L’UdeM: berceau des Cyniques!
- Revue Les diplômés
Le 28 avril 2023
- Martin LaSalle
Marc Laurendeau, ex-humoriste, journaliste et chargé de cours, parle dans son autobiographie de ses années passées à l’Université de Montréal, où Les Cyniques sont nés.
Qu’ont en commun l’ancien juge de la Cour suprême du Canada Jean Beetz, Jacques-Yvan Morin, vice-premier ministre du Québec de 1976 à 1980, l’ancien premier ministre canadien Pierre Elliott Trudeau et Maximilien Caron? Ils font partie du corps professoral de l’Université de Montréal qui a enseigné à Marc Laurendeau pendant ses études de droit amorcées à la toute fin des années 1950.
Issu d’une lignée de juristes – son parrain, Jean-Louis Dorais, était avocat de même que son grand-père maternel, Albert Dorais, qui fut coauteur d’une version annotée du Code civil du Québec très prisée à l’époque –, le jeune homme opte tout naturellement pour le droit lorsque vient le moment de s’inscrire à l’université.
C’est en téléphonant directement au doyen d’alors de la Faculté de droit de l’UdeM qu’il plaide sa cause pour être admis. «Très solennel avec sa voix gravissime – que Les Cyniques imiteront plus tard! –, Maximilien Caron m’a demandé si j’avais terminé mon cours classique, si j’aimais la philosophie et l’histoire… Au terme de cette simple conversation, j’ai été accepté», relate-t-il, conscient qu’il en serait autrement aujourd’hui!
L’appel des planches
S’il s’avère un étudiant studieux et appliqué, Marc Laurendeau possède également des aptitudes pour l’humour, qu’il a d’abord testées en faisant du théâtre au Collège Sainte-Marie. Aussi devient-il membre, dès sa première année d’études universitaires, de la troupe de la Revue Bleu et Or, où il apprend le métier, notamment aux côtés de Gilles Latulippe et Claude Michaud.
L’année suivante, il participe à une tradition de la Faculté de droit qui veut que des étudiants et étudiantes montent une pièce de théâtre à caractère juridique. À la demande du conseil étudiant de la faculté, il opte pour Douze hommes en colère et confie le rôle du juré intuitif à un étudiant en histoire, un certain Denys Arcand, qu’il a connu au Collège Sainte-Marie.
Seul… et bientôt avec d’autres!
Parallèlement, il livre sur scène des monologues avec un humour qui donne un avant-goût de celui que pratiqueront Les Cyniques.
Dans un Québec où la religion est partout, il crée un numéro dans lequel il fusionne les deux émissions les plus populaires du moment: le Chapelet en famille et La lutte.
À la demande de Bernard Landry – le futur premier ministre du Québec va bientôt diriger l’Association générale des étudiants de l’UdeM (AGEUM) –, il présente au Centre social son numéro, qui est retransmis dans tout le pavillon J.-A.-DeSève. «Cela m’a valu de recevoir des lettres de protestation de certains curés et d’étudiants en sciences religieuses hérissés devant ma version toute sportive de la soirée du chapelet», évoque Marc Laurendeau, sourire en coin.
Ces contestations ne sont rien en comparaison de l’engouement que suscite l’humoriste en gestation. Dans un passage du film de cinéma-vérité Seul ou avec d’autres, réalisé par l’étudiant Denys Arcand, l’humour iconoclaste de Marc Laurendeau est manifeste et acclamé!
«Le Québec sortait de la Grande Noirceur, du régime de Duplessis et de l’emprise du clergé, et l'on sentait un grand désir de libération qui se concrétisait à travers l’AGEUM, dirigée par Bernard Landry, le journal Le Quartier latin sous la plume de Jacques Girard ainsi que la Société artistique de l’Université», explique M. Laurendeau.
Devant ce succès, Denys Arcand – à la tête de la Société artistique – lui propose de couronner les soirées de cinéma du samedi par la présentation, après 23 h, de petits spectacles et de mettre sur pied une troupe à cet effet.
Marc Laurendeau réunit ainsi deux collègues étudiants en droit, Marcel Saint-Germain et André Dubois, ainsi que l’étudiant en philosophie Serge Grenier, sous le nom Les Cyniques. Une nouvelle aventure commence en cette année de grâce 1961…
Du cynisme au journalisme
Pourfendeurs d’ecclésiastiques, de politiciens comme de la brutalité policière, Les Cyniques font un tabac: leur humour provocateur défiant l’autorité est un véritable défouloir et attire les foules.
«Les Cyniques disaient tout haut ce que les gens pensaient tout bas et nos spectacles affichaient salle comble, tellement que nous devions refuser du monde à la porte, se remémore Marc Laurendeau. Cela a contribué à créer le mythe autour des Cyniques!»
Leur renommée a tôt fait de franchir les murs de l’Université. Et ce qui devait n’être qu’un projet parascolaire de quelques mois durera 11 ans. Jusqu’en 1972, Les Cyniques feront de multiples tournées à travers le Québec, allant de boîtes à chansons en cabarets, puis en salles de spectacle, produisant au passage huit disques d’humour (y compris l’album double Exit), en plus de tourner un film (IXE-13) et de rebondir en tête d’affiche du Bye-Bye 1971.
D’un commun accord, les quatre compères prennent des chemins différents en 1972. Au gré de plusieurs séjours à l’étranger effectués antérieurement, Marc Laurendeau choisit la voie du journalisme, motivé par un ardent désir d’informer et d’éclairer le public sur les enjeux de société dont il est témoin.
Tandis qu’il est chroniqueur, puis éditorialiste au défunt quotidien Montréal-Matin et qu’il tient le micro à CKAC, il est à la maîtrise en science politique à l’Université de Montréal, où il dépose son mémoire en 1973. Intitulé «La violence politique au Québec», son projet de recherche repose notamment sur le témoignage d’anciens membres du Front de libération du Québec.
La rigueur de Marc Laurendeau et le regard perçant qu’il porte sur l’actualité le mènent dans plusieurs médias, dont Télé-Québec et Radio-Canada, ainsi qu’à La Presse et à L’actualité. Ensuite, il sera responsable pendant 22 ans de la revue de presse à l’émission du matin de la radio de Radio-Canada, aux côtés d’abord de Joël Le Bigot, puis de René Homier-Roy.
Un heureux retour en classe
La vaste expérience que possède Marc Laurendeau le ramène à son alma mater en 1995, cette fois à titre de chargé de cours en journalisme à la Faculté de l’éducation permanente. Et il y est toujours!
Au cours de ces années, il a l’occasion d’enseigner à de nombreux futurs journalistes, dont Tamara Alteresco, François Cardinal, Thomas Gerbet et Alexis De Lancer, pour n’en nommer que quelques-uns.
«Je continue d’enseigner par conviction, pour défendre le caractère essentiel du journalisme et du rôle qu’il joue dans la préservation de la démocratie, conclut Marc Laurendeau. En cette époque où la désinformation et les fausses nouvelles pullulent, les salles de nouvelles, où chaque information est vérifiée et contre-vérifiée, constituent un rempart contre le populisme ambiant et les régimes autocratiques.»
L’autobiographie Marc Laurendeau: du rire cynique au regard journalistique a été publiée en octobre 2022 par les Éditions La Presse.