Enjeux géopolitiques de l’heure: qu’en pense l’opinion publique?

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Plus de 20 000 personnes ont été sondées dans 14 pays sur les enjeux géopolitiques de l’heure. Les résultats sont publiés dans un rapport coécrit par le Centre Jean Monnet de l’UdeM.

Frédéric Mérand

Frédéric Mérand

Crédit : Amélie Philibert | Université de Montréal

De l’invasion ukrainienne à la montée en force de la Chine en passant par la perte d’influence des États-Unis sur la scène mondiale: les enjeux géopolitiques sont majeurs actuellement.

«C’est justement parce que nous vivons un moment géopolitique assez exceptionnel et que les décisions qui sont prises par les gouvernements ont des répercussions considérables sur la vie des gens que nous nous sommes associés pour la première fois cette année à la grande étude de l’opinion publique Transatlantic Trends 2022», indique Frédéric Mérand, chercheur au Centre Jean Monnet de l’Université de Montréal.

Cette étude a permis de réaliser en juillet dernier des sondages dans 14 pays: le Canada, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suède, l’Espagne, l’Italie, le Portugal, la Lituanie, la Pologne, la Roumanie et la Turquie. Dans chacun, on a sondé près de 1500 personnes.

Résultat? «J’ai été surpris de voir qu’il y a vraiment un fort consensus sur les grands enjeux géopolitiques de l’heure et un appui aux politiques qui sont menées par les gouvernements alliés», affirme Frédéric Mérand, qui est aussi professeur et directeur du Département de science politique de l’UdeM.

La Russie et l’Ukraine

Le chercheur donne l’exemple de la Russie, qui est clairement désignée dans l’étude comme la menace actuelle, et de l’Ukraine, le pays à appuyer. En effet, en moyenne, 73 % des personnes sondées dans les différents pays considèrent que la Russie a une influence négative sur les affaires internationales. De plus, 74 % des gens en moyenne souhaitent que la Russie soit poursuivie pour crimes de guerre et 71 % sont en faveur de plus grandes sanctions économiques en riposte à son invasion de l’Ukraine.

«Il y a toujours quelque 20 % de la population qui ne va pas dans le même sens que la majorité, mais dans des pays comme les États-Unis, l’Italie, le Canada et l’Allemagne, il n’y a pas vraiment de contestation de la population par rapport aux mesures qui ont été prises contre la Russie, remarque le professeur. Puis, dans certains pays, la population est prête à ce que les gouvernements aillent plus loin.»

Ainsi, 64 % de la population des pays sondés est d’accord pour qu’on offre à l’Ukraine de devenir membre de l’Union européenne. Pour ce qui est d’accepter l’Ukraine au sein de l’OTAN, l’opinion publique se montre d’accord à 58 %.

La Chine et les États-Unis

Le sondage révèle aussi une relation complexe que l’opinion publique des 14 pays sondés vit avec la Chine. Près du quart des répondants ont dit ne pas savoir si la Chine est un partenaire, un compétiteur ou un rival de leur pays. Aux États-Unis par contre, 34 % des personnes interrogées voient la Chine comme un compétiteur et 32 % comme un rival. Au Canada, on est à 28 % et 24 %, respectivement.

«L’opinion publique canadienne par rapport à la Chine est devenue négative très rapidement, constate Frédéric Mérand. On peut imaginer que la détention des deux Michael [Kovrig, ancien diplomate, et Spavor, homme d’affaires] pendant plus de 1000 jours fait partie des éléments qui ont changé son regard sur la Chine. On a vu que la Chine ne se comporte pas comme un bon citoyen.»

Il souligne également la question taiwanaise (la Chine veut annexer Taiwan) et celle de l’espionnage, qui inquiète tout autant. «Dans les différents pays, on voit l’inquiétude monter par rapport à la Chine depuis quelques années en matière de commerce, mais aussi, de plus en plus, en matière de sécurité, remarque l’expert. Ce n’est pas tout à fait clair parce que la Chine n’a pas lancé d’attaque qui aurait rendu la menace très concrète, mais il y a une évolution sur le plan du discours.»

L’opinion publique change aussi en ce qui a trait aux États-Unis. Ce pays est encore vu comme le plus influent pour ce qui est des affaires étrangères (64 %). Par contre, on pense que son influence déclinera dans les cinq prochaines années: 37 % des répondants seulement considèrent que les États-Unis seront encore le pays le plus influent en 2027. Et quel pays sortira gagnant de cette perte d’influence américaine? Principalement la Chine. Si 13 % de l’opinion publique estime que c’est actuellement la nation avec la plus grande influence, 25 % croient que ce sera le cas dans cinq ans.

L’exception de la Turquie

Si un consensus se dégage généralement sur les différentes questions parmi les pays sondés, il y a toutefois une exception: la Turquie. «C’est assez frappant, dit Frédéric Mérand. L’opinion publique turque est vraiment en décalage par rapport aux autres.»

Par exemple, alors que la majorité des pays sondés voient l’influence américaine sur les affaires internationales comme étant positive, 67 % de l’opinion publique en Turquie la considère comme négative.

«C’est probablement dû au fait que le gouvernement a joué un rôle de médiateur entre la Russie et l’Europe à propos de l’Ukraine, mentionne le professeur. Il entretient d’ailleurs depuis plusieurs années un discours très hostile envers les États-Unis. Cela rejoint un grand débat en science politique à savoir si, en matière de politique étrangère, c’est le gouvernement qui influence l’opinion publique ou si l’opinion publique influence le gouvernement.»

Il explique que c’est lié au fait que les gens ont plus de difficulté à se forger une opinion sur les affaires étrangères parce que cette question touche à des enjeux très éloignés: «L’étude ne se prononce pas à cet égard, bien sûr, mais on voit qu’en général l’opinion publique est très en phase avec les politiques menées par le gouvernement de son pays.»

Le chouchou canadien

Alors qu’on entend souvent dire que le Canada a bonne réputation à l’étranger, cette étude ne fait pas exception. Parmi tous les pays sondés, le Canada et l’Allemagne sont vus comme les partenaires les plus fiables (70 %); seule la Suède les dépasse légèrement (71 %).

«Le Canada est vraiment vu comme un chouchou par l’opinion publique de bien des pays, affirme Frédéric Mérand. Pourtant, le Canada n’est pas considéré comme un État parmi les plus influents. Mais le capital de sympathie est toujours très élevé. Et cela fera certainement plaisir au gouvernement canadien.»

Le rapport (en anglais) est disponible ici.