Quand un phénomène astronomique influence le comportement de la faune
- UdeMNouvelles
Le 2 avril 2024
- Béatrice St-Cyr-Leroux
S’il s’agit d’un spectacle pour les humains, l’éclipse solaire pourrait aussi rendre perplexes bien des animaux. Tour d’horizon des effets qu’elle pourrait avoir sur leurs comportements.
Le 8 avril, tous les regards (protégés par des lunettes adaptées!) seront tournés vers le ciel pour observer l’éclipse solaire totale. Mais s’il fallait aussi regarder autour de nous pour constater des changements dans notre environnement? Plus précisément, pour remarquer des modifications dans les comportements habituels des animaux?
Claire Vergneau-Grosset, professeure en médecine zoologique à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, nous explique comment cette occultation du Soleil pourrait perturber la routine de la faune.
D’un point de vue théorique, pourquoi les animaux changeraient de comportement pendant une éclipse solaire?
Ce sont surtout des observations anecdotiques qui ont été rapportées, mais nous savons malgré tout que certains animaux semblent agir différemment pendant ce phénomène. Beaucoup des comportements observés sont en fait des activités qui se produisent normalement tous les soirs, comme si les animaux réagissaient à la nuit tombée plus tôt que prévu. Les principales manifestations comportementales seraient donc des activités nocturnes qui se passent en plein jour, au moment de l’éclipse.
De nombreux systèmes hormonaux sont liés à l’activité solaire ou encore aux cycles lunaires causant les marées. On parle beaucoup de l’effet de la mélatonine sur le sommeil, mais elle est aussi associée à plusieurs grands systèmes hormonaux, agissant notamment sur la reproduction, la mue, les activités de chasse des animaux de la faune, l’alimentation. Il existe donc plusieurs liens entre la luminosité et les comportements des animaux sauvages.
Bien sûr, ces comportements sont très ponctuels, ils ne durent que le temps de l’éclipse. Il devient donc difficile de les étudier et de savoir s’ils sont répétitifs ou pas.
Pouvez-vous donner des exemples de comportements inhabituels qui ont déjà été observés?
Des comportements différents ont été observés chez les oiseaux et les mammifères, et quelques-uns aussi chez les insectes. Par exemple, les oiseaux diurnes arrêtent de chanter comme si c’était le soir ou, au contraire, des grenouilles commencent leur coassement comme si c’était la soirée. Des chauves-souris peuvent aussi se réveiller et se mettre à voler comme si la nuit était tombée. Chez les mammifères, un cas a été rapporté en Afrique d’hippopotames qui se sont mis à quitter leur rivière au moment de l’éclipse. Du côté des arthropodes, on a vu des araignées en Amérique du Sud détruire leur toile, ce que cette espèce fait normalement le soir.
Bref, ce sont des comportements normaux, mais qui se passent à des moments anormaux.
Est-ce que ces comportements au mauvais moment peuvent être problématiques pour les animaux?
En termes de dangerosité, on peut penser à l’accroissement des interactions avec les humains. Les animaux nocturnes qui se mettent à sortir à des moments où les humains sont encore très actifs, mais aussi les diurnes qui rentrent dans leur tanière, ce qui peut potentiellement devenir dangereux pour eux ou les humains. Ainsi, une augmentation des animaux écrasés sur la route pendant une éclipse a été rapportée aux États-Unis.
Chez les chauves-souris, le fait de se réveiller dans la journée n’est pas grave pour les individus en santé. Par contre, pour celles qui sont atteintes du syndrome du museau blanc et qui sont donc déjà carencées, le fait de dépenser leur énergie pour rien – sachant qu’elles ne pourront pas se nourrir d’insectes pendant une courte période dans le jour, comme elles le font la nuit – pourrait leur nuire.
On dit que les primates seraient plus enclins à observer une éclipse, donc de tourner directement leur regard vers le Soleil. Leur santé oculaire peut-elle être à risque?
Les rapports sur des éclipses précédentes ne font pas état de problèmes oculaires chez les primates. Si je travaillais dans un zoo où il y a des primates, je leur donnerais l’option de rentrer dans leurs quartiers intérieurs pendant l’éclipse pour leur permettre d’avoir un comportement habituel nocturne. Mais le fait qu’ils tournent leur regard vers le Soleil n’est pas quelque chose de bien attesté, aucun cas de cécité n’a été rapporté, il semble s’agir davantage d’une simple inquiétude.
La durée de l’éclipse varie selon l’endroit où l’on se trouve. Peut-on penser que les changements comportementaux seront plus importants dans les lieux où l’éclipse durera plus longtemps?
On peut effectivement penser que chez les animaux qui auront des changements de comportements, ceux-ci dureront plus longtemps dans les zones où l’obscurité sera plus longue. Par contre, nous n’avons pas beaucoup de données sur ce point précis, la littérature reste plutôt anecdotique. Dans le cas des animaux ectothermes comme les reptiles ou les poissons, dont la température interne dépend de celle de l’environnement, il est possible que leur métabolisme ralentisse temporairement pendant l’éclipse.
Mais je ne pense pas que, même si les comportements sont modifiés pendant une quinzaine de minutes, cela ait un réel effet sur la survie de ces individus. Des changements environnementaux à plus long terme, comme le réchauffement climatique, ont une probabilité bien supérieure d’altérer durablement leur comportement et leur survie.