Pourquoi il sera bientôt interdit de dégriffer les chats domestiques

Dès février 2024, il sera interdit de pratiquer l'onyxectomie ou dégriffage des chats. Il a été démontré que cette amputation contribue à l'apparition de problèmes chez l'animal, sans compter la douleur qu'elle provoque.

Dès février 2024, il sera interdit de pratiquer l'onyxectomie ou dégriffage des chats. Il a été démontré que cette amputation contribue à l'apparition de problèmes chez l'animal, sans compter la douleur qu'elle provoque.

Crédit : Getty

En 5 secondes

Le dégriffage de nos chats domestiques perturbe leur bien-être global. Cette pratique, qui sera interdite au Québec dans moins d’un an, a fait l’objet d’une conférence au 90e Congrès de l’Acfas.

Bertrand Lussier

Bertrand Lussier

Crédit : CRCHUM

En février 2024, un règlement en matière de bien-être et de sécurité de l'animal* entrera en vigueur au Québec: il interdira notamment le dégriffage des chats ou onyxectomie. Au-delà du questionnement éthique à l’égard de cette pratique, différentes études en ont suggéré ou démontré les effets négatifs sur la santé globale de l'animal.

C’est ce qu’ont fait valoir les professeurs Éric Troncy, Bertrand Lussier et Aude Castel, membres du Groupe de recherche en pharmacologie animale du Québec (GREPAQ) de la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, à l’occasion du 90e Congrès de l’Acfas. Ils étaient accompagnés du Dr Jordyn Hewer et d’Alexandra Yaksich, laquelle a contribué à faire adopter ce nouveau règlement en agissant à titre de porte-parole du Collectif des vétérinaires, des techniciens en santé animale et du public contre le dégriffage.

Une amputation aux effets physiques et psychologiques

Aude Castel

Aude Castel

Crédit : CHUV

L’onyxectomie est une intervention chirurgicale qui consiste à amputer la troisième phalange de chaque doigt des chats, éliminant ainsi leurs griffes. Or, cette opération comporte son lot d’effets négatifs sur leur santé globale.

De fait, des études indiquent que l’onyxectomie contribue à l’apparition de problèmes de malpropreté et d’agressivité. Selon l’une d’entre elles, chez le tiers des chats dégriffés, cette intervention entraîne au moins un problème de comportement. De même, 18 % des chats ayant été dégriffés vont mordre davantage et 15 % ont des problèmes de malpropreté.

«Les chats peuvent aussi souffrir de douleurs chroniques et donc de problèmes de comportement après le dégriffage», a mentionné le chirurgien vétérinaire Bertrand Lussier.

«Le sectionnement des nerfs peut engendrer de la sensibilité tactile et de la douleur fantôme, a souligné Aude Castel. Si un chat dégriffé fait ses besoins en dehors de sa litière, cela pourrait être la conséquence d’une sensation déplaisante associée à une nouvelle hypersensibilité au gravier.»

La vétérinaire neurologue a aussi expliqué que l’onyxectomie peut avoir des conséquences sur le vieillissement du système nerveux des chats, favorisant l’apparition d’affections telle l’arthrose, mais aussi de la douleur chronique, qui accélère le déclin cognitif.

Et qu’en est-il de l’opération effectuée au moyen d’un laser censé réduire la douleur?

«La tendonectomie, qui consiste à couper un tendon pour empêcher la rétractation de la phalange, est une solution au dégriffage. Elle atténue les effets délétères de l’onyxectomie selon une étude récente, mais elle n’est pas moins douloureuse et pourrait comporter aussi des conséquences à long terme», a dit Bertrand Lussier.

Parmi les autres solutions au dégriffage, on trouve les protège-griffes (capuchons de plastique), la taille régulière des griffes ainsi que l’utilisation d’un griffoir à l’aide de stratégies comportementales à renforcement positif.

«L’interdiction de pratiquer l’onyxectomie et ses variantes permettra au Québec de rejoindre les rangs de nombreux pays qui ont banni cette pratique depuis longtemps, dont la France, a fait observer l’algologue vétérinaire Éric Troncy. Au Canada, seules les provinces du Québec et de l’Ontario la permettaient encore à ce jour.»

Étudier la douleur ressentie par les chats

Éric Troncy

Éric Troncy

Crédit : Amélie Philibert | Université de Montréal

Selon Éric Troncy, les connaissances en matière de douleur chez les chats ont grandement évolué au cours des deux dernières décennies «notamment grâce à la création – il y a 12 ans – d’un programme d’étude sur les modifications et les atteintes sensorielles des chats qui surviennent avec l’âge, à l’aide d’une colonie de chats, a-t-il signalé. Nous sommes les seuls à disposer d’un tel programme».

Selon lui et ses collègues, nombreux sont les chats qui cachent tellement bien leur douleur que même les vétérinaires éprouvent de la difficulté à la détecter.

«Le chat est un prédateur, mais aussi une proie potentielle et il a avantage à masquer la douleur pour ne pas avoir l’air vulnérable, a conclu Aude Castel. Mais il peut avoir mal même s’il ne l’exprime pas en miaulant ou en vocalisant.»


* Il s’agit du Règlement sur le bien-être et la sécurité des animaux domestiques de compagnie et des équidés, qui prévoit notamment l'interdiction des chirurgies esthétiques tels le dégriffage, la coupe de la queue, la taille des oreilles et la dévocalisation.

Des données objectives sur les conséquences de l’onyxectomie

L’analyse des conséquences à long terme du dégriffage pose un défi aux chercheurs en raison de leur imbrication avec l’émergence de maladies liées à l’âge, notamment l’arthrose, quasiment inéluctable chez le chat vieillissant.

Dans le cadre d’une méta-analyse qu’il a réalisée au GREPAQ, le Dr Mathieu Lachance a voulu départager ces conséquences en recueillant des données sur 24 chats sains, 125 chats arthrosiques non dégriffés et 39 chats dégriffés.

Il en ressort que, si l’arthrose modifie la démarche des chats âgés, cette altération est amplifiée par le dégriffage – et plus un chat est gros, moins il va poser, de manière proportionnelle, de poids sur ses membres arthrosiques et dégriffés. Ce déficit podobarométrique est accompagné d’une sensibilité tactile augmentée chez les chats dégriffés et arthrosiques, comparativement aux chats arthrosiques n’ayant pas subi une onyxectomie et encore davantage par rapport aux chats sains.

Ces évaluations ont été rendues possibles grâce à l’acquisition par le GREPAQ d’une expertise relative à différentes méthodologies complexes qui objectivent pour la première fois au monde les conséquences délétères sur le bien-être animal du dégriffage.

«Si des études antérieures avaient illustré les troubles comportementaux des chats dégriffés, aucune ne les analysait avec un groupe comparable pour mettre en lumière l’effet du dégriffage ou encore elles avaient été réalisées très peu de temps après l’onyxectomie et n’apportaient aucune conclusion sur cette intervention», a signalé Éric Troncy.

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