L’Inde: pays le plus populeux, mais en déficit de femmes

«Depuis quelques années en Inde, on assiste à une montée de la culture patriarcale et de la domination des hommes sur les femmes: on attend d’elles qu’elles soient hyper performantes en étant excellentes au travail et d’abord et avant tout de bonnes épouses et de bonnes mères», se désole Karine Bates.

«Depuis quelques années en Inde, on assiste à une montée de la culture patriarcale et de la domination des hommes sur les femmes: on attend d’elles qu’elles soient hyper performantes en étant excellentes au travail et d’abord et avant tout de bonnes épouses et de bonnes mères», se désole Karine Bates.

Crédit : Getty

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L’Inde deviendra le pays le plus populeux de la planète en 2023, mais il accuse un déficit de femmes dont les causes et les conséquences sont multiples, selon la professeure Karine Bates, de l’UdeM.

Selon le plus récent rapport de l’Organisation des Nations unies sur la population mondiale, l’Inde supplantera la Chine à titre de pays le plus peuplé du monde dans le courant de la présente année. Or, un défi démographique majeur se pose depuis des décennies dans cette démocratie où le droit de vote a été accordé tant aux femmes qu’aux hommes au moment de l’indépendance du pays, en 1947: le déficit de femmes.

Les données du dernier recensement, qui remonte à 2011, indiquent qu’il y avait 940 femmes pour 1000 hommes, tandis que ce ratio chez les enfants de six ans et moins était à un creux de 918 fillettes pour 1000 garçons.

Les raisons et les conséquences de ce déficit féminin sont multiples et il faudrait un changement de culture radical pour rétablir un équilibre, selon la professeure Karine Bates, du Département d’anthropologie de l’Université de Montréal.

Spécialisée en anthropologie juridique, Karine Bates souligne que l’Inde est un État de droit qui possède «un corpus juridique très vaste qui a permis aux femmes d’obtenir de très grandes avancées en matière de droit depuis l’indépendance, mais la lourdeur bureaucratique rend très difficile l’accès à la justice».

Les recherches qu’elle a menées sur le terrain – elle a vécu en Inde pendant plus de quatre ans – lui ont permis de constater qu’il existe un pluralisme juridique à l’intérieur de l’État de sorte que les lois y sont appliquées différemment selon les districts.

«Les Indiens ont leur conception de ce qui est juste et injuste et, dans la pratique, ils doivent souvent résoudre les conflits comme ils peuvent, puisque l’État et la police sont des pouvoirs qui sont éloignés», fait-elle remarquer.

Trois principales causes au déficit de femmes

Karine Bates

Karine Bates, professeure au Département d’anthropologie de l’Université de Montréal

Crédit : Photo de courtoisie

«Dans la culture indienne, c’est le fils aîné qui doit s’occuper de ses parents lorsqu’ils deviennent âgés, signale Karine Bates. Or, seulement 12 % de la population en Inde a droit à une pension de vieillesse, ce qui met de la pression sur les couples pour avoir un fils plutôt qu’une fille.»

L’explication réside dans le fait que, «pour les personnes âgées qui n’ont pas de fils, il est presque impossible d’aller habiter chez une de leurs filles, car une fois mariées, ces dernières vont vivre dans leur belle-famille: la résidence postmaritale devient donc un facteur d’insécurité de vieillesse», dit celle qui a étudié les réformes juridiques et sociales de l’Inde en lien avec les droits de propriété chez les Indiens à travers les questions d’héritage, de dot et de pension alimentaire.

À ce «biais antifille» s’est ajouté l’accès progressif à l’échographie, à partir des années 1970, menant à des avortements sexo-sélectifs. Ces avortements sont devenus illégaux en 1994 avec l’adoption d’une loi sur les tests de détermination prénataux, mais son application demeure aléatoire.

«Il est fréquent que les membres de la belle-famille de la femme soient présents lors d’une échographie et, lorsqu’il s’agit de la première grossesse, ils exercent une pression pour que la future mère se fasse avorter si le fœtus est une fille, expose Karine Bates. Non seulement il existe un réseau clandestin pour effectuer ces avortements, mais il s’en pratique même dans le réseau de la santé.»

Enfin, la hausse du niveau de vie a permis l’émergence d’une classe moyenne qui est plus en moyens pour payer un avortement. «La pression pour l’avortement sexo-sélectif est encore grande au sein de cette classe moyenne, car celle-ci n’a pas plus accès à une pension de vieillesse», ajoute la professeure.

Être d’abord une bonne épouse et une bonne mère

Si la parité entre les sexes est loin d’être atteinte en matière d’accès à l’enseignement supérieur, les Indiennes ont massivement pu accéder au système d’éducation et elles sont nombreuses à avoir un haut niveau de scolarité et à participer à l’économie officielle comme à l’économie non officielle (de 80 à 85 % de l’économie en Inde est non officielle).

«Au cours des dernières décennies, les Indiennes ont graduellement acquis une autonomie et un pouvoir de négociation plus grands, illustre Karine Bates. On a d’ailleurs observé qu’elles ont été plus nombreuses à se séparer et à pouvoir vivre par elles-mêmes grâce à leur pouvoir économique.»

Toutefois, Karine Bates constate un recul de la condition féminine.

«On assiste depuis quelques années à une montée de la culture patriarcale et de la domination des hommes sur les femmes: on attend d’elles qu’elles soient hyper performantes en étant excellentes au travail et d’abord et avant tout de bonnes épouses et de bonnes mères», se désole-t-elle.

«Malgré l’essor économique et les lois qui sont censées les protéger, c’est plus difficile d’être une femme aujourd’hui en Inde qu’il y a quelques décennies, conclut Karine Bates. Les acquis subissent un recul subtil mais constant à la faveur du mouvement nationaliste hindou, qui encourage la valorisation du rôle de la bonne fille, de la bonne épouse, puis de la bonne mère.»

Des conséquences de l’inégalité dans le rapport hommes-femmes

Selon la littérature scientifique, le déséquilibre entre les sexes entraîne également une augmentation des taux de violence et de criminalité. Une pénurie de femmes signifie que moins d'hommes se marient, ce qui les rend plus susceptibles de commettre des crimes violents que les hommes mariés. Et là où ce rapport est particulièrement déséquilibré, les problèmes sont amplifiés: dans l'Haryana et le Panjab, États indiens où le rapport de masculinité est le plus présent, le commerce illégal de femmes pauvres en provenance des États voisins a prospéré.

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