L’environnement chimique des bélugas s’améliore, mais…
- UdeMNouvelles
Le 4 novembre 2022
- Béatrice St-Cyr-Leroux
Des chercheurs parmi lesquels le Dr Stéphane Lair, de la Faculté de médecine vétérinaire, publient un rapport sur les contaminants industriels présents chez le béluga de l’estuaire du Saint-Laurent.
Une étude récente sur la présence de contaminants industriels chez le béluga de l’estuaire du Saint-Laurent présente des résultats encourageants, mais à prendre avec précaution.
Mené par le Dr Stéphane Lair, professeur à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, et ses collègues de l'Université du Québec à Rimouski, de l'Université du Québec à Montréal et de l'UdeM, ce projet de recherche visait à examiner l’évolution de trois groupes de polluants industriels retrouvés dans des carcasses de bélugas de l’estuaire.
Des polluants aux répercussions variées
Les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) sont le premier groupe étudié, soit des contaminants qui étaient libérés par les activités industrielles dans le fjord du Saguenay et considérés comme une des causes principales des cancers chez les bélugas. «Heureusement, les procédés des alumineries ont changé dans les 40 dernières années; aujourd’hui le niveau de contamination de surface des HAP est revenu à l’ère préindustrielle et l’on ne voit plus de cancers chez les bélugas», indique le Dr Lair, spécialisé en santé des animaux sauvages.
Le second groupe est composé des biphényles polychlorés (BPC), surtout utilisés comme liquides isolants dans les transformateurs et les condensateurs électriques jusqu’à leur interdiction, en 1977. Très résistants dans l’environnement et bioaccumulables, ces contaminants étaient présents en grande quantité chez le béluga (qui se situe au sommet de la chaîne alimentaire) dans les années 1960 et 1970. L’étude du groupe de recherche montre que les niveaux de contamination sont en diminution, mais ces substances toujours présentes resteraient dommageables pour la santé des bélugas. «Les BPC ont d’importants effets immunosuppresseurs, dit le vétérinaire. Et nombreux sont les bélugas qui meurent en raison d’une maladie infectieuse. Nous pensons que les BPC pourraient potentiellement affaiblir le système immunitaire des bélugas, qui deviennent alors plus susceptibles de développer ce type de maladie.»
Finalement, le dernier groupe à l’étude est constitué des polybromodiphényléthers (PBDE), des produits répandus qui servent à prévenir la naissance des flammes dans le mobilier et les appareils électroniques. Polluants organiques très persistants, les PBDE sont toxiques et interfèrent avec les hormones thyroïdiennes tant chez l’humain que chez le béluga. Si l’étude semble démontrer que la contamination a diminué dans les dernières années, les niveaux observés pourraient bien être problématiques. «Bien que cela ne soit qu’une hypothèse pour l’instant, nous croyons que la contamination par ces retardateurs de flammes pourrait perturber les activités de la glande thyroïdienne, expliquant ainsi les problèmes de mortalité associés aux mises bas chez les femelles», précise Stéphane Lair.
Bref, cette étude fait état d’un problème réglé (HAP) et de situations problématiques qui s’améliorent tranquillement (BPC et PBDE), mais ces contaminants ont vraisemblablement toujours des effets à la fois sur le système immunitaire des bélugas de l’estuaire et sur leur système endocrinien.
«On peut donc dire que l’environnement chimique des bélugas s’améliore et que cette étude nous permet d’expliquer un peu mieux les causes de mortalité des bélugas: système immunitaire faible qui favorise le développement de maladies infectieuses et hormones perturbées qui compliquent la mise bas, avance le vétérinaire. Mais je ne peux pas dire que je suis très optimiste, les contaminants ne sont qu’un des facteurs de mortalité des bélugas.»
L’environnement: un enjeu de taille
Le Dr Lair ne mâche pas ses mots: les changements climatiques sont tout aussi dangereux pour les populations de bélugas que le sont les contaminants industriels. Le vétérinaire rappelle que le béluga est une espèce arctique qui suit la glace pour se nourrir, mais aussi pour s’abriter lors des tempêtes. Moins il y a de glace dans l’estuaire du Saint-Laurent, plus il devient énergivore pour lui de combattre les vagues, sans parler du réchauffement de l’eau, qui perturbe ses ressources alimentaires.
«Les changements climatiques ont des conséquences sur toute la biodiversité, mais le béluga est une espèce qui y est particulièrement sensible. Il faut changer les règlementations des industries, bannir les contaminants toxiques et surveiller les nouveaux produits qui les remplacent. Mais aussi réduire notre dépendance aux énergies fossiles, limiter notre consommation de biens et services, acheter local, etc.», insiste le chercheur.
Un peu d’histoire…
Au début du 20e siècle, la population de bélugas de l’estuaire du Saint-Laurent était estimée à 9000 individus. Puis, dans les années 1920, une chasse intensive de cet animal a fait descendre la population à 900 individus.
Une fois cette pratique interdite, les scientifiques ont pensé que ce nombre pourrait remonter. Or, les spécialistes ont été confrontés à une stabilité de la population ou plutôt à une absence de croissance.
Dans les années 1980, la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, soutenue par Pêches et Océans Canada, a alors mis sur pied un programme d’examen post mortem systématique des bélugas échoués le long des côtes de l’estuaire pour déterminer le rôle de la pollution et des agents infectieux dans la mortalité de ces baleines.
L’étude rapportée dans cet article couronne donc 40 ans d’engagement de la faculté dans l’analyse pathologique et toxicologique des bélugas retrouvés morts sur les rives du Saint-Laurent.