Le masculinisme, de moins en moins dans la marge
- UdeMNouvelles
Le 5 mai 2025
- Catherine Couturier
De plus en plus, les discours masculinistes marginaux se normalisent grâce aux réseaux sociaux.
«Mes réseaux sociaux sont envahis par les contenus masculinistes et de droite», observe Traian Toma, étudiant de doctorat en criminologie sous la direction de David Décary-Hétu et de Samuel Tanner, professeurs à l’École de criminologie de l’Université de Montréal. C’est en constatant la même tendance dans les fils d’actualité de plusieurs jeunes hommes de son entourage qu’il a choisi ce thème comme objet d’étude de son doctorat, après avoir terminé une maîtrise en cybercriminalité. «Il y a beaucoup d’idées violentes qui passent dans la sous-culture des incels [célibataires involontaires] misogynes. Je m’intéresse à la différence entre des personnes avec des idées violentes qui ne passent pas à l’acte et celles qui franchissent le pas», explique-t-il.
«Ma thèse porte sur les incels misogynes, mais on ne peut ignorer le phénomène du masculinisme plus généralement», poursuit-il. Parce que si les masculinistes discutaient d’abord entre eux dans des forums obscurs, leurs idées se répandent de plus en plus dans le grand public. Traian Toma a donc voulu se pencher sur les facteurs qui ont contribué à faire sortir de la marge les discours masculinistes pour les amener sur la place publique des réseaux sociaux. Ses premiers résultats seront présentés à l’occasion du 92e Congrès de l’Acfas, avant de faire l’objet d’un article scientifique à paraître.
Discours de domination
Traian Toma énumère trois croyances fondamentales des masculinistes: on vivrait dans une société gynocentrique et les hommes seraient invisibilisés; les femmes seraient biologiquement programmées pour maximiser leurs ressources reproductives; et les hommes devraient adopter des traits alpha ou sigma s’ils veulent réussir. «C’est une conception assez rigide de la masculinité, qui tourne autour du concept de la domination», note-t-il.
Le doctorant a plongé dans le réseau TikTok pour explorer 10 mots-clés qu’il a relevés grâce à une revue de la littérature préalable, regardant de 200 à 300 vidéos par mot-clé. Il a finalement sélectionné 670 vidéos qui véhiculaient l’une des trois croyances fondamentales.
Il a ensuite codé et analysé les vidéos en recourant au modèle théorique de Sophia Rothut et ses collègues, qui définissaient 12 techniques qui rendent les idéologies extrémistes plus digestes pour le grand public. Traian Toma a pu mettre en lumière 3 éléments supplémentaires utilisés dans les vidéos sur TikTok: le recours à des composants sonores et musicaux, l’interaction avec le public dans la rue (de type microtrottoir) et l’apparence scientifique. «Ces personnes s’approprient de la musique et emploient beaucoup de jargon et de statistiques pour prouver leurs points. Il y a aussi beaucoup de cherry picking: elles vont sélectionner les réponses ou les études qui leur conviennent», remarque Traian Toma.
Normaliser un discours marginal
«Le danger, c’est la normalisation de ces discours. Ultimement, ça affecte les manières de penser», souligne Traian Toma. Ces contenus, qui adoptent toutes sortes de formes, ont un effet insidieux. «On peut penser qu’on n’en consomme pas ou que ce n’est pas si grave. Mais on est plongé là-dedans tout le temps, qu’on le veuille ou non», ajoute-t-il.
Des contenus qui paraissent anodins (qui parlent d’entraînement, d’entrepreneuriat) peuvent véhiculer une idéologie masculiniste en sous-texte. Certains mots-clics – comme #féminisme – sont également détournés, ce qui fait qu’on tombe sur du contenu masculiniste alors qu’on était à la recherche de quelque chose à l'opposé.
Les femmes, elles, sont complètement dépersonnalisées dans ces vidéos. «Ces hommes parlent beaucoup des femmes, mais elles ne sont jamais là», constate Traian Toma. Et quand elles sont invitées, ce sont très souvent des femmes qui travaillent dans l’industrie du sexe. Elles sont donc soit invisibilisées, soit objectifiées. «La femme n’est pas une personne, c’est une distraction», résume-t-il.
Alors que ces contenus se répandent comme une traînée de poudre, il devient essentiel de sensibiliser les jeunes à ces dérives et leurs mécanismes. «Des statistiques disent que de plus en plus d’hommes dans le monde occidental croient qu’ils sont aujourd’hui désavantagés, que le féministe est allé trop loin et qui adhèrent à des stéréotypes de genre marqués. Il y a beaucoup de boulot à faire», conclut-il.