Grands criminels: au-delà de la fascination
- UdeMNouvelles
Le 18 janvier 2023
- Catherine Couturier
Le professeur émérite André Normandeau a participé à un balado sur Jacques Mesrine, célèbre criminel des années 1970 et 1980.
C’est dans l’épisode «À l’école du crime» du balado Mesrine: l’orgueil et le sang qu’on entend le professeur émérite de criminologie de l'Université de Montréal André Normandeau. Le balado, qu’on peut écouter depuis l’automne 2022, a été conçu, réalisé et animé par le journaliste et ex-policier Stéphane Berthomet, et coproduit par Radio-Canada OHdio et France Culture. «Il était important de lui parler, car il a rencontré Jacques Mesrine pendant le séjour de ce dernier en prison au Québec dans les années 1970. Les témoignages directs sont pour nous des sources très intéressantes», dit Stéphane Berthomet.
Durant cette décennie, Jacques Mesrine s’est bâti, en France comme au Québec, une réputation de criminel flamboyant, commettant des vols de banque, des meurtres et un enlèvement. Ici et à Paris, ses crimes seront atypiques: «Il perpétrait un vol dans une banque et, pendant que l’alarme sonnait, il prenait le temps d’aller voler presque en face, sans être attrapé», raconte André Normandeau. À Saint-Georges de Beauce, Mesrine refait le même manège: il vole une banque, puis une autre dans le village voisin, sachant que la Sûreté du Québec prendra un certain temps avant d’atteindre les lieux du crime.
Les balbutiements de la criminologie
Après avoir fait sa maîtrise et son doctorat en criminologie aux États-Unis, André Normandeau revient à l’Université de Montréal, où il a obtenu son baccalauréat. «J’hésitais à entreprendre une carrière de fonctionnaire dans le domaine de la justice, mais Denis Szabo [fondateur du Département de criminologie de l’UdeM en 1960] m’avait dans sa mire parce qu’il voulait développer la discipline», se souvient-il.
De retour dans la métropole, André Normandeau succède ainsi à Denis Szabo à titre de directeur du département. L’unité change de nom en 1972 pour devenir l’École de criminologie afin d’indiquer que la formation offerte serait dorénavant plus pratique, un aspect qui lui tenait à cœur. «Je me suis toujours organisé pour travailler au moins une journée et demie par semaine sur le plancher des vaches, surtout dans les secteurs de la police et des prisons, rappelle-t-il. C’est ainsi que je suis arrivé jusqu'à Mesrine.»
Un projet de recherche ambitieux
Au début des années 1970, Jacques Mesrine, recherché en France, immigre illégalement au Canada et commet d’autres vols à main armée avec sa compagne québécoise Jocelyne Deraîche. «Comme criminologue, je lisais cela dans les journaux, et un jour j’apprends qu’il a été arrêté au Québec et enfermé dans la prison à sécurité maximale où l’on emprisonnait les individus les plus dangereux de tout le pays, à Saint-Vincent-de-Paul», relate M. Normandeau.
Jeune directeur du Département de criminologie de l’UdeM, André Normandeau doit mettre sur pied des projets de recherche. Il obtient du Solliciteur général du Canada de l’époque (l’équivalent du ministre de la Sécurité publique aujourd’hui), Jean-Pierre Goyer, de confier l’administration de l’unité spéciale de détention à des criminologues. Il faut dire que sa sœur Francine Goyer, psychologue-criminologue, était professeure au département, ce qui a facilité la signature du contrat de recherche. «J’ai joué le tout pour le tout, explique-t-il. La discipline était relativement nouvelle et nous voulions évaluer les résultats du point de vue de la réhabilitation si l’administration d’une prison était confiée pendant trois ans à des criminologues.»
Une rencontre marquante
C’est au cours de ces années qu’André Normandeau interviewera à trois reprises Jacques Mesrine. «Ça m’a fasciné. Comme criminologue, toute personne qui pose des actes d’ampleur reste dans la mémoire. C’est devenu une fascination personnelle, par l’exceptionnalité de sa trajectoire, même si je ne prétends pas tout connaître sur Mesrine», souligne le chercheur.
Ces trois rencontres lui auront ouvert une fenêtre particulière sur le criminel, qui aimait bien l’attention des médias et qui rapidement s’approprie le langage de la criminologie au fil des entrevues. «Mesrine venait d’une famille bourgeoise de Paris. Ses parents étaient costumiers à l’Académie française. Il est allé à l’université et a étudié l’architecture», constate André Normandeau. Notons que c’est Jacques Mesrine qui a construit la maquette du pavillon de la France d’Expo 67, aujourd’hui le Casino de Montréal, alors qu’il travaillait dans un cabinet parisien d’architectes!
C’est à l'occasion de son service militaire en Algérie qu’il apprend le maniement des armes. «Mesrine était une personne éduquée, intelligente, qui a mal placé son intelligence; il est devenu un grand criminel», ajoute M. Normandeau.
Criminologue sur le terrain
Au-delà de la fascination que suscite un tel personnage, le rôle des chercheurs en criminologie est de mieux comprendre ces criminels en complémentarité avec les policiers, d’approfondir les connaissances et d’aider à trouver des solutions. «Je ne veux pas en faire un héros, même si à l’intérieur du monde criminel il l’était», avertit le professeur émérite. Jacques Mesrine a en effet perpétré des crimes violents, dont le meurtre de sang-froid d’un garde-chasse qui l’avait reconnu, lui et son complice.
Au-delà de la recherche, des criminologues de terrain sont embauchés à même les services de police comme analystes et ont un rôle plus direct pour appréhender les criminels. «Les criminologues comprennent le système pénal et apportent cette dimension en travaillant avec les intervenants sur le terrain. Ils veulent comprendre la manière d’opérer du criminel», résume André Normandeau.
Une ressemblance frappante
Une partie de la fascination d’André Normandeau pour Jacques Mesrine réside aussi dans leur ressemblance physique étonnante. Ainsi, lorsque Mesrine est arrêté au début des années 1970, sa compagne québécoise Jocelyne Deraîche est envoyée à la prison Tanguay pour femmes. M. Normandeau y fait venir à l’occasion un orchestre composé d’étudiants. «À cause de ma ressemblance avec Mesrine à l’époque, elle a demandé à danser avec moi… Mais au lieu de danser 5 ou 10 minutes, nous avons dansé 30 minutes ou une heure. Un étudiant m’a fait remarquer que, si Mesrine l'apprenait, cela pourrait être dangereux, d’autant plus qu’il s’est évadé peu de temps après!» s’exclame le professeur.
À écouter sur Radio-Canada OHdio: Mesrine: l’orgueil et le sang, épisode 2.
On peut également y entendre Pierre-Marie Lagier, diplômé de l’UdeM et professeur à l’École de criminologie de 1972 à 1985.