L’humour caché, l’arme secrète des développeurs de logiciels
- UdeMNouvelles
Le 20 juin 2024
- Paule Des Rivières
Les experts en logiciels recourent de plus en plus à la créativité et à l’humour afin de tisser des liens entre eux.
Écrire des lignes de code en vue de concevoir ou de corriger des logiciels peut être fastidieux, voire stressant. Ou encore carrément ennuyant si les tâches sont répétitives ou effectuées à distance, en solitaire devant ses écrans.
Afin de garder vivante la flamme professionnelle, un nombre grandissant de développeurs et de testeurs recourent à l’humour pour faire baisser la pression certes, mais plus encore pour faire des clins d’œil aux collègues loin d’eux et établir ainsi des liens avec eux. S’installe avec le temps un inestimable sentiment d’appartenance et de complicité. Cet humour et cette créativité intercalés entre les lignes de code se déploient à l’insu du commun des mortels que nous sommes.
«L’humour crée des liens entre des personnes qui sont physiquement éloignées et il s’avère une arme puissante contre l’ennui. Il constitue un facteur d’engagement», résume Benoit Baudry, professeur au Département d’informatique et de recherche opérationnelle (DIRO) de l’Université de Montréal. Il était jusqu’à récemment rattaché au prestigieux Royal Institute of Technology de Stockholm où, avec ses collègues, il a étudié les mécanismes particuliers de l’humour chez les développeurs de logiciels.
«Les développeurs ont une passion pour la matière logicielle. Ils veulent avoir un lien affectif avec la technologie numérique, qui est leur outil de travail», souligne le professeur.
Mais quand faire ses blagues ou ses commentaires? Et plus précisément où les faire? Il ne faudrait pas que les échanges se retrouvent sur Instagram!
Plus de 125 développeurs disséminés aux quatre coins de la planète ont répondu au questionnaire en ligne des chercheurs – publié sur plusieurs sites consacrés aux développeurs. Une majorité privilégie les espaces de tests de logiciels ainsi que ceux consacrés aux révisions et aux validations (appelés commits en anglais). Entre les lignes de test s’engage un dialogue subtil.
Dark Vador, Luke et les autres
Benoit Baudry et ses collègues se sont notamment penchés sur la bibliothèque Faker, qui génère des données aléatoires permettant de tester les applications. Au lieu d'employer du faux-texte ou lorem ipsum – cette suite de mots sans signification bien connue des développeurs, utilisée à titre provisoire pour calibrer une mise en pages avant que le texte définitif vienne la remplacer –, les développeurs parsèment leurs lignes de références culturelles diverses, sur des séries comme Seinfeld, ou de citations de poètes.
«Des références sont plus pointues, d’autres sont universelles: qui ne connaît pas les personnages de La guerre des étoiles ou de La matrice?» demande Benoit Baudry. Les personnages de films cultes servent fréquemment de têtes de chapitre. Beaucoup de citations également. Un exemple dans Faker: «The wise animal blends into its surroundings», attribuée au film Dune. Pas de grosses farces déplacées, plutôt des références qui permettent de révéler ses goûts personnels et provoquent des sourires chez les collègues.
«J’affectionne personnellement le recours aux personnages du film The Big Lebowski [1998] dans les messages d’erreur», signale le professeur. Il parle aussi avec enthousiasme d’une initiative intitulée lolcommits, qui permet aux développeurs d’envoyer un égoportrait à l’issue d’une nouvelle modification dans les codes. «Ces égoportraits nourrissent les liens avec les collègues et constituent une sorte de fête une fois l’opération terminée», résume-t-il.
Une pionnière a tracé le chemin
LA vedette et référence reste l’ingénieure et informaticienne de la NASA Margaret Hamilton, qui a dirigé l’équipe ayant conçu le système du programme spatial d’alunissage d’Apollo 11 en 1969. Lorsque les codes ont été rendus publics, on a pu voir que les membres de l’équipe avaient émaillé leurs codes de blagues, de citations de Shakespeare, de références au Magicien d’Oz, etc.
«L’humour dans les codes rend mon travail amusant, commente l’un des répondants du questionnaire des chercheurs. Les blagues me font rire et je pense avec affection aux personnes qui insèrent de l’humour.» «L’humour humanise le travail dans les codes et nous rappelle qu’il y a de vraies personnes recevant nos messages», dit un autre répondant.
Naturellement, il y a des limites à ne pas franchir. Certains répondants font des mises en garde: «Il va de soi qu’il faut éviter les blagues potentiellement offensantes ou toxiques.»
Pour l’amour du code
L’intérêt du professeur Baudry pour l’humour dans les technologies n’est pas nouveau. L’an dernier, il a publié un passionnant article sur les œufs de Pâques, qui sont une fonction cachée dans un programme et accessible à la suite d’une combinaison de touches ou du positionnement du pointeur. Mais contrairement à l’humour dans les codes, les œufs de Pâques peuvent être découverts par le public, dans les jeux vidéos notamment.
Benoit Baudry souhaite aussi que les utilisateurs de technologies soient davantage conscients de l’activité humaine en coulisse, indispensable aux milliers de connexions et d’applications dont nous nous servons. Dans cet esprit, il a d’ailleurs animé dans le passé des conférences sur les arts et les technologies en projetant du code dans les lieux publics, sur grand écran. Pour l’amour du code!