Quand le thème de la guerre s’invite à l’école

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Pour aider les intervenants scolaires à aborder le thème de la guerre en classe, un aide-mémoire et un cours en ligne ont été créés par les professeures Garine Papazian-Zohrabian et Caterina Mamprin.

Garine Papazian-Zohrabian

Parler de la guerre en classe n’est pas une mission facile. Mais il arrive que ce soit essentiel. Pour le faire avec doigté et sensibilité, Garine Papazian-Zohrabian, professeure au Département de psychopédagogie et d’andragogie de l’Université de Montréal, et Caterina Mamprin, professeure en éducation à l’Université de Moncton, ont créé un aide-mémoire et le cours en ligne ouvert aux masses (CLOM) Réfugiés et demandeurs d’asile: réalités et pistes, offert gratuitement.

«Dès que la guerre en Ukraine a commencé, elle a été l’objet d’une grande médiatisation et d'une très grande présence aussi sur les réseaux sociaux comme Instagram et TikTok, ce qui fait en sorte qu’on a moins eu de contrôle sur ce que les jeunes voyaient et ils pouvaient être exposés à énormément de violence», remarque Garine Papazian-Zohrabian.

De plus, alors que cette guerre prend énormément de place dans l’actualité pour des raisons politiques, sociales et économiques, d’autres passent complètement sous silence.

«En ce moment, dans les écoles où l’on trouve une grande diversité, il y a des élèves ukrainiens, des élèves russes et d’autres qui viennent de pays en guerre dont on parle peu et qui peuvent être révoltés par ce parti pris», indique la professeure.

Comme Caterina Mamprin, son ancienne étudiante de doctorat qui enseigne maintenant au Nouveau-Brunswick, et elle étaient toutes les deux très sollicitées par des intervenants du milieu scolaire désireux de savoir comment gérer cette situation délicate, l’idée leur est venue de produire un aide-mémoire pour mieux répondre à ces besoins.

«Nous avons pu le produire rapidement parce qu’il rassemble les fruits d’années de travail et d’expérience et des ressources existantes, puisque, malheureusement, les guerres n’arrêtent jamais, dit Garine Papazian-Zohrabian. Par exemple, le CLOM de 30 heures lancé en 2018 a été mis à jour et il est en processus d’agrément auprès de l’Ordre des psychologues du Québec. Il y a aussi le guide Mener des groupes de parole en contexte scolaire, qui vise le développement du bien-être psychologique à l’école.»

Écouter sans hiérarchiser

Alors que les enfants et les adolescents ont des inquiétudes en lien avec la guerre, il faut créer un espace pour qu’ils puissent exprimer leurs émotions, être écoutés et obtenir des réponses à leurs questions, apprend-on dans l’aide-mémoire. La classe n’est pas un contexte thérapeutique et les enseignants ne sont pas psychologues. «Il faut donc s’en tenir à recevoir les émotions avec bienveillance, sans hiérarchiser ou comparer les souffrances humaines liées à la violence et sans donner d’opinion pour éviter de glisser vers des situations conflictuelles», explique Garine Papazian-Zohrabian.

Au secondaire, il est possible de saisir cette occasion pour ouvrir la discussion sur les enjeux géopolitiques et économiques de la guerre. «C’est une façon d’inviter les jeunes à aller vers le rationnel, à établir petit à petit une certaine distance avec leurs émotions pour que soient préservés la relation éducative et le climat en classe, qui doit rester sécuritaire pour tout le monde», ajoute-t-elle.

D’une guerre à une autre

C’est depuis le milieu des années 90, à l’époque de son doctorat, que Garine Papazian-Zohrabian étudie le deuil et les traumatismes psychiques de guerre. «Je travaillais avec Médecins sans frontières dans un centre de réadaptation psychologique dans la région du Haut-Karabagh, en Arménie, où il y avait la guerre», raconte la professeure, qui est d’origine arménienne.

Garine Papazian-Zohrabian a ensuite développé cette expertise en travaillant au Liban avec des jeunes qui avaient vécu des traumatismes et des deuils de guerre. Elle s’est intéressée notamment aux conséquences de ces blessures sur leur capacité d’adaptation et sur leurs apprentissages.

Lorsqu’elle s’est installée au Québec en 2010, elle s’est demandé si son expertise allait servir la société québécoise. «Or, dès mon arrivée, j’ai réalisé qu’il y avait énormément de jeunes réfugiés qui ont vécu des expériences de violence dans leur pays d’origine, relate-t-elle. Puis, il y a eu la guerre en Syrie et un grand nombre de réfugiés sont arrivés soudainement et je me suis rendu compte que mon expérience clinique et de recherche acquise entre 1990 et 2007 avait beaucoup de valeur. J’ai alors été sollicitée par le ministère de l’Éducation pour faire de la formation.»

Il y a ensuite eu les demandeurs d’asile venus des États-Unis, d’Afghanistan à la suite de la reprise du pouvoir par les talibans l’été dernier et, en ce moment, des Ukrainiens viennent chercher refuge au pays.

«Le Québec et le Canada ont toujours accueilli des réfugiés et il y a beaucoup d’enfants dans les classes qui ont vécu la guerre ou subi les conséquences de la guerre, souligne la chercheuse. Ce n’est pas nécessairement visible de l’extérieur, mais cela fait partie de leur parcours.»

Se retrouver face à des images de violence peut réactiver des traumatismes du passé. «Et il peut s’agir de n’importe quel traumatisme, par exemple la violence familiale ou raciale, précise-t-elle. C’est aussi pour cette raison qu’il faut à tout prix éviter de hiérarchiser les expériences vécues. Il faut condamner toutes les violences humaines.»