Quand la créativité s’invite en médecine
- UdeMNouvelles
Le 4 avril 2022
- Stéphanie Deschamps
Un livre, un compte TikTok et des idées plein la tête: la créativité de Prévost Jantchou n’a pas de limite. Sur différents supports, le pédiatre informe, inspire et divertit petits et grands.
Prévost Jantchou n’est pas seulement passionné de médecine. En pleine pandémie, alors que le monde se refermait sur lui-même et que les confinements forçaient la réclusion, ce professeur du Département de pédiatrie de l’Université de Montréal renouait avec son amour de l’écriture. Ce retour aux sources lui a récemment permis de publier son premier ouvrage, un recueil de poésie intitulé Soigner les mots.
Si l’aventure a débuté par un simple désir de mettre sur papier son quotidien pandémique, elle a évolué rapidement. En peu de temps, le pédiatre spécialisé en gastroentérologie a réussi à capter un amalgame de moments significatifs de sa vie. À travers des textes qui font parfois sourire, parfois réfléchir, mais qui jettent surtout un regard sur l’homme et non seulement sur le médecin, il fait état de son métier, de son parcours et de sa vie personnelle. «J’ai toujours aimé écrire et, avec la pandémie, j’ai retrouvé ce goût que j’avais un peu perdu. L’écriture est revenue comme une forme de loisir, de distraction. Aujourd’hui, je peux dire que les mots et les maux font partie de ma vie», dit-il.
Avide de connaissances, il n’a pas hésité à apprendre les rudiments de l’autopublication pour parvenir à publier son recueil. «J’ai appris à faire de l’autoédition, à réaliser toutes les étapes de mise en page d’un document en format de poche, j’ai aussi appris à parler de quelque chose qu’on a créé comme quelque chose qui peut inspirer les autres. J’ai débuté en janvier puis, 15 jours après, tout était fait. Mon livre était né», explique-t-il.
Avec une passion renouvelée et un premier ouvrage sorti, il avoue avoir déjà deux autres projets dans ses cartons. Basé en partie sur son parcours universitaire qui l’a confronté rapidement à la corruption dans son pays natal, le Cameroun, son second livre se lira davantage comme un roman qui exposera les multiples facettes de l’accès à la médecine dans les différents pays du monde. Quant au troisième, il se présentera plutôt comme un guide destiné aux futurs étudiants et étudiantes en médecine qui désireront apprendre non seulement les rouages du métier, mais également les façons de se démarquer avant leur entrée dans le programme.
Un petit pas entre divertissement et information
L’écriture n’est toutefois pas la seule forme d’art pratiquée par Prévost Jantchou. Déjà, à l’université, il ressentait ce besoin de s’exprimer autrement que par la science. Pendant ses études de médecine à Toulouse, il découvre la salsa, qui lui permet de s’évader le temps d’une soirée. Lorsqu’il fait sa spécialité à Besançon, quelques années plus tard, ce loisir lui manque, mais il lui est impossible de trouver un endroit où s’y adonner. Qu’à cela ne tienne, il décide alors d’offrir son propre cours de danse dans son appartement. Bien vite, le phénomène prend de l’ampleur et attire de plus en plus d’adeptes. De cette initiative naît l’Association Salsamoondo, qui compte aujourd’hui des milliers de membres et qui, en plus de proposer des cours de salsa, soutient différentes œuvres caritatives. «Dès que nous avons commencé à gagner de l’argent grâce à nos activités et nos démonstrations, nous avons décidé de verser les fonds à un hôpital au Venezuela en raison de l’origine latine de la salsa. Nous nous disions “Nous créons de l’énergie en dansant et nous utilisons cette énergie pour sauver et aider les autres”, raconte le pédiatre. Avec les années, puisque j’ai formé les gens à cette philosophie de générosité, ils ont pris le relais et ont continué. Vingt ans plus tard, ça se poursuit. C’est une de mes plus belles réalisations.»
Celui qui était surnommé singing doctor en raison de l’habitude qu’il avait prise de siffloter et de chantonner aux nouveau-nés lors de son stage en néonatologie danse encore aujourd’hui, mais différemment. On le surprendra à se déhancher dans quelques-unes de ses vidéos TikTok filmées dans les couloirs du CHU Sainte-Justine ou encore dans son bureau. Si, avant la pandémie, il ne connaissait pas ce média social, son ascension y a été fulgurante. Le 24 octobre 2021, il avait 300 abonnés. «C’était énorme pour moi parce que je me disais que, si j’arrivais à toucher une seule personne par un changement de mode de vie ou par une clarification de terme médical, je serais très content», dit-il. Mais au mois de janvier, il publie une vidéo où il se présente en tant que clinicien-chercheur et explique les raisons qui le poussent à être présent sur la plateforme. En seulement quelques jours, les vues et le nombre d’abonnements à son compte grimpent en flèche. Aujourd’hui, plus de 82 000 personnes sont abonnées à sa chaîne et cette vidéo est encore la plus populaire, avec quelque 928 000 vues. Il poursuit: «À l’époque, ça m’a beaucoup encouragé. On se demande toujours quel est le sens de ses actions. J’ai alors compris qu’il y avait une rupture en ce moment entre la population et le corps médical et que beaucoup de gens pouvaient trouver là des informations importantes pour leur santé.»
