Soins de fin de vie: qui décide?

En 5 secondes

La spécialiste en bioéthique Jocelyne St-Arnaud présente le livre «Soins de fin de vie: qui décide?».

«Il s’agit d’un sujet dont personne n’aime parler, mais qui est incontournable, car nul n’échappe à la mort. Tôt ou tard elle viendra nous chercher. Aussi bien que ça se passe pour le mieux. Ce n’est pas tant la mort que l’on craint que ce qui la précède. Personne ne veut mourir lentement dans la souffrance. Pour cela, plusieurs décisions doivent être prises: si nous sommes atteints d’une maladie grave et invalidante sans possibilité d’amélioration, voulons-nous être réanimés en cas d’arrêt cardiaque? Voulons-nous que tout soit tenté pour nous garder en vie? La médecine a les moyens de maintenir une vie dont les capacités sont minimales. Voulons-nous laisser à nos proches le fardeau de ces décisions difficiles?» peut-on lire dans l’ouvrage Soins de fin de vie: qui décide?, que Jocelyne St-Arnaud a coécrit avec Delphine Roigt. 

Dans ce livre soutenu financièrement par le Réseau de recherche en santé des populations du Québec, Jocelyne St-Arnaud, professeure associée au Département de médecine sociale et préventive de l’Université de Montréal, présente des repères éthiques et juridiques à prendre en compte dans les décisions et insiste sur l’importance de la communication entre les personnes concernées. 

Nous nous sommes entretenus avec elle.  

Pourquoi avez-vous écrit ce livre?

Cet ouvrage constitue un legs en termes de transfert des connaissances. Après mon doctorat en philosophie à l’Université de Montréal et une thèse intitulée Les rapports entre égalité et justice dans une société institutionnalisée, j’ai fait un postdoctorat sous la forme d’une enquête auprès des hôpitaux du Québec qui a donné lieu à la publication du livre La réanimation cardio-respiratoire au Québec: statistiques, protocoles et repères éthiques. Durant ma carrière à l’UdeM, j’ai enseigné dans les programmes de bioéthique et à la Faculté des sciences infirmières, entre autres les enjeux éthiques de la fin de vie. Parallèlement à mon enseignement, j’ai mené des études interdisciplinaires dans le domaine de la santé, notamment en transplantation d’organes et en dialyse, et j’ai présidé des comités d’éthique de la recherche et d’éthique clinique. Ainsi, j’ai pu relier mon enseignement aux pratiques et à la gestion des soins. Après plusieurs ouvrages destinés aux professionnels de la santé, celui-ci s’adresse à M. et Mme Tout-le-monde. J’ai voulu partager les connaissances et les expériences acquises durant ma carrière tout en répondant à un besoin dans la population d’en connaître davantage sur les choix possibles en fin de vie. Écrit en collaboration avec Delphine Roigt, ce livre présente les enjeux éthiques et juridiques des décisions de fin de vie, et définit des repères favorisant des choix éclairés tant pour la personne directement concernée que pour ses proches. 

Si l’on a un accident grave et qu’on se retrouve dans l’incapacité de répondre, qui peut décider des soins qu’on va recevoir?

En situation d’urgence, si un proche ne peut être joint rapidement, le personnel soignant donne les premiers soins et fait tout pour préserver la vie. Cependant, ce sont environ 76 % des Québécois qui décèdent à l’hôpital et, comme la médecine dispose de tous les moyens pour prolonger la vie ‒ réanimation, soins intensifs, dialyse, alimentation entérale et parentérale, etc. ‒, il est pertinent de réfléchir à ce qui est approprié de faire pour maintenir en vie une personne atteinte gravement, de manière irréversible et dont les capacités vitales sont minimales. Quand rien ne peut être fait pour améliorer l’état de santé ou empêcher sa dégradation, que la personne est en fin de vie, l’utilisation de toutes les techniques disponibles pour la maintenir en vie en milieu hospitalier est-elle appropriée? Pour répondre à cette question, le livre précise notamment les critères d’aptitude, les conditions du consentement ou du refus et les moyens légalement et éthiquement reconnus pour faire connaître ses choix en matière de fin de vie. Si la personne hospitalisée est inapte, on cherchera à savoir si un représentant légal a été nommé. Si c’est le cas, ce sera cette personne qui sera consultée pour les soins ou traitements à entreprendre ou non. Sinon, on consultera en ordre de priorité le conjoint ou la conjointe ‒ qu’il s’agisse d’un mariage ou d’une union de fait ‒, un proche parent ou une personne présente à son chevet soucieuse de sa situation. 

Dans quels cas est-il approprié d’arrêter un traitement lorsqu’on est en fin de vie?

Il est approprié de cesser un traitement qui maintient les fonctions vitales quand il devient trop lourd à supporter, qu’il entraîne plus de douleur et de souffrance que la maladie elle-même et qu’il devient disproportionné par rapport au but atteint. En éthique, l’acharnement thérapeutique se définit comme l’application de soins curatifs qui prolongent la vie, alors qu’il n’y a aucun espoir d’améliorer l’état de santé chez une personne qui est en fin de vie, en coma végétatif permanent ou dans les dernières phases d’une maladie dégénérative. Les soins intensifs permettent de faire vivre des personnes dont les capacités sont minimales pendant de très nombreuses années. Toutes les techniques qui maintiennent les fonctions vitales sont appropriées quand on peut améliorer l’état de santé, mais maintenir un état de santé très précaire et sans possibilité d’amélioration ne favorise pas le bien-être de la personne. Il est donc très important pour la personne soignée et pour ses proches d’entretenir un dialogue avec le personnel soignant et, comme la mort est taboue dans notre société, d’avoir le courage de poser des questions sur le pronostic et les buts des traitements. Des situations problématiques sont exposées dans le livre de même que des exemples de questions à se poser et à poser au personnel soignant. 

Quelles sont les principales qualités à développer pour agir de manière éthique auprès d’une personne en fin de vie?

Comme dans tous les rapports humains, l’ouverture à l’autre est primordiale. La personne en fin de vie peut apporter beaucoup. Il faut pouvoir aborder le sujet de la fin de vie avec elle et échanger sur ce qu’elle souhaite pour elle-même. Certaines personnes auront fait connaître leurs volontés dans un mandat, dans des directives médicales anticipées, en participant à l’établissement d’un plan de soins ou simplement en parlant avec leurs proches. Dans ces échanges, la congruence est éthiquement recommandée, c’est-à-dire qu’on se doit d’agir et de parler avec transparence et en accord avec ses valeurs. Il n’est pas approprié de cacher quoi que ce soit en lien avec la fin de vie, surtout avec la personne concernée, qui est souvent celle qui remonte le moral de tous au regard d’un diagnostic de maladie grave et irréversible. Il y a un recours croissant à l’aide médicale à mourir actuellement au Québec. Cependant, bien d’autres moyens existent pour éviter l’acharnement thérapeutique et mourir dans la dignité. Quand on prend des décisions pour autrui, il faut laisser de côté ses intérêts personnels pour prioriser le bien-être de la personne en cause, en respectant autant que possible les volontés qu’elle aurait formulées antérieurement à son inaptitude. Éviter l’acharnement thérapeutique favorise le bien-être individuel, mais aussi le bien-être populationnel en permettant un meilleur investissement des ressources limitées en santé. 

À propos de ce livre

Jocelyne Saint-Arnaud, avec la collaboration de Delphine Roigt, Soins de vie: qui décide?, Montréal, Boréal, 2024, 222 p. 

Dans la meme serie

«Entre guillemets»