Autisme et agressivité: comprendre la complexité clinique et systémique
- UdeMNouvelles
Le 5 décembre 2023
- Béatrice St-Cyr-Leroux
Deux experts décortiquent les comportements agressifs des enfants autistes, leurs causes, leur fréquence, les facteurs aggravants, mais aussi les pistes de solution.
Récemment, les médias ont relayé des témoignages d’éducatrices spécialisées et d’enseignantes rapportant des agressions sexuelles et des blessures allant jusqu’aux traumatismes crâniens causées par des enfants autistes ou atteints d’une déficience intellectuelle.
Parallèlement, des parents ont partagé leur désarroi et leur impuissance lorsqu’ils sont confrontés à des crises de colère incontrôlable de leur enfant.
S’ils existent chez les enfants dits neurotypiques, ces comportements agressifs semblent plus fréquents et intenses chez les jeunes qui souffrent d’un trouble neurodéveloppemental.
Mais pourquoi se manifestent-ils? Sont-ils vraiment en hausse? Et que faire pour les prévenir?
Deux spécialistes de l’autisme et professeurs à l’Université de Montréal font le point: Marc Lanovaz, de l’École de psychoéducation, et le Dr Alexis Beauchamp-Châtel, psychiatre à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal et professeur adjoint de clinique au Département de psychiatrie et d’addictologie.
Comprendre l’agressivité chez un enfant autiste
«Derrière tout comportement – qu’il soit adapté ou non, dangereux ou non – se trouve un besoin légitime que l’enfant essaie de communiquer du mieux qu’il peut», indique le Dr Beauchamp-Châtel.
Car les crises de colère des enfants autistes et les gestes agressifs qui les accompagnent parfois ont toujours une fonction: ils servent à partager un désir, un refus, une incompréhension, une demande d’aide, un inconfort sensoriel, un sentiment, etc.
«Les “comportements-défis” sont surtout des moyens de communication quand les enfants n’ont pas d’autres façons d’obtenir ce qu’ils veulent ou d’éviter ce qu’ils ne veulent pas. On se garde de dire qu’il s’agit de violence, puisqu’il y a une connotation très négative associée à ce terme», précise Marc Lanovaz.
En somme, la crise est un peu comme la pointe d’un iceberg où la détresse témoigne d’une difficulté à exprimer ses besoins, à se faire comprendre ou à bien comprendre les autres.
Que faire?
Lorsqu’un enfant manifeste un comportement-défi, la première chose à faire est donc de reconnaître la fonction derrière ce comportement. Il faut analyser rigoureusement les évènements et les facteurs précédant la crise ainsi que la réponse comportementale, et accumuler de nombreuses occurrences pour émettre des hypothèses quant aux causes. Ensuite, on peut réfléchir à des solutions potentielles.
«Par exemple, si l’on remarque que l’enfant se désorganise chaque fois qu’il doit se rendre à tel cours parce que le corridor pour y aller est trop bruyant, on peut lui proposer de porter des coquilles. Ou encore, si l’on voit qu’un enfant non verbal vit beaucoup de frustration parce qu’il n’arrive pas à se faire comprendre, on peut lui fournir des pictogrammes, des logiciels ou des objets ou encore lui enseigner des gestes», illustre le Dr Beauchamp-Châtel.
Outre cette évaluation fonctionnelle, les deux spécialistes martèlent l’importance d’une prise en charge précoce pour éviter une aggravation des comportements-défis. Il est plus facile de maîtriser un enfant de 3-4 ans qui frappe qu’un adolescent de 14-15 ans qui donnent des coups, disent-ils.
«Et plus l’enfant vieillit, plus le conditionnement devient ancré et difficile à déconstruire. Le cadre doit être instauré jeune», ajoute le psychiatre.
Pas nouveau, mais des enjeux de ressources
Quand on lit les journaux qui font état des rapports d’accidents dans des écoles spécialisées, mais aussi dans des écoles ordinaires, on peut se demander si les comportements agressifs des jeunes autistes se sont exacerbés dans les dernières années.
Mais Marc Lanovaz est catégorique: les comportements-défis sont une réalité qu’il constate depuis ses débuts dans le domaine, il y a plus de 20 ans.
«Cependant, les listes d’attente particulièrement longues pour consulter un spécialiste peuvent aggraver le problème en empêchant les intervenants d’agir aussi précocement et rapidement qu’il le faudrait, nuance-t-il. Aussi, sur le plan de l’intervention, la clé du succès est la rigueur. Or, avec une pénurie de main-d’œuvre spécialisée et le roulement de personnel dans les écoles, les problèmes persistent alors qu’ils auraient pu être réglés en quelques mois d’intervention systématique, mais les gens font de leur mieux dans les circonstances.»
Le Dr Beauchamp-Châtel constate aussi certaines entraves systémiques, notamment des lacunes dans l’accès aux services et le manque de professionnels qui peuvent aider à l’analyse fonctionnelle. À ce chapitre, il rappelle que cette pénurie fait partie des enjeux au cœur des négociations actuelles entre le gouvernement et les syndicats.
Et si la technologie était une solution?
À titre de chercheur, Marc Lanovaz étudie les façons d’améliorer la prise de décisions cliniques et de faciliter l’évaluation et le traitement pour les parents ainsi que pour le personnel de la santé et celui du milieu de l’éducation. Il s’intéresse en particulier au recours à l’intelligence artificielle et à l’élaboration d’applications mobiles et Web.
Le chercheur a récemment mis au point une formation interactive pour aider les parents d’enfants aux prises avec un trouble du développement à réduire les comportements problématiques à la maison.
En collaboration avec la Fondation Autiste & majeur, Marc Lanovaz travaille aussi à la mise au point d’un algorithme pour montre intelligente qui permettrait de prédire l’apparition des comportements-défis. En mesurant certains signaux physiologiques – rythme cardiaque, conductance thermique et température –, la montre pourrait donc détecter la crise avant même qu’elle se produise et en avertir la personne-ressource.
«À terme, cet outil pourra améliorer les processus cliniques et minimiser le risque de blessure chez les intervenants», souligne le chercheur.