Chantier de l’échangeur Turcot: des mesures d’atténuation du bruit appréciées… à court terme
- UdeMNouvelles
Le 24 mars 2022
- Martin LaSalle
Les personnes vivant à proximité du chantier de construction de l’échangeur Turcot ont apprécié les mesures visant à atténuer le bruit des travaux, mais leur satisfaction a diminué avec le temps.
Les murs antibruits et les différentes mesures qu'a instaurés le ministère des Transports du Québec (MTQ) pour atténuer les perturbations causées par les travaux de construction sur l’échangeur Turcot, à Montréal, ont été appréciés par les résidants des quartiers situés aux abords du vaste chantier. Or, cette appréciation a diminué avec le temps.
C’est ce qui ressort d’une étude faisant partie d’un projet de recherche à multiples volets confié par le MTQ au professeur Tony Leroux, de l’École d'orthophonie et d'audiologie de l’Université de Montréal.
Dans le cadre de son projet de recherche socioacoustique qui s’est étendu sur quatre ans, le doctorant Alexis Pinsonnault-Skvarenina a questionné des personnes qui habitaient dans un rayon allant jusqu’à 1000 m du chantier pour évaluer leur degré de connaissance et leur satisfaction des différentes mesures d’atténuation, dont:
- l’installation et l’efficacité des murs antibruits temporaires;
- l’instauration de limites d’émissions sonores;
- l’accès à un site Web donnant en temps réel des informations relatives au bruit et à la pollution de l’air;
- l’existence d’un comité de résidants et d’un mécanisme de gestion des plaintes;
- l’arrosage pour nettoyer les rues et les trottoirs et pour limiter la poussière;
- la signalisation routière ainsi que les voies sécuritaires désignées pour les piétons et les cyclistes.
Des îlots où le bruit du trafic est constant
Les personnes visées par l’étude habitaient dans une zone située à 1000 m des routes reliées à l'échangeur Turcot. D'après les données du recensement canadien de 2016, ce secteur compte une population d'environ 16 000 individus répartis dans 7800 logements.
Selon l’édition de 2021 de l’Atlas sociodémographique de la Ville de Montréal, les personnes habitant à moins de 300 m de l’échangeur Turcot dans cette zone sont davantage des locataires dont le revenu médian est plus faible. Par ailleurs, ce secteur comporte des îlots caractérisés par un manque de parcs, de végétation et d'aménagements urbains, ainsi que par des niveaux élevés de bruit du trafic routier et de polluants liés au trafic.
Pour les besoins de l’étude, Alexis Pinsonnault-Skvarenina a recueilli à deux reprises les données des stations de mesure du bruit situées à proximité du chantier, soit en 2018 et en 2020.
Globalement, les niveaux de bruit en 2018 autour du chantier variaient de 46,8 à 76,4 décibels A (dBA) (pour comparaison, 45 dBA équivalent à l’intensité normale de la voix humaine, tandis que 75 dBA correspondent au bruit d’un aspirateur). Deux ans plus tard, ces niveaux oscillaient entre 62,9 et 67 dBA.
Par ailleurs le bruit ambiant enregistré en 2018 était en moyenne de 57,7 dBA la nuit et de 63,6 dBA le jour. En 2020, ces données étaient légèrement plus élevées, soit 61,1 dBA la nuit et 66,3 dBA le jour, toujours en moyenne (65 dBA équivalant en intensité à une rue animée ou à une salle de classe où les gens parlent).
Le chercheur a obtenu la participation de 1409 personnes en 2018 et de 609 d’entre elles en 2020. Ces personnes ont répondu à un questionnaire visant à connaître l’évolution de leur perception de l’environnement sonore et de l’efficacité de chacune des mesures mises en place par le MTQ pour atténuer le bruit et d’autres irritants.
Des mesures satisfaisantes, mais certaines peu utilisées
En général, l’ensemble de ces mesures ont été appréciées par les répondants aux deux sondages.
«Nos résultats montrent que les participants avaient une bonne connaissance des différentes plateformes d'accès à l'information – sites Web avec données en temps réel, par exemple, mais ils ont été peu utilisés, indique le chercheur. Les comités de résidants ont également été peu fréquentés, soit par 9 % des répondants.»
De même, alors qu’environ 20 % des participants connaissaient le système mis en place par le MTQ pour traiter les plaintes liées au chantier de l’échangeur Turcot, un peu moins de 4 % ont formulé une plainte.
Alexis Pinsonnault-Skvarenina rapporte une faible fréquence d'utilisation de ces moyens d'information malgré la tenue de campagnes de publicité dans les zones d’étude. «Compte tenu des coûts de mise en place et de gestion de ces outils d'information, il semble pertinent de s'interroger sur l'usage réel qu'en font les membres de la communauté», dit-il.
Arrosage de la poussière et murs antibruits plus ou moins appréciés
Les résultats de l’étude montrent aussi que les participants qui résidaient plus près du chantier de construction ont jugé moins efficace l'arrosage des rues et du chantier pour réduire la quantité de poussière.
De même, moins du quart des répondants qui habitaient à proximité du chantier de construction ont déclaré vouloir qu'un mur antibruit temporaire soit érigé près de leur domicile. «Bien que ces barrières puissent aider à diminuer les niveaux de bruit de construction, leur acceptation dans la communauté en tant que mesure temporaire semble limitée, selon Alexis Pinsonnault-Skvarenina. Par exemple, les murs antibruits ne sont pas des éléments très esthétiques du milieu de vie, ce qui limite leur appréciation générale et la perception de leur efficacité pour réduire le bruit.»
La perception du bruit influencée par plusieurs facteurs
Les réponses fournies par les participants montrent que l’efficacité perçue des mesures d’atténuation, de 2018 à et 2020, a diminué, bien que la perception de la nuisance sonore liée à la construction ait aussi diminué autour du chantier au cours de la même période.
Si certaines hypothèses peuvent expliquer cette diminution – dont la pandémie, qui a entraîné une baisse de fréquentation des comités de résidants en 2020 –, il ressort surtout de cette étude que la perception du bruit est influencée par plusieurs éléments.
Par exemple, les moments où les participants perçoivent le plus de dérangement sonore correspondent à des pics de bruit attribuables à des travaux ponctuels, telle la démolition de structures.
«Ces pics de dépassement du bruit constituent un indicateur plus intéressant pour prédire le dérangement attribué au bruit, mais ce dérangement est aussi influencé par d’autres facteurs, comme le fait de ne pas pouvoir ouvrir les fenêtres en raison de la poussière ou de ne pas se sentir en sécurité en raison de la circulation des véhicules de construction, illustre le chercheur. Ainsi, nous avons constaté que ces différents facteurs permettaient d’expliquer jusqu’à 70 % du désagrément occasionné par le bruit contre 1 % quand on évoque les niveaux sonores.»
Selon lui, il importe de ne pas exclusivement tenir compte du bruit pour expliquer le dérangement sonore perçu globalement.
«Bien que certaines mesures ne soient appréciées ou utilisées que par une faible proportion de la population interrogée, nos résultats montrent que la mise en œuvre d’un ensemble de mesures d'atténuation peut contribuer à réduire la gêne liée aux bruits de construction, conclut Alexis Pinsonnault-Skvarenina. Ces mesures permettent de réduire de 3 à 7 % le désagrément. Elles permettent aussi de maintenir le dialogue entre les résidants et les autorités qui, de leur côté, ont pu prendre en considération les informations recueillies pour revoir et adapter leurs pratiques dans la gestion des mesures d’atténuation du bruit.»