ChatGPT et réadaptation: une boîte noire à étudier
- UdeMNouvelles
Le 1 décembre 2023
- Béatrice St-Cyr-Leroux
Maintenant capable de «voir et entendre», ChatGPT pourrait-il devenir un outil intéressant pour les personnes qui vivent avec des incapacités motrices, perceptuelles ou cognitives?
De l’analyse des données de l’imagerie médicale à la détection des interactions médicamenteuses en passant par la création d’interfaces cerveau-machine, l’intelligence artificielle (IA) semble être un incontournable de l’essor du secteur des soins de santé.
Est-ce que ChatGPT, agent conversationnel stimulé par l’IA, pourrait aussi devenir un outil pertinent pour le personnel de la santé?
Plus précisément, avec ses nouvelles fonctions qui lui permettent de décoder des images et de converser de vive voix de façon fluide, pourrait-il servir dans les sciences de la réadaptation?
Un potentiel à creuser
«Ces technologies font déjà partie de nos vies et pourraient offrir plusieurs possibilités pour pallier diverses incapacités», croient Dahlia Kairy et Joseph Omer Dyer, professeurs aux programmes de physiothérapie de l’École de réadaptation de l’Université de Montréal.
Ainsi, la commande vocale de ChatGPT pourrait faciliter l’accès à l’information et à la communication chez des personnes qui ont une déficience motrice ou visuelle. Les patients qui se remettent d’un accident vasculaire cérébral ou d’une lésion cérébrale pourraient aussi exercer leurs compétences vocales et linguistiques en engageant une conversation avec l’outil.
Joseph Omer Dyer pense également à la planification d’horaires et d’agendas ainsi qu’à l’organisation des rendez-vous et des prises de médicaments en fonction des besoins et contraintes des patients. Dahlia Kairy considère pour sa part que ChatGPT pourrait être intéressant pour soumettre des suggestions d’exercices et les expliquer d’une façon adaptée à chaque patient (selon sa situation socioéconomique, son âge, son état physique, psychologique et neurologique).
«En somme, ChatGPT pourrait permettre d’autonomiser les patients quant à leur condition, leur servir de levier pour aller chercher les informations qui les concernent. Par contre, les gens qui utilisent cet outil doivent faire preuve d’esprit critique, en plus de connaître ses rouages et les risques qu’il comporte», note Joseph Omer Dyer.
La prudence est de mise
Les deux professionnels s’entendent pour dire qu’un pas de recul est actuellement nécessaire pour s’assurer que l’outil n’entraîne pas de conséquences inattendues. «Nous naviguons à vue, nous n’avons pas de données probantes pour prouver la valeur ajoutée de ChatGPT ou son innocuité», mentionnent-ils.
À titre de physiothérapeute et de chercheur au Groupe interdisciplinaire de recherche sur la cognition et le raisonnement professionnel de l’UdeM, Joseph Omer Dyer s’inquiète des enjeux éthiques et déontologiques liés à ChatGPT.
«Si j’utilise l’outil pour un diagnostic ou une prise de décision et que pour ce faire je partage des données personnelles, est-ce que je brise le lien de confidentialité avec mon patient? se questionne le professeur. Et si je propose à un patient d’y avoir recours pour pallier les incapacités associées à son handicap, je n’ai pas de données scientifiques pour appuyer ma proposition, je ne connais pas les effets collatéraux de cette utilisation.»
Dahlia Kairy, chercheuse au Centre de recherche interdisciplinaire en réadaptation du Montréal métropolitain et experte de la téléréadaptation, se demande si ChatGPT pourrait parfois limiter la réadaptation en remplaçant le développement progressif des aptitudes physiques.
«Puisque l’outil finit par faire certaines tâches à notre place, il est légitime de penser que la personne pourrait perdre des capacités, avance-t-elle. Nous n’avons pas encore de preuves à cet effet, mais nous avons des indications raisonnables en neurologie qui laissent supposer que la non-utilisation d’une capacité freine le potentiel de récupération.»
Les professeurs réfléchissent également à certaines éventualités liées à l’utilisation de ChatGPT dans un contexte de réadaptation, comme la dépendance au numérique ou la réduction des contacts sociaux.
L’importance de la recherche
Avant d’utiliser ChatGPT dans un cadre clinique, Dahlia Kairy et Joseph Omer Dyer souhaiteraient avoir l’assurance que son utilisation respecte la déontologie et la protection de la vie privée, en plus d’avoir en main des preuves scientifiques de sa pertinence.
Ils misent sur la recherche universitaire pour poser ces questions, les approfondir et éventuellement y répondre. Et ils invitent leurs collègues de tous horizons à s’y intéresser.
«En tant qu’universitaires, c’est notre rôle d’employer à bon escient nos outils et nos ressources dans nos domaines respectifs pour faire avancer la science et la société», conclut Joseph Omer Dyer.