La cryptomonnaie peu acceptée par les sites canadiens de vente illégale de cannabis

Selon une étude réalisée par le criminologue David Décary-Hétu, de l'UdeM, 77 % des sites Web de vente illégale de cannabis au pays refusent les paiements en cryptomonnaie.

Selon une étude réalisée par le criminologue David Décary-Hétu, de l'UdeM, 77 % des sites Web de vente illégale de cannabis au pays refusent les paiements en cryptomonnaie.

Crédit : Getty

En 5 secondes

Une étude réalisée par David Décary-Hétu indique que plus de trois sites Internet canadiens sur quatre qui vendent illégalement du cannabis refusent la cryptomonnaie lors des transactions.

S’il est démontré que les cryptomonnaies – tel le Bitcoin – sont souvent utilisées dans les transactions de produits et services illicites, un domaine fait exception au Canada: la vente illégale de cannabis en ligne. 

Selon une étude réalisée entre octobre 2021 et février 2022 par David Décary-Hétu, de l’École de criminologie de l’Université de Montréal, 77 % des sites Web de vente illégale de cannabis au pays refusent les paiements en cryptomonnaie: l'analyse des réponses de 104 responsables de sites Web de vente illégale de cannabis, avec lesquels ses collègues Patricia Saldaña-Taboada, Mélina Girard et lui ont échangé, montre que les vendeurs privilégient plutôt les virements électroniques. 

Selon le rapport annuel 2024 de la Société québécoise du cannabis, le marché illégal représente 37 % des ventes totales de cannabis au Québec. Selon David Décary-Hétu, les sites Web de vente illégale de cannabis répondent à des besoins précis en proposant des articles non disponibles légalement – vapoteuses et certains produits comestibles plus attirants, par exemple –, en contournant l’interdiction d’accès pour les moins de 21 ans au Québec et en offrant la livraison à domicile.  

«Ces sites ne disparaîtront pas, car ils fonctionnent comme des vases communicants avec le marché légal: lorsque la règlementation est trop stricte, le marché illégal comble les besoins non satisfaits», souligne David Décary-Hétu.

Parler directement aux vendeurs illégaux

David Décary-Hétu

David Décary-Hétu

Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal

Pour réaliser cette étude, les chercheurs ont obtenu l'autorisation du comité d'éthique pour se faire passer pour des clients potentiels auprès des sites Web de vente illégale. 

Les membres de l’équipe ont d’abord tenté de joindre les responsables de 201 sites Web de vente illégale de cannabis. Seulement 104 d’entre eux ont répondu à leurs questions.  

«Devant ce taux de réponse d’environ 50 %, nous avons relancé les 201 sites Web dans une deuxième vague d’approche et, des 88 personnes qui nous ont répondu, 69 n’acceptaient pas les cryptomonnaies, explique David Décary-Hétu. Ce sont donc les mêmes sites qui ont été sondés durant les deux vagues.»  

Pourquoi la majorité des vendeurs illicites de cannabis en ligne n’acceptent-ils pas la cryptomonnaie?  

«La première raison est de nature technique, indique David Décary-Hétu. L'implantation et la maintenance d'un système de paiement en cryptomonnaie nécessitent une expertise que beaucoup ne possèdent pas. De même, certains mentionnent que leur “patron est trop vieux et ne connaît pas ça”.» 

Le manque d’intérêt de la part des clients est également en cause: une dynamique de marché biface s'installe, où les vendeurs n'acceptent pas la cryptomonnaie, car les clients n’en font pas la demande et inversement. «La courbe d'apprentissage pour les clients est jugée trop “raide”, ajoute le professeur. Il faut savoir où se procurer des cryptomonnaies et comment les transférer.» 

L'étude s'appuie sur un modèle dit d'acceptation de la technologie (Technology Acceptance Model) pour comprendre les choix des vendeurs. Ce modèle examine l'adoption des technologies à travers deux prismes: la perception de l'utilité et la perception de la facilité d'utilisation. Dans le cas présent, ni l'utilité ni la facilité d'utilisation ne convainquent les vendeurs d'adopter la cryptomonnaie.

Un risque «calculé»

Le refus d’accepter les paiements en cryptomonnaie expose toutefois les vendeurs à des risques légaux importants, estime David Décary-Hétu: «Les transactions électroniques laissent des traces bancaires facilement repérables par les autorités et les peines pour commerce illégal de cannabis peuvent atteindre 14 ans de prison, une augmentation considérable des sanctions.» Selon lui, cette apparente négligence témoigne cependant d'un sentiment d'impunité des vendeurs. 

Par ailleurs, les sites analysés disent généralement exercer leurs activités «du Canada vers le Canada». Si certains sites américains livrent aussi au Canada, l’équipe de recherche a constaté que la vente reste principalement nationale, les envois transfrontaliers étant considérés comme trop risqués. 

Pour réduire ce marché illégal du cannabis, les auteurs de l’étude proposent deux avenues.  

«La première consisterait à élargir l'offre légale pour mieux répondre aux demandes actuellement satisfaites par le marché illicite, conclut David Décary-Hétu. La seconde viserait à intensifier la surveillance des transactions électroniques et à procéder à une régulation adaptative, comme ce qui a été fait avec le marché de l'alcool illégal, qui a largement diminué à la suite d’ajustements de prix dans le circuit légal.»

À propos de cette étude

L’article «Why don’t You Want My Money: A Study of the Acceptance of Cryptocurrencies in Online Cannabis Markets», par Patricia Saldaña-Taboada, Mélina Girard et David Décary-Hétu, a été publié dans l’édition du 25 octobre de la revue Deviant Behavior.

Sur le même sujet

criminologie drogue recherche