Des mots pour faire face aux maux
- UdeMNouvelles
Le 7 juin 2022
- Virginie Soffer
Des ateliers d’écriture sont proposés par la Chaire McConnell-Université de Montréal en recherche-création sur les récits du don et de la vie en contexte de soins.
«C’est peu donner que donner ce qu’on a / Le véritable don, c’est de donner de soi.» Ainsi s’exprime Almustafa dans Le prophète, de Khalil Gibran.
Ce don de soi, certaines personnes décident de le faire littéralement en donnant un rein. Comment alors trouver les mots adéquats pour décrire ce geste si spécial, qu’on soit donneur ou receveur, lorsqu’on n’est pas poète comme Khalil Gibran? Des écrivains, des artistes de la Chaire McConnell-Université de Montréal en recherche-création sur les récits du don et de la vie en contexte de soins accompagnent ces gens dans leur processus créatif. Cette chaire propose également d’autres ateliers où peuvent se mêler membres de la communauté étudiante, auteurs et personnel de la santé.
Une sélection de textes créés dans ces ateliers a été lue pour la première fois publiquement le 2 juin, au colloque «La connaissance intranquille: savoirs, discours et croyances».
Des ateliers de création avec des patients greffés ou des donneurs vivants
Des donneurs ou receveurs de poumons ou de reins au CHUM ont été guidés dans la mise en mots de leur ressenti lié à ces moments si particuliers. Cette expérience transformatrice a fédéré les membres de la Chaire.
André Charbonneau, qui a été l’un des premiers participants à ces ateliers, a livré un témoignage poignant sur son don de greffe à sa conjointe dans La maison des greffés. Il s’est ainsi remémoré quelques mots qu’il a entendus avant de poser son geste: «Moi, j’attends le résultat de la greffe de moelle osseuse dont me fait profiter ma sœur; les derniers résultats n’étaient pas encourageants. Moi, ma fille est aux soins intensifs depuis deux jours pour une transplantation pulmonaire.»
Des ateliers d’écriture avec des étudiants des cycles supérieurs
Dans le cadre du concours Mieux-être étudiant, des ateliers d’écriture ont été proposés à la communauté étudiante des cycles supérieurs de l’UdeM à l’automne 2021 et à l’automne 2022, toutes disciplines confondues.
À la première séance, des contraintes étaient présentées. À la séance suivante, les participants et les participantes lisaient leurs textes. «La discussion avec les personnes présentes est importante. Un nouvel espace se crée. Là, des paroles parfois douloureuses peuvent être recueillies», affirme Pascale Millot, doctorante en recherche-création à l’Université et coordonnatrice scientifique et technique de la Chaire.
Au cours du colloque, Ghizlane Cherfeddine, étudiante de maîtrise en études cinématographiques, a lu l’émouvant texte Bahia, qu’elle a écrit à l’hiver 2011: «Dans mon enfance, depuis toujours, la mort était partout, mais elle n’avait jamais été assez proche pour que je la comprenne, ni jamais assez cruelle pour que je la craigne. Jusque-là, la mort était une abstraction que j’associais à ces inconnus qui peuplaient notre collection de photos argentiques, ainsi qu’à tous ces absents, partout présents, soigneusement encadrés, trônant sur les murs et sur les buffets de toutes les maisons, et dont on dépoussiérait les visages vitrifiés en même temps que les meubles et les boiseries qui les portaient.»
Cet atelier lui a donné le goût de poursuivre des études en création littéraire.
Des ateliers de création avec des soignants
D’autres ateliers ont été mis sur pied pour les personnes soignantes susceptibles d'être victimes d’épuisement, particulièrement durant la pandémie.
Un soignant, Guillaume Bollée, a écrit ceci dans le récit Les jambes:
«Elle observa longuement ses jambes, puis passa doucement son doigt sur la cicatrice blanche en zigzag qui ornait son tibia. Le calme était revenu en elle. Comme pénétrée d’une acuité inédite, elle entendait distinctement les cris des oiseaux et les moindres bruits de la forêt, sentait le vent tiède sur ses joues et percevait les battements de son cœur et le sang qui circulait en elle. Soudain, alors qu’elle ne s’y attendait pas, une bouffée chaude et revigorante l’enveloppa, semblable à une langue de feu. Il était dix heures sept quand elle sut qu’elle ne mourrait pas. Elle ignorait encore comment et pourquoi, mais elle en était certaine: elle vivrait.»
Récits touchés par la COVID-19
La Chaire a également permis la création du recueil Récits infectés, édité sous la direction de Léonore Brassard, qui rassemble 23 écrits autour de la crise sanitaire actuelle. «Qu’est-ce que la littérature permet qui ne soit pas un discours scientifique?» s’est demandé la directrice de ce recueil qui sera publié à l’automne chez XYZ.
L’écrivaine et chargée de cours de l’Université de Montréal Clara Dupuis-Morency a lu le sombre conte «Quand il y aura moins», où des enfants décrivent l’étrange monde qu’ils habitent durant la pandémie: «Quand il y aura moins de virus, nous pourrons retourner à nos jeux. Aujourd’hui, nous gardons notre espace. Quand il y aura moins de virus, nous retournerons dans le monde.»