Imiter la plasticité du cerveau des enfants pour atténuer le stress post-traumatique

Marisol Lavertu-Jolin, étudiante de doctorat au moment des travaux et première auteure de l’étude, et Graziella Di Cristo, spécialiste en neurosciences au CHU Sainte-Justine

Marisol Lavertu-Jolin, étudiante de doctorat au moment des travaux et première auteure de l’étude, et Graziella Di Cristo, spécialiste en neurosciences au CHU Sainte-Justine

Crédit : Charline Provost

En 5 secondes

Une équipe du CHU Sainte-Justine, menée par Graziella Di Cristo, a fait une percée importante pour le traitement des personnes souffrant de symptômes associés à un stress post-traumatique.

Pourrait-on augmenter temporairement la plasticité du cerveau adulte pour diminuer la peur et les réactions anxieuses chez les personnes ayant subi une expérience traumatique? C’est le pari qu’a fait une équipe de recherche menée par Graziella Di Cristo, spécialiste en neurosciences au CHU Sainte-Justine. Dans une nouvelle étude réalisée sur des souris, elle a réussi à limiter les réactions de peur en provoquant une désensibilisation aux souvenirs de peur simultanément à une augmentation temporaire de la malléabilité du cerveau grâce au contrôle de l’activation d’un gène. Il s’agit d’une percée importante pour le traitement efficace des personnes souffrant de symptômes associés à un stress post-traumatique.

Les résultats de cette étude ont été publiés le 2 mai dans la revue Molecular Psychiatry.

La peur engendrée par un évènement traumatique peut mener à des souvenirs persistants qui entraînent des phobies, un état d’anxiété, voire un syndrome de stress post-traumatique. Dans les cas graves, on peut avoir recours à des thérapies de désensibilisation graduelle encadrées par une ou un thérapeute afin de dissocier les réactions anxieuses des souvenirs. Or, des études antérieures ont démontré que ce type de thérapie est plus efficace chez les enfants, dont le cerveau plus malléable facilite la création de nouveaux souvenirs et la dissociation des réactions anxieuses.

Le laboratoire de Graziella Di Cristo s’intéresse aux interneurones gabaergiques, des cellules inhibitrices qui ralentissent l’activité du cerveau. Parmi ces interneurones, les cellules qui expriment la protéine parvalbumine jouent un rôle de chef d’orchestre et influencent la dynamique des réseaux et des circuits entre les neurones, par exemple dans les parties du cerveau qui contrôlent les pensées et les peurs.

Un gène et une protéine associés à la plasticité du cerveau

Image d’un interneurone à parvalbumine montrant les filets périneuronaux (en rouge) constitués de la protéine Aggrecan (en vert). On voit bien la structure en filet qui se condense autour du corps cellulaire et des dendrites proximales de l’interneurone à parvalbumine à P60 dans le cortex. Quand sont entourées les synapses afférentes sur le corps cellulaire et les dendrites, les filets périneuronaux viennent stabiliser et renforcer les connexions synaptiques.

Crédit : Illustration de Marisol Lavertu-Jolin à l'aide d'un microscope confocal Leica, à la plateforme d'imagerie du Centre de recherche du CHU Sainte-Justine

Dans le cerveau des enfants, le réseau de cellules à parvalbumine est plus malléable en raison de la présence moins importante d’une protéine nommée Aggrecan. «Cette protéine vient entourer et solidifier les cellules à parvalbumine lors du processus de maturation du cerveau à travers une structure appelée filets périneuronaux, les rendant moins malléables», explique Graziella Di Cristo, également professeure titulaire au Département de neurosciences de l’Université de Montréal.

«En collaboration avec les équipes de recherche de la chercheuse Graciela Piñeyro et du Dr Gregor U. Andelfinger, nous avons découvert que la protéine Aggrecan, codée par le gène Acan, était spécifiquement exprimée dans les cellules à parvalbumine. Nous avions alors une piste pour déstabiliser la solidification des filets périneuronaux, sans toucher aux autres types de neurones, en visant la diminution de l’expression du gène Acan», mentionne Marisol Lavertu-Jolin, étudiante de doctorat au moment des travaux et première auteure de l’étude.

Comment agir sur la production des protéines Aggrecan dans le cerveau?

Avec l’appui scientifique d’une équipe basée en Inde, l’équipe du CHU Sainte-Justine a mis au point une molécule, nommée ARNsi, qui a la propriété non seulement d’inhiber un gène, mais aussi de traverser la barrière du cerveau par la voie de la circulation sanguine.

«Il fallait vérifier que l’ARNsi, injectée dans le sang, inhibait bien le gène Acan et donc qu’elle augmentait la malléabilité du cerveau. C’était une étape essentielle pour favoriser la création de nouveaux souvenirs et permettre au processus de désensibilisation des souvenirs de peur d’être efficace à long terme», dit Graziella Di Cristo.

L’expérience s’est révélée un succès. L’augmentation temporaire de la plasticité du cerveau a permis de former de nouveaux souvenirs chez la souris adulte et de réduire les réactions de peur liées aux évènements traumatiques.

Cette étude pionnière ouvre la voie à des recherches cliniques éventuelles chez les adultes souffrant d’un syndrome de stress post-traumatique afin d’améliorer le succès à long terme des thérapies d’exposition.

À propos de l’étude

L’article «Acan downregulation in parvalbumin GABAergic cells reduces spontaneous recovery of fear memories», par Marisol Lavertu-Jolin, Bidisha Chattopadhyaya, Pegah Chehrazi, Denise Carrier, Florian Wünnemann, Séverine Leclerc, Félix Dumouchel, Derek Robertson, Hicham Affia, Kamal Saba, Vijaya Gopal, Anant Bahadur Patel, Gregor Andelfinger, Graciela Piñeyro et Graziella Di Cristo, a été publié le 2 mai 2023 dans Molecular Psychiatry. Le financement de l’étude a été assuré par les Instituts de recherche en santé du Canada, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, le réseau EraNet-Neuron, le Fonds de recherche du Québec – Santé et la Fondation CHU Sainte-Justine.

À propos du Centre de recherche du CHU Sainte-Justine

Le Centre de recherche du CHU Sainte-Justine est un établissement phare en recherche mère-enfant affilié à l’Université de Montréal. Axé sur la découverte de moyens de prévention innovants, de traitements moins intrusifs et plus rapides et d’avenues prometteuses de médecine personnalisée, il réunit plus de 200 chercheurs, dont plus de 90 chercheurs cliniciens, ainsi que 500 étudiants de cycles supérieurs et postdoctorants. Le centre est partie intégrante du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, le plus grand centre mère-enfant au Canada.

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