantz Saintellemy au Québec. «En Floride, j’ai rencontré Vickie Joseph, qui est devenue ma femme, relate-t-il. Elle venait du Québec elle aussi et, après être restés deux ans à Boston, nous avons décidé de revenir pour fonder une famille.»
Jeune, il ne sentait pas qu’il appartenait à une minorité. «Saint-Michel, ce sont les Nations unies!» Mais son retour au Québec a été un choc. «Aux États-Unis, on voyait fréquemment des Noirs entrepreneurs ou gestionnaires de haut niveau. Ici, partout où j’allais, j’étais une exception, surtout dans mon domaine, les technologies de pointe.»
Avec sa femme, il a eu envie de faire quelque chose pour améliorer la situation. C’est ainsi que leur projet d’incubateur accélérateur pour la diversité, le Groupe 3737, est né. Le lieu où il a pris forme ne pourrait être plus symbolique. Le 3737, boulevard Crémazie Est est un bâtiment qui abritait l’une des usines de la Dominion Textile. Lorsqu’il était jeune, sa mère y travaillait comme journalière. Pendant presque un an, elle s’y est rendue tous les matins en espérant se faire embaucher par le contremaître pour la journée. «Il y avait une grande concentration de travailleurs journaliers d’origine haïtienne et ma mère en faisait partie.»
À la suite de l’acquisition de cet immeuble abandonné, Frantz Saintellemy et Vickie Joseph ont rénové et converti des sections en 12 condominiums commerciaux, vendu neuf étages à des entrepreneurs désireux de créer des emplois dans le quartier Saint-Michel. Plus de 4500 m2 (50 000 pi2) sont occupés sur trois étages par le Groupe 3737, qui offre différents programmes de formation, d’accompagnement et de mentorat ainsi qu’un laboratoire d’innovation et une salle équipée d’ordinateurs pour former des jeunes en codification. Plus de 1000 entrepreneurs ont été accompagnés depuis mars 2012 par le Groupe 3737, qui a ainsi soutenu la création de quelque 100 entreprises, ce qui s’est traduit par plus de 160 M$ en revenus collectifs.
Le nouveau chancelier compte d’ailleurs garder ses titres de président du conseil d’administration du Groupe 3737 et de président et chef de l’exploitation de LeddarTech, une entreprise qui conçoit des microprocesseurs et logiciels utilisés dans l’industrie automobile dont la valeur est estimée à plus d’un milliard de dollars. Il est habitué aux gros chiffres. En 2010, il a acquis avec un groupe d’investisseurs l’entreprise de microélectronique ZMDI et l’a revendue 350 M$ US en 2015.
À ses yeux, c’est la preuve que «l’éducation est un levier social incroyable».
Pour une plus grande inclusion
En acceptant de devenir, à 48 ans, le 14e chancelier de l’UdeM, Frantz Saintellemy souhaite inspirer les jeunes, quelle que soit leur couleur de peau ou leur capacité financière. «Je veux qu’ils voient à quel point l’université peut changer leur vie et qu’elle est accessible à tous.»
Il est d’ailleurs d’avis que l’UdeM, une grande université québécoise qui rayonne dans la francophonie, a le potentiel de faire évoluer les choses. «Ce potentiel vient avec une responsabilité, affirme-t-il. Il faut bâtir des ponts. Trop souvent, même encore de nos jours, les gens qui sont formés à l’université viennent de milieux sociaux qui les prédisposent à la réussite professionnelle. Pour construire une société plus équitable, il faut élargir la tarte, donner espoir à tous les jeunes, peu importe leur situation financière. Il faut être plus inclusif, plus accessible et avoir une plus grande proximité. J’ai envie que l’UdeM soit perçue comme innovante, moderne, entrepreneuriale et accessible à tous.»
Il trouve aussi que, même si Montréal s’est taillé une place enviable dans le monde du numérique, le Québec devrait agir sur le plan de l’éducation primaire et secondaire. «Il faut améliorer la littératie numérique des jeunes, d’autant que plusieurs dans les milieux défavorisés ou en région n’ont pas suffisamment accès à la maison à l’ordinateur et Internet haute vitesse pour accroître leurs compétences dans le domaine. Or, aujourd’hui, avec le français, l’anglais et les mathématiques, c’est la base.»
Il croit aussi qu’investir dans le développement de la littératie numérique de tous les jeunes aidera à relever la société québécoise tout en amenant plus de jeunes dans les cégeps et les universités, particulièrement en sciences et en génie. «On a beau former les plus privilégiés à l’université, c’est lorsqu’on réussit à aller chercher le maillon faible qu’on élève vraiment la société.»