Comprendre les agents pathogènes et les parasites… et l’avenir de notre planète
- UdeMNouvelles
Le 15 janvier 2025
- Jeff Heinrich
Nous devons mieux comprendre comment les maladies infectieuses sont liées à la perte de biodiversité dans le monde, affirme une équipe de scientifiques codirigée par des écologistes de l’UdeM.
Tout est lié: les coronavirus et autres maladies infectieuses émergentes, la dégradation de la biodiversité et la destruction de l’environnement par l’humain. Partout dans le monde, les agents pathogènes et les parasites réagissent à ces changements de manière inattendue, alimentant la montée des pandémies et l’extinction d’innombrables espèces végétales et animales.
Mais tout n’est pas perdu. Pour éviter une catastrophe, les scientifiques doivent se concentrer sur la surveillance et la limitation de la propagation de certains virus à haut risque, en particulier dans les fermes et les marchés d’animaux vivants, et les gouvernements doivent redoubler d’efforts pour traquer les agents pathogènes, protéger la faune et renforcer les systèmes de santé publique, affirment des experts canadiens et américains dans un nouvel article.
Dirigée par Timothée Poisot, spécialiste de l’écologie informatique et professeur agrégé au Département de sciences biologiques de l’Université de Montréal, et Colin J. Carlson, professeur adjoint d’épidémiologie à l’école de santé publique de l’Université Yale, la recherche menée par des chercheurs et chercheuses du Canada, du Royaume-Uni, des États-Unis et de Chine est publiée aujourd’hui dans le numéro inaugural de Nature Reviews Biodiversity.
Outre un aperçu des connaissances scientifiques actuelles, ces travaux offrent une perspective historique des pandémies et des propagations virales, bactériennes ou autres qui se sont produites depuis 1960. Plusieurs recommandations sont formulées, en particulier sur la prévention de futures pandémies et, plus généralement, sur l’amélioration des techniques de surveillance dans le domaine de la santé publique.
Nous avons demandé à Timothée Poisot de nous en dire davantage sur cette étude – dont le coauteur Cole Brookson est chercheur invité au Département de sciences biologiques de l'UdeM et membre du laboratoire de Colin J. Carlson – et ses implications pour les politiques futures.
Tout d’abord, quelle est l’ampleur de cette étude et s’agit-il d’une première?
Cela fait plus d’un siècle que les écologistes tentent de comprendre comment la biodiversité et les maladies sont liées, il est donc difficile de prétendre qu’il s’agit d’une première. Nous avons tout de même essayé de rendre cette étude le plus complète possible. La pandémie de COVID-19 a amené de nombreux écologistes à se pencher sur les maladies infectieuses, et nous voulions fournir une feuille de route solide et contemporaine sur l’état des connaissances. Cet article met l’accent sur l’action et les solutions: comment pouvons-nous utiliser des initiatives comme le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal ou la Convention des Nations unies sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction pour réfléchir sur une gestion efficace des risques associés aux maladies infectieuses? C’est l’un des résultats de cette étude que je préfère: non seulement nous pouvons fournir une bonne vue d’ensemble des connaissances actuelles, mais nous pouvons aussi cerner le travail à faire en matière de politique et de gouvernance. Il s’agit d’un examen de la littérature scientifique très orienté vers l’action.
Dans quelle mesure vos efforts s’appuient-ils sur des données?
Nous avons analysé à nouveau un nombre considérable de données existantes pour brosser un tableau historique clair des endroits où les pandémies ont commencé, où nous avons observé le plus souvent l’émergence de maladies infectieuses et pour lesquels nous ne connaissons pas l’étendue de la diversité virale. Par exemple, nous ne savons pas quels virus peuvent infecter la grande majorité des mammifères aquatiques de l’hémisphère Sud. Pour plus de 1500 espèces de rongeurs et environ 1000 espèces de chauves-souris, il n’y a aucun virus répertorié. Cette information est cruciale pour les scientifiques spécialisés dans la biodiversité: il existe une grande diversité virale qui doit être consignée de toute urgence, et ce travail aura des répercussions tangibles pour la prévention des maladies.
Vous soulignez que presque toutes les maladies infectieuses chez l’humain proviennent d’animaux sauvages, d’élevage ou même de compagnie. Comment voyez-vous l’évolution de cette situation?
Si la plupart de nos maladies proviennent des animaux, c’est que cette situation évolue depuis qu’il y a des animaux, c’est-à-dire depuis environ 800 millions d’années. Cela fait longtemps que les virus s’adaptent à ce que nous avons en commun: les récepteurs de nos cellules, nos systèmes immunitaires, notre physiologie. Mais nous passons aussi beaucoup de temps à proximité des animaux: en les gardant comme animaux de compagnie ou comme bétail, en les utilisant comme nourriture et en perturbant leurs habitats. Chaque fois que deux espèces entrent en contact, elles ont la possibilité de se transmettre leurs virus. Parce que l’humain est très répandu et très efficace pour transformer son environnement, souvent pour le pire, il entre en contact avec un grand nombre d’autres espèces. Il est peu probable que cela change, mais nous pouvons rendre nos interactions avec d’autres espèces plus sécuritaires. Si nous savons que la déforestation peut augmenter directement la charge mondiale de morbidité, pouvons-nous réfléchir à des solutions de rechange pour la croissance économique? Si nous savons que l’agriculture industrielle crée davantage de chaînes possibles de transmission des maladies, pouvons-nous mettre en place des mesures incitatives pour adopter des pratiques plus durables? La transmission des maladies reste tout de même un phénomène naturel et inévitable: nous devons également nous assurer d’investir suffisamment dans la surveillance et de partager équitablement les vaccins, les médicaments et les autres contremesures. Même si nous parvenons à mieux prévenir la propagation des maladies, nous devons toujours être prêts à y faire face, le cas échéant.
La combinaison de la surexploitation et du réchauffement planétaire favorise la propagation des maladies. Comment l’approche Une seule santé peut-elle contribuer à inverser la tendance?
Sur papier, l’approche Une seule santé semble idéale pour relever ces défis. En un mot, en reconnaissant que la santé des personnes, celle des animaux, celle des plantes et celle de la nature sont liées, nous pouvons formuler des solutions optimales. Mais il y a quelques obstacles majeurs à franchir avant d’y parvenir. Premièrement, nous ne savons pas vraiment comment rendre l’approche Une seule santé opérationnelle: que signifie «faire Une seule santé» dans le monde réel à une telle échelle? Rétrospectivement, les communautés scientifique et politique ont réalisé des progrès impressionnants sans ce concept. Deuxièmement, Une seule santé est une initiative coûteuse, actuellement estimée entre 20 et 30 milliards de dollars américains par an. Qui paiera pour cela? Sommes-nous certains qu’elle sera plus efficace que les approches actuelles? L’accord sur les pandémies, que les États membres de l’Organisation mondiale de la santé sont en train de rédiger, est bloqué en partie parce qu’il n’y a pas de consensus international sur Une seule santé – c’est effrayant! C’est une manière importante et élégante d’envisager la santé, certes, mais elle est loin de l’être suffisamment pour mettre en péril l’un des instruments politiques les plus importants que nous verrons au cours de notre vie. C’est une chose que nous voulions souligner dans cette étude: être dogmatique n’aide en rien. Nous sommes confrontés à trois crises existentielles simultanées: la perte de biodiversité, les changements planétaires et les maladies infectieuses émergentes. Nous ne pouvons pas chercher une solution unique et inexistante.
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L'article «Pathogens and planetary change», par Timothée Poisot et ses collègues, a été publié dans Nature Reviews Biodiversity.