Quelle éthique pour l’art public?

karen elaine spencer, Movin' the charter_01, 2018 | Marché Jean-Talon: Patricia Martin, Nuria Carton de Grammont, Linamar Campos Flores, «Chema» (travailleur agricole absent et invisible)

karen elaine spencer, Movin' the charter_01, 2018 | Marché Jean-Talon: Patricia Martin, Nuria Carton de Grammont, Linamar Campos Flores, «Chema» (travailleur agricole absent et invisible)

Crédit : DARE-DARE

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Le colloque «Un art public éthique: perspectives canadiennes» aura lieu du 24 au 27 août.

Le colloque «Un art public éthique: perspectives canadiennes» aura lieu du 24 au 27 août. Accueilli par l’Université de Montréal, l’Université Concordia, DARE-DARE, le 3e impérial et Verticale, il vise à examiner la pratique de l’art public au Canada.

Pour en savoir plus, nous avons parlé avec les deux organisateurs, Analays Alvarez Hernandez, professeure au Département d'histoire de l'art et d'études cinématographiques de l’UdeM, et Laurent Piché-Vernet, directeur du Centre d’exposition de l’Université de Montréal.

Pourquoi choisir ce thème pour ce colloque?

Analays Alvarez Hernandez: On souhaitait explorer les liens entre éthique et art public à la lumière d’un contexte canadien et mondial marqué notamment par des contradictions, des luttes environnementales et une crise sanitaire. Dans ce contexte complexe, notre société a mis en place des méthodologies décoloniales, des processus d’autochtonisation, des pratiques écologiques, d’antioppression et antiracistes. On a voulu voir comment l’art public pouvait être un terrain où l’on pourrait mettre ces méthodologies, processus et pratiques en place.  

À un moment où il y a beaucoup de polarisation dans les discours, on a voulu observer comment l’art public en lien avec des questions éthiques pourrait nous aider à améliorer nos pratiques institutionnelles, mais aussi à créer un sens pour la communauté.

Quel a été le point de départ de votre réflexion?

Analays Alvarez Hernandez: C’est parti d’une réflexion sur la commémoration ainsi que sur les monuments, sur cette crise qui est à la fois locale et planétaire. On s’est demandé comment un art public dit éthique pourrait avoir le potentiel justement d’explorer ces transformations, notamment dans le domaine de la commémoration.

On se pose beaucoup de questions: est-ce qu’on doit commémorer de nouvelles figures? Est-ce qu’on doit déboulonner les monuments existants? Est-ce qu’on doit les remplacer? Est-ce qu’on doit en ajouter? Est-ce qu’on doit travailler beaucoup plus avec les communautés – non pas pour les communautés, mais avec les communautés? Que faire avec un art public qui est de plus en plus élargi non seulement en termes de diversité d’opinions, mais également en termes de diversité d’intérêts? Et tout va tellement vite aujourd’hui qu’on est amené à avoir des postures différentes en très peu de temps.

On voulait explorer ces nombreux points. Notre point de départ a été cette crise entourant la commémoration: comment commémorer dans nos lieux publics, comment trouver des points qui nous rallient au-delà de nos différences?

Laurent Piché-Vernet: De mon côté, j’ai travaillé presque 10 ans au Bureau d’art public de la Ville de Montréal. Je me suis posé les questions que se pose Analays concernant les monuments pour l’art public: comment est-ce qu’on implique la communauté, les communautés, les publics et jusqu’à quel point?

Les gens souhaitent voir des œuvres qui sont plus à leur image, qui leur parlent un peu plus. Pendant plusieurs années, l’art public a été l’installation d’œuvres dans les lieux publics sans que le public soit consulté. Ce fut un geste très top-down. On assiste à un renversement de dynamique et l’on souhaite que ça soit plus bottom-up. Comment collaborer au mieux? Comment être plus équitable, représentatif? Comment être plus à l’écoute de la diversité?

Vous avez souhaité proposer un colloque sur l’art public qui nous rassemble?

Laurent Piché-Vernet: Exactement! Pour nous, c’est important de rassembler à la fois des chercheurs de tout niveau, des étudiants de maîtrise, de doctorat ainsi que des professeurs, mais aussi des praticiens et des artistes, des gens qui font de l’art public, qui travaillent dans les municipalités, dans des organismes culturels, qui mènent et réalisent des projets qu’on trouve dans des endroits publics partout au Canada.

