Quand les tourbières restaurées retrouvent (presque) leur équilibre naturel
- UdeMNouvelles
Le 28 novembre 2024
- Martin LaSalle
Julien Arsenault, Jean-François Lapierre et Émilie Jolin autour d’une mare naturelle de la tourbière de la Grande-Plée-Bleue, à Lévis. Couvrant près de 1500 hectares (15 kilomètres carrés), cette tourbière est l’une des plus vastes et rares tourbières du sud du Québec encore à l’état naturel.
Crédit : Julie TalbotLes mares créées mécaniquement afin de restaurer les tourbières exploitées par l’humain parviennent, après quelques années, à afficher un équilibre semblable aux mares naturelles, selon une étude.
Les mares créées mécaniquement afin de restaurer les tourbières qui ont été exploitées par l’humain mettent un peu plus d’une quinzaine d’années à devenir des écosystèmes semblables aux mares naturelles.
C’est ce qu’indiquent les résultats d’une étude publiée dans la revue Ecological Applications et réalisée par les étudiants de maîtrise Émilie Jolin et Mahmud Hassan, ainsi que le doctorant Julien Arsenault, sous la codirection des professeures Julie Talbot, du Département de géographie de l’Université de Montréal, et Line Rochefort, de l’Université Laval.
Des écosystèmes millénaires
Les tourbières sont des écosystèmes millénaires qui jouent un rôle important dans la lutte contre les changements climatiques: véritables réservoirs naturels de carbone, elles accumulent la matière organique sur plusieurs mètres de profondeur, parfois jusqu'à sept mètres, fruit d'un processus s'étalant sur plus de 10 000 ans.
Or, l'exploitation intensive de ces milieux pour la tourbe horticole a conduit à leur dégradation et des efforts de restauration sont déployés depuis 25 ans dans l'est du Canada.
Généralement peu profondes, les mares qui parsèment les tourbières ont chacune leur propre écosystème et constituent des habitats pour les amphibiens, les oiseaux et diverses espèces végétales, contribuant ainsi à la biodiversité locale.
Des mares alimentées uniquement en eau de pluie
Les 61 mares à l’étude sont réparties dans sept tourbières situées à l’est du Québec et au Nouveau-Brunswick. Ces tourbières sont «ombrotrophes», ce qui signifie qu'elles sont alimentées uniquement par l'eau de pluie, n’étant pas reliées au réseau hydrographique environnant. Leur caractéristique principale est la présence de sphaigne, une mousse qui se décompose très lentement et qui participe à l'acidification naturelle du milieu.
L’équipe de recherche a effectué des prélèvements d’eau à l’été 2020 et à l’été 2021 afin de comparer la composition biochimique des mares naturelles avec celle des mares créées artificiellement, ces dernières ayant de 3 à 22 ans d'existence.
Les analyses ont porté sur plusieurs catégories d'éléments, dont les nutriments essentiels (azote et phosphore), les indicateurs de matière organique (carbone organique dissous), les minéraux (calcium, sodium, magnésium et potassium) et les gaz dissous (méthane, dioxyde de carbone et protoxyde d'azote). Cette approche a permis de comprendre comment ces mares ont évolué au fil du temps après leur création.
Les résultats révèlent des contrastes significatifs entre les mares naturelles et les mares artificielles.
«Avec un pH supérieur à 5, les mares créées présentent un taux d’acidité moins élevé que leurs homologues naturelles, ce qui modifie considérablement leur chimie, mentionne Julie Talbot. Elles contiennent également deux fois et demie plus de nutriments, particulièrement l'azote et le phosphore: cette richesse en nutriments pourrait favoriser la prolifération d'algues et potentiellement engendrer des conditions anoxiques néfastes pour certaines espèces.»
Les échantillons ont aussi montré que les concentrations de carbone organique dissous, de gaz et de minéraux étaient systématiquement plus élevées dans les mares artificielles. «Ces différences s'expliquent en partie par l'absence initiale de sphaigne, qui est une mousse caractéristique des tourbières et qui influence naturellement la chimie de l'eau en acidifiant le milieu et en régulant les concentrations de nutriments», ajoute la professeure de l’UdeM.
Néanmoins, l’équipe de recherche a observé que les mares créées il y a plus de 17 ans présentent des caractéristiques biochimiques qui se rapprochent progressivement de celles des mares naturelles. Cela donne à penser qu'avec suffisamment de temps les mares artificielles peuvent évoluer vers des conditions analogues à celles des mares naturelles.
L'importance de préserver et de restaurer les écosystèmes
Dans le contexte de la Décennie des Nations unies pour la restauration des écosystèmes, qui s’est amorcée en 2021 et s'étendra jusqu'en 2030, les travaux de l’équipe de recherche démontrent qu'il est possible de restaurer des écosystèmes endommagés, mais Julie Talbot estime que la préservation des tourbières intactes demeure la priorité absolue.
«Bien que la restauration soit possible et s’accompagne de résultats prometteurs, elle ne doit pas servir de justification à la poursuite de l'exploitation des tourbières, conclut-elle. Il faut des années, voire des décennies, pour réparer ce que l'exploitation détruit en peu de temps.»
À propos de cette étude
L'article «Are pools created when restoring extracted peatlands biogeochemically similar to natural peatland pools?», par Émilie Jolin et ses collègues, sous la codirection de Julie Talbot et Line Rochefort, a été publié dans l'édition d’octobre de la revue Ecological Applications.