Un marché d’espèces sauvages sur le Web caché

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Le Web clandestin permet d’accéder à un commerce d’espèces sauvages animales et végétales vendues principalement à des fins de drogues récréatives, révèle une étude.

Une équipe de recherche australienne s’est intéressée au trafic d’animaux et de plantes sauvages sur le Web clandestin (dark Web). En épluchant environ deux millions d’annonces pendant cinq ans, l’équipe a trouvé plus de 150 espèces commercialisées dans près de 3 500 annonces, où environ 90 % des publicités concernaient des drogues à usage récréatif.

C’est l’expertise de David Décary-Hétu, professeur agrégé à l’École de criminologie de l’Université de Montréal, qui a rendu possible cette analyse. Le chercheur et directeur du Darknet and Anonymous Research Center s’intéresse aux effets de la technologie sur la criminalité, notamment le Web caché. Dans la dernière décennie, il a développé un logiciel qui permet de scruter les bas-fonds du Web et de recueillir des données qui sont seulement accessibles via des configurations ou des processus spécifiques.

Avec son aide, l’équipe a pu constater que les espèces les plus fréquemment vendues sur le Web clandestin sont celles avec des propriétés psychédéliques, comme les plantes contenant de la diméthyltryptamine (ou DMT, une substance psychotrope puissante), les champignons à psilocybine (un hallucinogène) ou les crapauds produisant de la bufotoxine (une toxine ayant de supposés effets psychoactifs).

Un trafic risqué, mais marginal

David Décary-Hétu, professeur agrégé à l’École de criminologie de l’Université de Montréal.

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Selon l’étude, le commerce illicite d’espèces sauvages pose de nombreux problèmes, surtout pour la santé et la biosécurité des humains, puisqu’elles peuvent être toxiques ou porteuses d’agents pathogènes. Il existe également des enjeux pour la protection de la biodiversité considérant que certaines espèces sont envahissantes ou menacées d’extinction.

Heureusement, l’équipe de recherche considère que la vente et l’achat de plantes et d’animaux sauvages sur le Web caché sont un phénomène peu préoccupant, puisqu’il est plutôt rare. «Compte tenu du faible nombre d’annonces, nous supposons que les risques actuels en matière de conservation et de biosécurité sur le dark Web sont faibles. Disons que je ne déploierais pas une force opérationnelle demain matin sur ce dossier», lance David Décary-Hétu.

Il n’en demeure pas moins que ces résultats élargissent considérablement la liste des espèces sauvages actuellement commercialisées sur le Web caché et cartographient les différents canaux de ce type de trafic.

Web caché: pas le nœud du problème

Le commerce d’espèces sauvages ne fait donc pas légion sur le Web clandestin. Par contre, ce trafic sévit sur d’autres couches du Web, en particulier sur les sites de commerce électronique et sur les médias sociaux.

«Quand on parle de trafic, on parle de profit; on veut donc avoir le plus grand nombre possible de clients, de débouchés, rappelle David Décary-Hétu. Or, ce n’est qu’une infime portion de la population qui est à l’aise avec le dark Web. Le bassin de clients potentiels est donc très réduit en comparaison à Facebook, par exemple, qui réunit un grand nombre d’abonnés, et où les risques sont modérés à nuls. Je questionne justement ce sentiment d’impunité: les commerçants ne ressentent pas le besoin d’utiliser l’anonymat garanti par le dark Web pour vendre leurs produits pourtant illicites.»

Selon le chercheur, le commerce sur le Web clandestin pourrait augmenter si les plateformes populaires devenaient moins accessibles aux commerçants (par exemple, par un renforcement de l’application de la loi). Il recommande donc de mettre l’accent sur la surveillance des médias sociaux et aussi du Web caché afin d’évaluer les changements potentiels dans le commerce des espèces sauvages à travers cette couche plus occultée d’Internet.

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