Femmes en situation de handicap et violence conjugale: un parcours semé d’embûches
- UdeMNouvelles
Le 1 décembre 2023
- Béatrice St-Cyr-Leroux
Les femmes handicapées victimes de violence conjugale font face à d’importantes barrières lorsqu’elles décident de quitter leur partenaire. Et une professeure de l’UdeM travaille à les faire tomber.
D’une part, être marginalisées et freinées à cause d’une difficulté à voir, entendre, communiquer, comprendre ou se déplacer. D’autre part, subir le contrôle, la manipulation et les sévices physiques, psychologiques ou sexuels de son conjoint. Les femmes handicapées qui sont victimes de violence conjugale vivent une double vulnérabilité.
Peu documentée, cette réalité n’est pourtant pas rare: les femmes handicapées seraient deux fois plus à risque d’être victimes d’actes violents commis dans le contexte d’une relation avec un ou une partenaire. Ces femmes sont particulièrement vulnérables à la violence conjugale notamment parce que s'est souvent instauré un rapport de dépendance à l’égard de leur partenaire, en plus du fait qu'elles sont isolées socialement en raison de leur handicap.
Parvenir à se sortir d’une situation de violence conjugale demande beaucoup de courage. Imaginez les efforts que doivent déployer les femmes qui vivent avec une incapacité, qu’elle soit cognitive ou physique, quand les services adaptés et capables de les accueillir sont quasi inexistants.
Par exemple, les premiers répondants sont très peu formés pour adapter leurs interventions aux besoins des femmes présentant une déficience sensorielle ou de langage, les maisons d’hébergement offrent rarement une accessibilité universelle et ne peuvent accueillir une femme qui requiert une assistance dans ses activités quotidiennes et aucun moyen de transport adapté public ne permet de quitter son domicile en contexte d’urgence.
Ces barrières qui empêchent de fuir la violence sont présentes à des degrés divers dans la province. Martine Lévesque, professeure à l’École de réadaptation de l’Université de Montréal et chercheuse au Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales, les discriminations et les pratiques alternatives de citoyenneté, les aborde de front dans la région de Montréal.
Une question d’équité et d’inclusion
Ergothérapeute, Martine Lévesque mène actuellement à Montréal un projet de recherche-action participative intersectorielle sur les barrières structurelles qui retiennent les femmes handicapées victimes de violence conjugale dans le cycle de la violence et qui entravent leur accès à la sécurité.
Sa recherche s’inscrit dans le champ des sciences de l’occupation et s’appuie sur le concept de la «justice occupationnelle», c’est-à-dire le droit de tous les individus d'avoir accès à des occasions de s’engager dans des activités qui donnent du sens à leur vie et contribuent à leur santé, leur bien-être et, dans ce cas-ci, leur sécurité.
«Selon cet angle, je considère que toutes les femmes doivent pouvoir s’engager dans des occupations signifiantes et essentielles tout au long de leur parcours pour sortir de la violence. Elles doivent pouvoir communiquer leur besoin d’aide, se déplacer en fauteuil motorisé, accéder aux maisons d’hébergement, pouvoir participer à la vie sociale dans ces maisons et y maintenir leur autonomie et leurs rôles sociaux, comme celui de mère», plaide l’ergothérapeute.
Des enjeux méconnus, mais des solutions possibles
Dans sa recherche auprès de femmes victimes de violence conjugale, Martine Lévesque constate de nombreuses «exclusions systémiques» qui accroissent leur vulnérabilité. D’abord, elle souligne la persistance de certains stéréotypes à l'égard des personnes handicapées qui compliquent leur recherche d’aide: la tendance à les infantiliser et à penser qu’elles n’ont pas de vie sexuelle ou qu’elles ne sont pas des témoins qualifiées.
«On est devant une sorte de capacitisme institutionnel qui discrimine les personnes handicapées et les confronte à d’autres types de violence, alors qu’elles essaient justement de sortir de la violence, déplore la chercheuse. Par exemple, j’ai rencontré une femme qui m’a raconté avoir été traitée avec mépris par un policier parce qu’elle n’arrivait pas à donner des détails visuels précis liés à son agression, alors qu’elle est malvoyante.»
Pour éviter que ces situations se produisent, Martine Lévesque, en étroite collaboration avec le Regroupement des activistes pour l’inclusion au Québec, a mis sur pied un partenariat incluant des organismes communautaires (notamment des maisons d’hébergement et la Maison des femmes sourdes de Montréal [MFSM]), le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et plusieurs autres chercheuses du Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales, les discriminations et les pratiques alternatives de citoyenneté.
Les travaux du groupe ont permis d’analyser certaines barrières structurelles intersectorielles et d’agir sur celles-ci entre autres par la création d’un protocole permettant à la police de faire appel à un transport adapté pour déplacer en urgence une femme utilisatrice de fauteuil roulant et par la mise en place d’un projet pilote facilitant l’accès des maisons d’hébergement du territoire aux services de soutien à domicile.
Par ailleurs, le groupe croit que l’éducation et la sensibilisation restent les armes les plus puissantes: un travail d’équipe avec la MFSM et le SPVM a mené à la production d’une capsule s’adressant aux corps policiers. Cette dernière explique la réalité des femmes sourdes victimes de violence conjugale et promeut l’importance d’avoir recours à une interprète formée en langue des signes québécoise pour bien recueillir et documenter le témoignage d’une femme sourde.
D’autres recherches s’imposent, dit la chercheuse, qui poursuit actuellement un projet sur les parcours de vie de femmes handicapées victimes de violence conjugale et d’autres projets de sensibilisation.
«La violence conjugale touche toutes les femmes. Et tous les acteurs qui orbitent autour de cette problématique doivent y être sensibilisés», conclut Martine Lévesque.