Violences faites aux femmes: au-delà des résultats scientifiques
- UdeMNouvelles
Le 28 avril 2025
- Catherine Couturier
Un projet de recherche partenarial sur les violences dans une communauté autochtone mène à l’élaboration d’un outil concret.
La violence touche particulièrement les filles et les femmes autochtones. L’Enquête sur la sécurité dans les espaces publics et privés de 2018 de Statistique Canada révélait d’ailleurs que plus de 6 femmes autochtones sur 10 avaient au cours de leur vie subi une agression physique ou sexuelle.
Il allait donc de soi que cette population serait incluse dans le vaste projet de recherche Trajetvi, financé par le Conseil de recherches en sciences humaines et dirigé par Marie-Marthe Cousineau, professeure à l’École de criminologie de l’Université de Montréal. Ce projet s’intéresse aux trajectoires de vie, de violence, de recherche d’aide et de recours aux services de soutien des femmes, et à l’adéquation entre les services et les besoins des groupes particuliers. Même s’il a pris fin en 2023, il se poursuit à travers le Collectif de recherches et d’actions pour la sécurité, l’autonomie et la santé de toutes les femmes (SAS-Femmes).
«Trajetvi était un gros projet découpé en “cellules” pour explorer différents contextes de vulnérabilité», indique Marie-Marthe Cousineau. C’est à la diplômée de la maîtrise en santé publique Marie-Catherine Gagnon-Dufresne, d’abord auxiliaire de recherche puis coordonnatrice, qu’a été confié le volet autochtone. «C’est vraiment Marie-Catherine qui a mené ce volet et elle l’a fait d’une main de maître», souligne la professeure, qui prend son rôle de formatrice de la relève au sérieux.
Le partenariat au cœur de la recherche
Pour conduire un tel projet, travailler avec des partenaires autochtones était essentiel. «Je fais toujours de la recherche en partenariat, à partir des besoins du terrain. Nous avons sollicité l’association Femmes autochtones du Québec pour définir ensemble le projet», note Marie-Marthe Cousineau. La communauté de Listuguj et sa maison d’hébergement pour femmes Haven House, qui exercent un leadership dans la lutte contre les violences dans les communautés autochtones, ont été ciblées. «Nous avons décidé de nous concentrer sur cette communauté pour établir un partenariat plus fort», explique Marie-Catherine Gagnon-Dufresne.
Listuguj est une petite communauté mi’gmaq de la péninsule gaspésienne, à un pont du Nouveau-Brunswick. En 2016, environ 1200 personnes y résidaient, selon Statistique Canada. Même si la communauté est située en territoire québécois, les résidants sont majoritairement anglophones.
Dès l’été 2019, l’assistante de recherche y a fait des visites exploratoires. Avec la maison d’hébergement Haven House, elle a validé la méthodologie et formé des intervenants locaux qui ont pris part à toutes les étapes de cette recherche-action. Au total, 10 entrevues de type «récit de vie» de une à trois heures environ ont été effectuées. «Cette méthode fait écho aux traditions orales autochtones», affirme Marie-Catherine Gagnon-Dufresne.
Les partenaires ont ensuite participé à l’analyse des données, qui s’est amorcée à l’hiver 2020. «On faisait des rencontres chaque mois pour valider les analyses et discuter des thèmes qui avaient émergé», raconte-t-elle. Des ateliers ont finalement été organisés dans la communauté pour présenter les résultats aux différentes parties prenantes. «C’est rare de réussir à établir un partenariat aussi étroit avec une communauté», croit-elle.
Se réapproprier les résultats
Les ateliers en communauté ont été l’occasion de recueillir les commentaires par rapport aux résultats, qui faisaient état notamment de violences intergénérationnelles et de la méfiance à l’égard des services. «Ce qui est ressorti, c’est à quel point les violences interpersonnelles s’entrecroisent avec les violences structurelles dans la vie des femmes autochtones», observe Marie-Catherine Gagnon-Dufresne.
Durant les ateliers, les participants ont nommé les barrières et fait des recommandations pour s’attaquer à la question des violences faites aux femmes. Les choix qui s’offrent à elles sont difficiles: obtenir des services dans la communauté (au risque de côtoyer des proches de l’agresseur), se tourner vers les services du village voisin, mais qui sont dans une langue avec laquelle elles sont moins à l’aise ou traverser dans la province voisine. «Ça complique les choses», résume Marie-Catherine Gagnon-Dufresne.
Au-delà des résultats scientifiques, un guide pour mettre sur pied un comité interdépartemental sur les violences à Listuguj a été rédigé. «Les ateliers ont permis de réaliser que les gens travaillaient souvent en silo. C’est donc devenu une priorité d’action: pour améliorer la continuité des services, il faut davantage se parler», dit-elle. Le guide aborde également le processus et les pratiques, les bons coups comme les écueils. «Nous voulons faire œuvre utile sur la façon de faire la recherche», ajoute la professeure.
Le guide a été lancé dans la communauté en mars 2024, venant clore le projet de recherche. Mais ce n’est que le début pour la communauté. «Le succès de cette entreprise se confirme lorsque nos partenaires s’emparent des résultats et en font quelque chose qui leur correspond», estime Marie-Marthe Cousineau.
Le partenariat aura été marquant pour Marie-Catherine Gagnon-Dufresne. «Ma relation avec les partenaires va au-delà de la recherche. Dans ma future carrière de chercheuse, je voudrais continuer à travailler avec la communauté de Listuguj», indique-t-elle. Aujourd’hui candidate au doctorat en santé publique, option Santé mondiale, à l’UdeM, elle transportera les connaissances et expertises acquises avec la communauté mi’gmaq vers le Bangladesh, où elle effectuera son terrain de recherche doctorale. «Comment s’assurer de créer des partenariats de recherche équitables dans les pays à faible et moyen revenu, et dont les communautés peuvent réellement bénéficier? C’est la question que je souhaite approfondir dans ma thèse», conclut-elle.
À propos de cette étude
L’article «Understanding the violence and help-seeking experiences of Mi’gmaq women: Qualitative and applied results from a partnered study in the community of Listuguj», par Marie-Catherine Gagnon-Dufresne, Marie-Marthe Cousineau et leurs collègues, a été publié dans la revue Alterstice.