La médecine accessible à tous
Si sa popularité sur TikTok permet à des milliers de gens d’en apprendre davantage sur les différentes souffrances et maladies de sa spécialité, Prévost Jantchou n’en est pas à ses premières armes en ce qui a trait à la vulgarisation scientifique. Lorsqu’il a réalisé que de nombreux immigrants du Québec n’avaient jamais demandé l’accès à un médecin de famille, il a créé le Club Café Santé, qui regroupe aujourd’hui plus de 4000 membres d’un peu partout sur la planète. Il y discute, avec d’autres spécialistes, des divers enjeux touchant à la santé humaine et au système de santé. «J’aime sensibiliser les gens à leur santé ou à celle de leurs proches pour les amener à prévenir les problèmes au lieu de seulement les guérir», indique-t-il.
Il avoue toutefois qu’il lui a fallu 20 ans avant de trouver sa mission, celle de rendre la connaissance médicale accessible au plus grand nombre. Se qualifiant de «portier», il tente, jour après jour, de faciliter l’accès à l’information et aux ressources non seulement pour les patients, mais également pour les aspirants médecins. Il désire, par-dessous tout, que les gens s’intéressent à leur santé et qu’ils n’aient pas peur de poser des questions à ce sujet: «Je souhaite que les gens s’occupent de leur santé. C’est quelque chose qui me tient à cœur. D’ailleurs, les médecins sont les premiers concernés. Il y a de nombreuses d’histoires qui démontrent que, comme soignants, nous ne faisons pas attention à notre santé. J’ai personnellement découvert que j’avais un cancer des testicules à une époque où je passais beaucoup de temps à m’occuper des autres. Donc, ouvrir les portes, c’est aussi permettre aux gens d’admettre qu’ils se négligent parfois et qu’il faut y remédier.»
Créer, oser et inspirer
En août 2020, après avoir terminé ses études de MBA à HEC Montréal, il a mis sur pied la Fondation INSPIRE. Elle vise les jeunes de 14 à 22 ans pour favoriser leur épanouissement scolaire et les aider à s’accomplir. Un programme de mentorat est spécialement conçu pour les personnes issues des première, deuxième ou troisième générations d'immigrants d'Afrique ou des Caraïbes et les mentors qui y participent viennent de plusieurs milieux tels que la médecine, l’ingénierie, l’intelligence artificielle, le marketing et le droit. «Mon MBA m’a démontré à quel point le réseautage est important, en plus du mentorat. J’y ai appris l’importance du rôle modèle et c’est à ce moment-là que j’ai décidé de fonder INSPIRE», mentionne-t-il.
Il accorde la même importance aux étudiants et étudiantes qu’il côtoie lors de stages universitaires. N’ayant pas eu la chance de travailler auprès de médecins durant ses propres études, occupant plutôt des emplois non spécialisés pour payer ses frais de scolarité, il comprend aujourd’hui qu’il faut savoir prendre les devants et chercher les occasions. «Pour payer mes études, j’ai livré des journaux, travaillé dans des restaurants, fait du porte-à-porte, confectionné des guirlandes de carnaval, fait la castration du maïs, le ramassage des pommes et du télémarketing, relate le pédiatre. À l’époque, je ne savais pas qu’il fallait oser demander. C’est ça aussi, le rôle d’un mentor. C’est pour cette raison que j’invite les étudiants et étudiantes à venir faire de l’observation. Je vois comment ça les dynamise.»
Fier de son profil de clinicien-chercheur, il a également créé ce qu’il appelle les «émissions du dimanche», où il invite la communauté étudiante à discuter de l’équilibre entre médecine et recherche. «Nous parlons rarement des médecins-chercheurs. Nous parlons des médecins, des chercheurs, mais très peu souvent des médecins-chercheurs. C’est un petit groupe qui est mis de côté, mais c’est pourtant une voie très intéressante à suivre, souligne-t-il. Personnellement, je trouve fondamental de pouvoir faire les deux, puisque nous avons non seulement accès à des hypothèses et des problématiques cliniques que nous pouvons étudier au laboratoire, mais nous pouvons ensuite partir du laboratoire et appliquer les conclusions en clinique, ce qui contribue au changement.»
Il recommande en outre aux futurs médecins de développer leur côté créatif, primordial, selon lui, dans leur métier: «En médecine, nous naviguons dans un environnement où il faut avoir beaucoup de créativité, que ce soit par rapport aux gestes, mais aussi par rapport aux paroles et aux situations. Il y a souvent des situations où nous devons agir rapidement, puisque c’est une des disciplines où tout n’est pas planifié. En cuisine, nous pouvons suivre une recette, mais en médecine, même lorsque nous avons un traitement codifié, standardisé, nous ne pouvons pas l’administrer tel quel. Il est important d’aller chercher les réponses, de s’adapter et de faire participer le patient.»
Chaleureux de nature, il invite les gens à voir plus loin que la profession, à développer leur côté humain. «Certains médecins ont tendance à vouloir garder leur part de mystère, mais la créativité est tellement utile pour permettre de s’évader de ce métier où nous vivons avec les souffrances, la maladie et les décès. Nous avons la possibilité, en tant qu’humains, d’accompagner les gens dans cette souffrance. Parfois, la population oublie que les médecins sont aussi des êtres humains qui ont besoin de se faire demander comment ils vont. Parfois, le médecin aimerait également recevoir les mots, pas seulement les maux», conclut-il.