Quatre questions à Pascale Devette sur le DESS en études féministes, des genres et des sexualités

D’un point de vue classique, le féminisme est un projet de société axé sur la justice et l’émancipation de toute personne en position de marginalité, ce qui inclut les personnes de la communauté LGBTQ+ ainsi que les personnes autochtones, selon Pascale Devette.

D’un point de vue classique, le féminisme est un projet de société axé sur la justice et l’émancipation de toute personne en position de marginalité, ce qui inclut les personnes de la communauté LGBTQ+ ainsi que les personnes autochtones, selon Pascale Devette.

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Pascale Devette, responsable du DESS en études féministes, des genres et des sexualités, parle de la spécificité de ce parcours de formation et des enjeux du féminisme qu’il aborde.

Pascale Devette

Pascale Devette

Crédit : Photo de courtoisie

Offert depuis l’automne 2021 à l’Université de Montréal, le diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en études féministes, des genres et des sexualités accueillait cette année sa deuxième cohorte.

Professeure adjointe au Département de science politique depuis juin 2018, Pascale Devette est responsable de ce programme de la Faculté des arts et des sciences de l’UdeM initialement coordonné par Pascale Dufour. Au sein du comité de programme, la professeure est accompagnée d’Anne Létourneau et de Ryoa Chung, qui enseignent respectivement à l’Institut d’études religieuses et au Département de philosophie.

Pascale Devette nous parle de ce programme d’études intégrées en sciences sociales qui permet d’inculquer une vision transdisciplinaire des phénomènes sociaux liés aux diverses perspectives féministes.

Qu’est-ce qui fait l’unicité du DESS en études féministes, des genres et des sexualités de l’UdeM?

En raison de son caractère multidisciplinaire, le programme est chapeauté par la Faculté des arts et des sciences au lieu de relever d’un département en particulier. Il permet de maîtriser les méthodologies féministes, d’en connaître les enjeux et les débats à la fois classiques et actuels.

Le programme vise à former des spécialistes de différentes disciplines pour qu’ils soient davantage en mesure de comprendre et de résoudre les problèmes contemporains soulevés par les enjeux féministes.

Le DESS permet aux étudiantes et aux étudiants d’acquérir des connaissances et une méthodologie commune afin qu’ils puissent ensuite mobiliser leur propre conception des féminismes, des genres et des sexualités dans leurs disciplines respectives, dont la philosophie, la littérature, le cinéma, la sociologie, la science politique et autres domaines des arts et des sciences.

Quels sont les principaux enjeux féministes à l’heure actuelle?

Bien qu’elle soit de plus en plus reconnue et considérée – et que le terme féminicide soit accepté depuis peu –, la question de la violence envers les femmes demeure un enjeu de premier plan. C’est vrai pour les femmes ainsi que pour les personnes non binaires. Cette violence est encore le lot de trop de femmes.

Un autre défi du féminisme est la façon dont il peut et doit contribuer à déconstruire les rapports coloniaux, en laissant de l’espace aux femmes racisées afin qu’elles parlent pour elles-mêmes de la manière qu’elles le souhaitent. Il s’agit là de nouvelles formes de luttes sociales visant à faire une place aux personnes en marge, souvent détentrices d’un savoir particulier et important à considérer, afin qu’elles se donnent elles-mêmes une visibilité et qu’elles trouvent des alliées dans leurs combats.

Dans les milieux de l’enseignement supérieur, le féminisme doit occuper une place plus grande. Il y a un retard institutionnel et historique majeur à rattraper. Ce n’est que dans la dernière décennie qu’on a commencé à s’intéresser à ces approches: c’est extrêmement récent en comparaison de la majorité des autres disciplines. D’où l’importance de prioriser ces études afin de travailler à comprendre les enjeux qui y sont associés, comme c’est le cas du DESS en études féministes, des genres et des sexualités.

La multidisciplinarité demeure un enjeu pour le féminisme dans les universités. Du point de vue de ma spécialité en théories critiques et en analyse de textes, nous devons continuer à cerner les rapports de pouvoir propres à la construction du savoir, à situer le féminisme selon différentes problématiques. Pour être capable de considérer une situation sociale ou artistique à l’aune de différents concepts centraux relatifs aux approches féministes – par exemple les concepts de «genre», d’«injustice épistémique», d’«intersectionnalité», etc. – , il faut être en mesure de déconstruire les savoirs disciplinaires avec lesquels ces concepts sont en relation pour revitaliser les disciplines et approcher autrement le réel.

Les causes associées au mouvement LGBTQ+ font-elles ombrage au féminisme?

Il existe une diversité de définitions du féminisme, mais d’un point de vue classique, le féminisme est un projet de société axé sur la justice et l’émancipation de toute personne en position de marginalité, ce qui inclut les personnes de la communauté LGBTQ+ ainsi que les personnes autochtones.

L’appellation de notre DESS s’inscrit dans cette démarche inclusive: il forme un tout qui se distingue par la pluralité des groupes sans omettre ou diminuer les forces de chacun.

À cet égard, tel que le soulignait l’auteure et activiste américaine bell hooks dans son livre La volonté de changer, les hommes ont aussi leur place dans le féminisme, non seulement en devenant des alliés du mouvement, mais aussi en acceptant de vivre leurs émotions de façon relationnelle plutôt que de se réfugier dans des formes toxiques de masculinité qui les coupent d’eux-mêmes et des autres.

Quels sont les reculs importants qu’a connus le féminisme au cours des dernières années et quelles sont ses avancées?

Plusieurs études ont démontré que la précarité des femmes s’est accentuée avec la pandémie de COVID-19, qui a fait reculer l’égalité des tâches: la difficulté à concilier le travail et la maison a ainsi alourdi considérablement leur charge mentale. Cette réalité est très peu prise en compte par les employeurs.

Il y a aussi la «fatigue du soin» qui a pris de l’ampleur chez les femmes, elles qui subissent les injonctions du care, souvent camouflées par des discours naturalisants – les femmes seraient plus sensibles, douces, dévouées, etc. – et coloniaux – les femmes racisées font souvent le travail de care le moins reconnu et le plus pénible. Les conditions des personnes qui travaillent dans les services de santé et les services sociaux devraient être restructurées bien au-delà de la question salariale afin de permettre à ces individus de faire leur travail sans se sentir bafoués dans leur dignité.

Un autre recul notable, qui est davantage présent en Europe mais qu’on peut voir ici aussi, est l’appropriation du discours féministe par la droite et l’extrême droite, déformé de façon à justifier la xénophobie, en véhiculant des messages selon lesquels on doit protéger les «vraies femmes» contre les étrangers ou les personnes qui ne sont pas de «vraies femmes», comme les personnes trans…

Plus positivement, on assiste à une meilleure reconnaissance des femmes aux trajectoires variées et dont les œuvres abordent les questions trans, décoloniales, capacitistes, de classe et autres dans le domaine des arts et de la scène, permettant ainsi de prêter une attention à des situations encore trop ignorées et, par là, de contribuer à changer les mentalités.

Pour en savoir plus sur le DESS en études féministes, des genres et des sexualités.