Il n’y a pas tant de dialogue et nous souhaitions le favoriser pour l’ensemble du Canada. On ne sait pas ce qui se fait nécessairement à Vancouver, même quand on est un professionnel ou un chercheur actif. Il y a des exemples fort stimulants là-bas. Ainsi, on rassemble 40 personnes intervenant pendant quatre jours pour observer les bonnes pratiques et les projets qui nous inspirent.

Analays Alvarez Hernandez: On voulait créer des ponts entre l’université et les milieux communautaires et artistiques. Ainsi, nous sommes notamment partenaires avec trois centres d’artistes autogérés: DARE-DARE à Montréal, Verticale à Laval et le 3e impérial à Granby. Depuis des décennies, ces centres ont une réflexion poussée sur les pratiques artistiques dans les lieux publics.

Souhaitez-vous reprendre le colloque par la suite?

Analays Alvarez Hernandez: Notre idée de départ était de créer un colloque récurrent, ayant lieu tous les trois ans. Le colloque débutera la semaine prochaine à Montréal, à Laval et à Granby, mais nous espérons que d’autres villes l’accueillent dans trois ans. Cela permettra de créer un espace collectif et critique permanent, soit un espace continu de dialogue.

Laurent Piché-Vernet: Nous souhaitons mobiliser les acteurs de l’art public. Nous souhaitons créer un dialogue entre ces personnes.

On aimerait se déplacer dans une autre province, une autre communauté pour voir quelles sont les questions de l’art public pour sa deuxième tenue. On aimerait provoquer des changements concernant les pratiques institutionnelles d’art public.

Ce colloque sur l’art public est-il ouvert à tous?

Laurent Piché-Vernet: Oui, ce colloque est ouvert à tous sur inscription. On a combiné des communications et des performances artistiques pour joindre différents publics. On a travaillé en collaboration avec plusieurs partenaires qui à leur tour ont travaillé avec différentes communautés. Par ailleurs, les intervenants viennent de plusieurs communautés de partout au Canada.

On propose aussi des tables rondes sur des sujets qui sortent peut-être du monde de l’art. La table ronde que j’animerai le mercredi 24 août au Centre d’exposition de l’UdeM portera par exemple sur l’art public sur les campus.

Quelles questions se posent justement sur l’art public sur les campus?

Laurent Piché-Vernet: On voit que les campus réunissent des étudiants qui ont à cœur les questions environnementales, de justice sociale, etc. Ils sont friands d’art, de créativité, de design, d’architecture et ils ont le désir et le besoin de se voir représenter sur leurs campus.

Beaucoup de nouveaux projets émergent sur les campus. Ainsi, à la Faculté de droit, une murale a été faite pour représenter les étudiants noirs de la faculté. Cette volonté que la communauté étudiante soit représentée, soit reflétée dans leurs murs demeure une préoccupation pour les universités.

D’autre part, quand je parle à mes collègues qui gèrent des collections d’art public sur d’autres campus, je me rends compte qu’on se pose tous les mêmes questions: comment contextualiser, mettre en valeur et conserver nos œuvres historiques et modernes?

La temporalité devrait-elle être prise en compte différemment dans les projets d’art public?

Analays Alvarez Hernandez: Oui, un projet d’art public demande beaucoup d’argent en une seule fois, tandis que, quand vous mettez en place un programme d’art public temporaire, ça vous permet de soutenir plusieurs artistes dans la durée.

Laurent Piché-Vernet: L’art temporaire permet de soulever des questions qui sont pertinentes au moment où on le fait et d’impliquer des communautés qui sont présentes à ce moment-là. L’art peut ainsi être le reflet des personnes qui habitent les villes au moment où les œuvres sont réalisées.   

Ne devrait-il y avoir alors que des œuvres d’art public temporaires?

Laurent Piché-Vernet: Non! Les deux peuvent coexister. Il peut y avoir des œuvres permanentes, qui impliquent de diverses manières la communauté, ainsi que des œuvres temporaires. Les modus operandi sont multiples. On veut se sortir des carcans qui existent.

Analays Alvarez Hernandez: On ne veut pas dire qu’on remplace tout ce qui est permanent. On s’attend plutôt à une coexistence et un enrichissement des temporalités, des matériaux, des médiums, et non pas à un remplacement.

L’art public devrait donc être un choix public?

Analays Alvarez Hernandez: Oui, c’est le public au sens large qui est amené à vivre avec ces œuvres au quotidien. Il va les côtoyer au fil du temps, d’où l’importance de travailler avec une diversité de publics et de leur proposer un art public avec lequel ils peuvent s’identifier ou entrer en relation. 

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