Se voir imposer ou interdire une grossesse
- UdeMNouvelles
Le 6 décembre 2023
- Béatrice St-Cyr-Leroux
La violence faite aux femmes a plusieurs visages, dont la coercition reproductive. Peu connus, ces comportements qui visent à contrôler la procréation existent en contexte conjugal et familial.
«Il voulait me laver le cerveau pour que je devienne sa porteuse d’enfants, que mon ventre lui appartienne.» «Mon utérus est devenu la propriété commune, tout le monde voulait savoir s’il était rempli ou pas.»
Voilà des témoignages de femmes victimes de coercition reproductive au Québec, une forme de violence qui se manifeste par des stratégies intentionnelles de contrôle de la procréation.
Ces propos ont été recueillis par Carole Boulebsol, doctorante en sciences humaines appliquées sous la direction de Marie-Marthe Cousineau, professeure à l’École de criminologie de l’Université de Montréal, et Sylvie Lévesque, professeure à l’Université du Québec à Montréal. Cette dernière y dirige le Laboratoire de recherche sur la santé reproductive et les violences ainsi que le projet de recherche Relations, contraception et reproduction, dans lequel la thèse de l’étudiante s’inscrit.
Carole Boulebsol s’intéresse à cette privation des choix reproductifs chez les femmes – ses manifestations et ses contextes –, un phénomène à l’intersection des violences faites aux femmes et de la santé reproductive. Elle mène une partie de ses recherches auprès de 18 femmes dont la moitié sont immigrantes.
Si la prévalence de la coercition reproductive n’est pas encore établie avec précision, on estime qu’elle toucherait de 3 à 74 % des femmes, selon les bassins sondés et les méthodologies utilisées. «Dans tous les cas, il faut retenir que ce n’est pas marginal et que ça cause beaucoup de détresse», plaide Carole Boulebsol.
Un arsenal pernicieux
À la lumière des témoignages obtenus, la doctorante a constaté que ce type de violence peut prendre plusieurs formes. «C’est un ensemble de stratégies qui visent à influencer la trajectoire reproductive de la femme au point où celle-ci sentira qu’elle n’a pas d’autre choix que de céder. Et quand elle finit par capituler, nos recherches montrent qu’aucun homme ne s’occupe des enfants pourtant si “désirés”», dit-elle.
Parmi ces comportements, on trouve le sabotage contraceptif (retirer les préservatifs sans consentement – acte appelé «furtivage»* – ou les percer, cacher les pilules contraceptives, réduire l’accès aux services de santé en ne soutenant pas financièrement la femme pour l’achat d’un moyen de contraception), l’imposition de l’issue de la grossesse (forcer un avortement ou le maintien de la grossesse, infliger des blessures physiques pour provoquer une fausse couche) ou encore l’élimination du potentiel reproductif (contraindre à une stérilisation).
Le contrôle n’est pas que physique, il est aussi sexuel, économique, spirituel ou encore psychologique: formulation de menaces («Je vais te quitter si tu ne me fais pas d’enfants») et d’accusations («Tu ne me fais pas confiance en m’obligeant à mettre un condom») ou chantage affectif («Avec un enfant je vais arrêter de consommer»).
«Comme la coercition reproductive est plurielle, c’est souvent l’aspect cumulatif des gestes et des attitudes qui finit par entraver la liberté et l’autonomie des femmes», souligne Carole Boulebsol.
Quand la famille est aussi le bourreau
En contexte intime, la coercition reproductive peut se comprendre comme une forme de violence conjugale. Or, elle existe aussi à l’extérieur du couple, dans l’entourage familial.
«C’est moins attesté dans la littérature, mais certaines victimes que nous avons interrogées ont raconté par exemple que les femmes de leur famille ou de leur belle-famille exerçaient également des pressions. Et que leur conjoint faisait souvent alliance avec elles, bien que ce ne soit pas toujours le cas», indique la chercheuse.
Dans ces situations, les membres de la famille peuvent ainsi s’informer en permanence du cycle menstruel, donner des conseils ou des «remèdes» non sollicités, faire des comparaisons avec les autres femmes de la famille qui ont eu le «bon» nombre d’enfants, menacer de retirer un héritage, couper les vivres et limiter l’accès aux médicaments lorsque leur volonté n’est pas satisfaite.
«Il y a une différence entre un conjoint ou des parents qui insistent un peu et avoir peur des conséquences physiques, économiques et communautaires si l’on ne fait pas ce qu’on se fait répéter de faire», précise la doctorante.
Lever le voile sur cette forme de violence
Pour lutter contre la coercition reproductive, Carole Boulebsol considère que la sensibilisation est un premier pas. D’abord, les femmes doivent pouvoir reconnaître ses manifestations, savoir que leur détresse est légitime et qu’elles peuvent obtenir du soutien (notamment légal si elles sont victimes de furtivage).
Ensuite, la chercheuse milite pour une meilleure prise en charge dans les soins de santé et les services sociaux. En continuité avec les recommandations de plusieurs études, elle propose que soient rencontrées les femmes sans leur conjoint pour parler de la trajectoire reproductive et des choix contraceptifs, de recourir à des interprètes si les femmes sont allophones, de créer davantage d’occasions de dévoilement et de multiplier les lieux sécurisés pour qu'elles puissent partager leur vécu.
«La coercition reproductive est un sujet encore tabou, puisqu’elle concerne les violences sexuelles, l’injonction à la maternité et l’institution de la parentalité, avance Carole Boulebsol. Les professionnels ne sont pas tous conscients de cette réalité et ne sont pas toujours outillés pour offrir des ressources.»
*À noter qu’au Canada le furtivage (stealthing) est reconnu comme une agression sexuelle condamnable par la loi depuis 2022.