Quand les paroles gênent l'écoute d'une chanson

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Dans une série d'expériences d'écoute, un postdoctorant de l'UdeM a découvert que la présence de paroles dans une chanson rend plus difficile la détection d’une fausse note.

Avez-vous déjà entendu quelqu'un chanter en dehors de la tonalité? Par exemple, lorsque vous êtes dans un bar karaoké et que votre meilleure amie entonne son titre préféré d'Adele, mais qu'elle manque cruellement sa cible? Vous êtes-vous déjà demandé comment vous pouviez savoir immédiatement qu'elle chantait faux?

Michael Weiss a peut-être une réponse à vous donner.

Boursier postdoctoral sous la direction de la professeure Isabelle Peretz au Laboratoire international de recherche sur le cerveau, la musique et le son de l'Université de Montréal, il a conçu une série d'expériences d'écoute pour voir comment les humains traitent la hauteur des sons.

Choisissant des chansons bien connues comme Happy Birthday et Over the Rainbow, il voulait savoir si la présence de paroles jouait un rôle dans la détection des fausses notes: s'il y a des paroles, avons-nous plus de difficulté à détecter les changements de hauteur? Si c'est le cas, est-ce parce que nous traitons le sens des mots ou simplement parce que les paroles comportent beaucoup de syllabes changeantes?

Les résultats de son étude ont été publiés en mai dans la revue Psychology of Music. Nous lui avons demandé de nous en dire plus, quelques exemples musicaux à l’appui.

Tout d'abord, pouvez-vous définir ce qu'est la hauteur du son?

La hauteur est un phénomène psychologique lié à la fréquence d'une onde sonore. Elle est à la base de la façon dont nous entendons les mélodies, qui ne sont qu'une série de hauteurs. Nous entendons les fréquences basses comme des hauteurs basses et les fréquences hautes comme des hauteurs hautes, mais c'est bien plus que cela. En musique, la hauteur est également ce qui nous permet de savoir si une note est «accordée» par rapport aux autres notes.

Comment les humains savent-ils quand quelque chose est accordé ou désaccordé?

La plupart du temps, nous le savons de manière presque intuitive, ce n'est pas une chose à laquelle nous pensons consciemment. C'est pourquoi nous disons parfois qu’une note désaccordée est «aigre» ‒ c'est une expérience viscérale. Nous grandissons tous dans une culture musicale ‒ ou plus d'une ‒ et apprenons les «règles» de cette musique simplement en écoutant, par exemple, les échelles musicales ou les clés ‒ par exemple «do majeur» ‒, qui ne sont en fait que des façons de décrire nos attentes. Cela étant dit, la sensibilité à la hauteur des sons varie d'une personne à l'autre et certains individus qui souffrent d’amusie congénitale ont beaucoup de mal à remarquer une note désaccordée. Vous pouvez vous-même faire un test d'amusie sur le site Web de notre laboratoire.

Qu'avez-vous cherché à découvrir dans votre étude?

Nous avions une question très précise: lorsque vous entendez une mélodie chantée, est-il plus difficile de suivre la hauteur de la note lorsqu'il y a des paroles? Nous avons donc créé de courts extraits de mélodies familières et demandé à un chanteur de les interpréter de trois façons: 1) avec des paroles, 2) sans paroles mais avec des syllabes changeantes, c'est-à-dire un chant «scat», comme dans «doo bah dee bah», et 3) avec des syllabes inchangées comme «la la la». Dans tous les cas, il s'agissait de la même information sur la hauteur. Cependant, les paroles ajoutent des renseignements que l'auditrice ou l'auditeur doit traiter ‒ le sens des mots. Le scat, d'une certaine manière, comporte également des informations supplémentaires à traiter, car les sons changent, mais n'ont pas de signification. Dans ces conditions, nous pouvons donc voir si l'ajout de paroles rend la tâche plus difficile et, dans l'affirmative, si cela est dû au traitement du sens ou au simple changement de sons. 

Pour chaque expérience, vous avez fait écouter à plusieurs participantes et participants quelques chansons populaires spécialement enregistrées par une chanteuse amateur: lesquelles par exemple?

Nous avons choisi des chansons familières parce que nous voulions que nos auditrices et auditeurs aient des attentes quant à la façon dont la mélodie doit sonner lorsqu'elle est parfaitement accordée. Ainsi, si nous nous trompions d'une note, ils le remarqueraient. Nous avons donc choisi des chansons comme Happy Birthday, Over the Rainbow et Frère Jacques.

       

Avez-vous conclu que certaines chansons étaient plus faciles à traiter que d'autres? Si oui, lesqueslles: celles avec moins de paroles ou celles avec des paroles simples répétées?

Les résultats ont montré qu'il était plus difficile de détecter une note désaccordée dans les chansons avec des paroles ou dans du scat par rapport aux airs chantés simplement avec des «la la la». Fait important, nous avons constaté qu'il n'y avait pas de grande différence entre le chant lyrique et le scat. Tout cela signifie que les paroles ont un effet sur notre capacité à traiter la hauteur de la musique, mais que cet effet n'est pas nécessairement dû à la signification des mots.

 

       

Selon vous, à qui votre recherche pourrait-elle profiter?

Il s'agit d'une recherche au sens fondamental du terme, c'est-à-dire qu'elle nous aide à mieux comprendre le phénomène psychologique du traitement de la hauteur de la musique et qu’elle n'a pas d'utilité ou d'application immédiate. Cela dit, elle pourrait intéresser les personnes qui chantent dans des chorales ou dans le cadre de thérapies musicales. Mais de manière générale, j'espère que notre étude suscitera d'autres questions de recherche sur la façon dont nous traitons la hauteur des sons. La voix chantée est peu étudiée en matière de cognition musicale, bien qu'elle soit l'«instrument original» de notre espèce.

Et au-delà de la musique, tout cela pourrait-il nous aider à mieux comprendre le fonctionnement du cerveau?

C'est l'objectif de la psychologie cognitive: comprendre comment notre cerveau traite les informations et nous permet d'agir en conséquence. Je pense que la cognition musicale est un domaine très important parce que nous sommes touchés par la musique dès les premiers instants de notre vie ‒ par les berceuses, les chansons de théâtre et autres ‒ et parce que la musique est présente dans toutes les sociétés sous différentes formes. La musique existe chez l'humain depuis plus longtemps que nous nous en souvenons collectivement: les premiers instruments de musique datent de plusieurs dizaines de milliers d'années et nous chantions peut-être déjà bien avant. Par conséquent, la manière dont nous apprenons les règles de la musique et dont nous agissons en fonction de ces informations est pour moi une question aussi fondamentale que la manière dont nous acquérons et utilisons le langage.

À propos de cette étude

L’article «Detection of pitch errors in well-known songs», par Michael W. Weiss et Sandra E. Trehub, a été publié le 9 mai 2022 dans Psychology of Music.

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