Création artistique et sciences: une rencontre étincelante

Michel Rochon, Catherine Régis, Dominique Leclerc, Rhodnie Désir et Kim Thúy

Michel Rochon, Catherine Régis, Dominique Leclerc, Rhodnie Désir et Kim Thúy

Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal

En 5 secondes

La 10e Conférence de la montagne a mis en lumière des projets fascinants lorsque la création artistique et la recherche scientifique fusionnent.

Création artistique et recherche scientifique sont-elles deux univers bien opposés: l’une faisant appel aux émotions et l’autre sollicitant la raison? Mais cette distinction n’est-elle pas trop simpliste? Les arts ne peuvent-ils pas enrichir la culture scientifique et la science ne peut-elle pas inspirer l'art? Comment les collaborations entre artistes et scientifiques peuvent-elles aboutir à des projets fascinants, d’une rare innovation? 

Quatre invitées issues des milieux culturel et scientifique ont répondu à ces questions à la 10e Conférence de la montagne, qui s’est tenue au théâtre Outremont le 8 mai et qui était animée par le journaliste Michel Rochon: l’auteure Kim Thúy, diplômée de l’Université de Montréal en linguistique et en traduction ainsi qu’en droit; la danseuse et chorégraphe Rhodnie Désir, diplômée en communication et en marketing de l’UdeM et de HEC Montréal; la professeure de droit de l’Université titulaire d’une chaire CIFAR en intelligence artificielle Catherine Régis; ainsi que la metteuse en scène Dominique Leclerc, qui travaille en collaboration avec l'Université de Montréal et Duceppe sur la pièce de théâtre Une vie intelligente. 

Réunir les arts et la science pour instaurer un dialogue fécond

L'alliance entre les arts et la science ouvre la porte à des dialogues inédits, souvent surprenants, tel celui entre un professeur de littérature et un spécialiste en gastroentérologie. Vous pouvez écouter cette conversation dans le balado Faire connaissance, animé par Kim Thúy, qui transcende les frontières disciplinaires de l'Université de Montréal, offrant ainsi des perspectives réflexives novatrices. 

Catherine Régis a entamé une autre forme de dialogue audacieux en réunissant des artistes de théâtre pour éclairer les enjeux de la Déclaration de Montréal pour un développement responsable de l'intelligence artificielle. Cette collaboration bidirectionnelle a permis à la metteuse en scène Dominique Leclerc de rencontrer des chercheurs et chercheuses tout en engageant des discussions pour façonner une pièce de théâtre sur l’intelligence artificielle (IA). De son côté, Catherine Régis a bénéficié des questionnements perspicaces de Dominique Leclerc, qui l'ont conduite à une réflexion approfondie, puis à la rédaction d'un article sur les paradoxes de l'IA. 

Quant à Rhodnie Désir, elle est allée à la rencontre de spécialistes et de patients de l'Institut de cardiologie de Montréal et de l'Istituto Cardiocentro Ticino à Lugano, en Suisse, pour créer le spectacle de danse Symphonie de cœurs. Elle a évoqué son immersion saisissante dans les blocs opératoires: «Je me suis retrouvée en salle d'opération au milieu de sons stridents, la tête plongée devant un cœur, une cage thoracique ouverte, en me disant c'est un spectacle, c'est une scénographie.» Son expérience, les témoignages des personnes qu’elle a rencontrées transparaissent avec émotion dans les différents mouvements des interprètes, les décors ainsi que les projections scéniques du spectacle. 

Quand la science permet de révéler des émotions

La perception courante veut que la science demeure impassible face aux émotions. Cependant, elle a la capacité de dévoiler des aspects émotionnels, comme l'a illustré Kim Thúy à travers cette anecdote touchante que lui a racontée une archéologue. Cette dernière avait découvert, sous un petit cercueil, une multitude de grains blancs. Avec ses collègues, elle s'est interrogée sur leur origine, pour finalement déterminer qu'il s'agissait de pépins de baies provenant d'une région particulièrement défavorisée. Cette découverte a permis aux chercheurs de supposer que des parents d’origine modeste avaient cueilli ces baies pour orner le cercueil de leur enfant. L'archéologue a alors confié à Kim Thúy: «La science a permis de révéler un geste d’amour qui a traversé le temps.» 

Quant aux artistes qui s'inspirent de la science, ils cherchent à exprimer les émotions sous-jacentes à ces recherches. Dominique Leclerc, par exemple, a partagé son expérience vécue lors de la création de son spectacle sur le transhumanisme, intitulé Post Humains. Initialement, elle s’est informée sur le sujet par des articles condamnant les personnes transhumanistes qui cherchent à défier la mort, mais sa perspective a évolué lorsqu'elle a rencontré des individus partageant cette vision. «J’ai compris qu’il y avait des choses intimes, personnelles et qui touchaient à l’universel en chacune de ces personnes. Là est mon travail: donner la voix au sensible et à l’humain qu’il y a derrière des idées», a-t-elle expliqué. C’est en écoutant ces personnes exprimer leur peur de la finitude qu’elle a monté son spectacle et partagé ces émotions avec le public.  

«En tant que créateurs, nous sommes sensibles à ce qui nous fait vibrer à l’intérieur. Nous tentons de capter l’émotion qui va se coller au mouvement que l’information véhicule», a ajouté Rhodnie Désir.  

L’intelligence artificielle, une menace pour la créativité?

L'intelligence artificielle menace-t-elle la créativité humaine? Alors que les avancées dans ce domaine sont fulgurantes et que des œuvres peuvent désormais être créées avec des outils tels que ChatGPT, la question de la place restante pour les créations exclusivement humaines se pose. Kim Thúy a relaté l'anecdote d'un ami qui a demandé à un système d’intelligence artificielle d'écrire un livre sur Noël à la manière de Kim Thúy, et le résultat s'est révélé étonnamment convaincant. Cependant, l'écrivaine ne s'inquiète pas outre mesure, car une lacune fondamentale subsiste: l'IA crée en se basant sur des modèles existants, alors que nos pensées et opinions évoluent continuellement. Ainsi, ChatGPT n'a pu produire de dialogue à la manière de l’auteure, car elle n’en avait pas écrit jusqu’à présent. C'est un projet sur lequel elle se penche actuellement, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle forme de création qui ne pourra pas être réalisée par une machine! 

Rhodnie Désir a souligné que l'intelligence artificielle peut devenir un partenaire de création si on le souhaite. Sinon, elle croit fermement en l'unicité de chaque créateur, porteur d'une intelligence qui rend sa création unique. Pour elle, l'IA n'est qu'une voix parmi d'autres et elle fait confiance à notre exigence collective pour trouver des partenaires qui ne nous surpassent pas totalement dans nos domaines de création afin de préserver cette émotion viscérale propre à l'être humain. Celle qui puise son inspiration notamment dans ses rêves et la spiritualité semble peu préoccupée par une éventuelle substitution par une machine: «Dans mon processus créatif, je suis en connexion avec l'ancestralité. Mon œuvre d'art est indissociable de la spiritualité. Le jour où l'IA sera capable de se connecter au divin ou à cet au-delà, je serai curieuse d'en apprendre davantage!»  

Dominique Leclerc partage le scepticisme quant aux prouesses de ChatGPT et ne considère pas les arts vivants comme menacés. Cependant, elle a exprimé des inquiétudes quant au financement des arts vivants: «Si tout est investi dans l'innovation, que reste-t-il pour les artistes?» Elle a également soulevé des préoccupations concernant le public et les obstacles liés aux déplacements si des innovations favorisent les activités réalisées chez soi. Elle redoute davantage un changement d’espace qui menacerait les salles de théâtre. 

 

Pour poursuivre ces rencontres avec des artistes à l’occasion des Grandes Retrouvailles, vous pouvez assister ce samedi 11 mai à un concert de Corneille et Sarahmée au campus MIL. 

  • Mot d'ouverture par le recteur Daniel Jutras

    Mot d'ouverture par le recteur Daniel Jutras

    Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal
  • Catherine Régis et Dominique Leclerc

    Catherine Régis et Dominique Leclerc

    Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal
  • Dominique Leclerc, Rhodnie Désir et Kim Thúy

    Dominique Leclerc, Rhodnie Désir et Kim Thúy

    Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal
  • Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal
  • Catherine Régis, Dominique Leclerc, Rhodnie Désir et Kim Thúy

    Catherine Régis, Dominique Leclerc, Rhodnie Désir et Kim Thúy

    Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal